Ici vous êtes autorisé à abandonner
C’est un triangle
Un triangle de trottoir
Avec juste ce qu’il faut de bitume
De grille de métro
De feux rouges :
Trois, à chaque angle du triangle
Pour qu’incontestablement
Nous sachions être à Paris
Au Paris même des lumières
Au Paris des fleurs et des sciences
Des sculptures de Lamarck et de Buffon
Servant d’assise à des pigeons rigolards
Là, aussi, coule la seine
Et le souvenir d’Apollinaire
Les bateaux bennes brassent leurs touristes
Dans le jardin
Les enfants rient en croquant des gaufres
Les singent crient en épluchant des oranges
Au manège le dodo tourne en rond
Toujours, toujours, obstiné
Et dans le triangle exactement
S’étale l’homme au trottoir fixe
Sur quelques cartons
Une bière à la main
Il ne bouge plus
Chacun va à sa promenade du weekend
passe
Et moi aussi
Nous passons
Devant l’homme abandonné
Dans le dernier stade
Le dernier degré d’existence
Celle où seul le souffle demeure
Et encore
Bien frêle
Comme à contre cœur
Ainsi git l’homme écartelé entre trois feux rouges
Ce n’est pas le seul
Ici la dissolution de l’homme est permise
La bas,
Elle nuit aux paysages et aux hommes du pays
Aux croquants et aux croquantes
Qui ont la puissance
Et le pouvoir des règles dites lois
Et la sagesse économique
Aux faubourgs
A la seine
Ceux que cette sagesse efface
Et ce que cette justice, aveugle, par principe
Ne saurait voir
hors la vue des fils, des filles, des enfants chanceux
Au grand jamais
Pour qu’aucun d’entre eux
Dans une minute grave et lourde
tende la main
écoute
Ce râle
Ce chant réservé aux trottoirs
Pour qu’enfin
Ils contemplent
Sans carte, sans map monde, sans courbes , ni graphiques
Les corps des hommes oubliés
Par le savoir économique.