L’évidence du bord de mer
Celui qu’on espère
Celui que l’on sent
Celui qu’on attend
Fussent encagés dans une terne ville
Aux ternes murs d’une terne vie
Un rêve ancien
Une toile de Boudin
Plage
Sable blanc
Réverbération
Octave à l’infini
Se noie
Dans la douceur d’une mer mousseuse et rebelle
Réverbération
Ombres errantes
Rayons furtifs
Tout est de passage
Tels les oiseaux
Tels des morceaux de mot
Mosaïque de sons
Le Ciel
Gris bleu
Octave infinie percée du cri de goélands
Des milliers de pas utiles pour toucher la rive incertaine
Méandres de clapotis percés de vague de sable
Milliers de pas utiles pour être enfin le corps immergé
Tout serait léthargique
Pris dans cette infinie descente vers elle
Ou coincé dans l’infini remonté vers la terre
Sans cette violence qui sort de sous la vase
Le corps fracassé d’un petit crabe
Un morceau d’algue déchirée sous une pierre
L’appétit des mouettes
Ce vent froid qui traverse en un soudain
Rappelle que cette vie n’est jamais sans orage ni drame
Ici le soleil est blanc mais sait taper quand même
Traitre lointain
Il sait pelucher les peaux des humains
Ici comme bien ailleurs
Au fond de creux de sable des enfants jouent
Interchangeables
Enfant 1910
Enfant 1930
Enfant 1950
Enfances
Les mêmes pelles, les mêmes sauts, les mêmes formes : tortues ou étoiles de mer à imprimer sur le sable
Le même air affairé
La même colère devant l’inéluctable chute du château de sable
Le gentil qui prête son râteau
Le méchant qui écrase le pâté du voisin
Rôles interchangeables
Le cornet de glace qui fond
La joie, les larmes, alternent sur des joues rouges
La tartine croquante de confiture mêlée de sable
Là-bas, le vieil établissement de bain loue cabines et transats
Un sentiment de bien être tout droit descendu d’une sécurité matérielle
Vacances d’été d’enfants gâtés
Au-dedans
Pris entre le temps et le ciment
L’Invention des congés payés
La lecture savante du guide bleu par Roland Barthe*
: Un magasin de jouets
Ballons et cerfs volants
Brouettes et filets de pêche
Cordes à sauter et petites voitures
Tees shorts et crèmes bronzantes
Cartes postales et portes clefs
Coquillages et boules à neige
Emerveillés pour toujours des boulles à neige
Balade éveillé d’un fantasme de paysage, de pays
Un phare imperturbable
Pris dans la tempête au creux de ma main
Dans ma boule de cristal
Bat le cœur solitaire du gardien du phare
L’art d’écrire
L’art d’écrire la carte postale
Des mots toujours un peu semblables
Comme une mélodie unique
« Meilleurs souvenirs de Trouville, le petit grandit vite au grand air »
« Amitiés, toute la famille s’amuse beaucoup, les crêpes et le cidres sont bons »
« Les progrès d’Anne en orthographe sont lamentables »
Achat de caramels et de calvados
Ne rien oublier des évidences : les sels marins pour le bain, une boite biscuit en forme de cabine de bain
Ces vacances en bord de mer
Gâteau monté de Savoie, crème, fruits, meringue, chantilly
Un gâteau dont on déchire une grosse part,
Insatiable de douceurs
Ainsi dans l’appartement
Lors de la mélancolique rentrée
La valise éventrée lâche ses guirlandes d’objets marins, le papier brillant des sardines en chocolat, un pot à moitié vide de crème hydratante, un livre torturé d’ouvertures et de pliures
Et fond de chaque page
De chaque poche
De chaque trousse
Un filet de sable fin et blond
Qui colle à notre peau d’enfance
S’enfonce doucement dans le coin de nos yeux
Pour nous ramener la mer
Prisonnière en chacun de nos sens
Bien au creux
De nos rêves
*lire « Mythologie » de Roland Barthe