La gueule des choses
Ouverture
Accueil plutôt froid
Le frigidaire en mode reproche
Comme un potager sans serfouette
Excès de vacances
Les cornichons
Rabougris
Abandonnés
Mollassonnent (action du cornichon dépressif)
Choses délicieuses et rancunière
Peu de chose de ma mère
Il existe peu de chose
Mon enfance
S’apparente
A l’oubli du cornichon
Pourtant, elle préparait bien les cornichons
Un geste d’amour
En enfance difficile
Le geste d’amour
Est gros
Comme un diplodocus
Prenez des cornichons
Laver
Saler pour dégorger
Bocal à élastique
Vinaigre de vin blanc
Grain de poivre et estragon
Ma portion de cornichon
Offerte au marché
Tombe la tête
Abandonnée
Dans la certitude aseptisée
Du frigo domestique
Moins 5 degrés exactement
Sur la table
J’examine les petits corps
Les prendre ?
Les réchauffer ?
Les mettre
Sur une table
Et les croquer ?
Mais le cornichon morne
Se refuse à l’état de muse
Pourtant j’ai à mon actif
La poire
La pomme
La fraise
L’artichaut (c’est plus hardi)
La grandeur du cornichon mourant au fond d’un frigidaire
Faudrait le talent
De Delacroix
Le radeau de la méduse
Pour décrire les désastres
De l’indifférence
Une vie en solitaire
à mener a travers la tempête océanique
Du sel des larmes
Le cornichon
Offre une mine malade et pale
Un tantinet verdâtre
A son travail de portrait
A l’inverse
La tête de lotte rit de toutes ses dents
A l’instar de Danton sur l’échafaud
Gueule horrible et magnifique
Peindre
Des betteraves et des carottes
Des radis et des betteraves
Une tête de raquasse héroïque
Ou
La tête de raquasse
Championne des roches
Peinture inutile ?
Vielle prouesse ?
Le vent de printemps berce les tulipes
Doucement tremblent la robe bicolore des pétales
Ceux-ci sont en accent circonflexe
Les étamines croisent leurs cœurs
Belles comme une peinture flamande
Le geste du peintre
Qui sut capturer
Souligner au regard des autres hommes
Les flammes enlacées au fond d’une corole de tulipe
La buée humide d’une grappe de chasselas
La douleur hémorragique d’une orange pelée à vif
Par effet retour
Redécouvrir dans un marché du sud
La forme d’un cédrat
La blanche mollesse d’un pâtisson
La délicatesse de la fleur de courgette
Ou les yeux d’une tête de colin
Surpris dans un étonnement mortel
Je déambule dans les allées
L’appareil photo mode on
Regarder
Prendre en compte
Une forme
Une lumière
Une vie
Une mort
Une douleur
Une joie
Regarder tient plus de la question
Que du constat
Regarder
Du bord d’une poissonnerie
Au bord d’un périphérique
Les ruines d’un martelât sous un pont
Une marchande d’épis de mais grillées
Le regard n’est pas toujours la bienvenue
Partager le regard ennuyé d’un banc de sardine
Sur le lit de glace d’un étale
L’observateur est coincé entre
Méfiance ou moquerie
Toi
Toi
Qui
Es-tu ?
Mais qui fait l’artiste en maraude à la recherche de sujet ?
Quoi fait l’artiste ?
Un mec qu’a du bol et des tunes
Où un nigaud raté
Un loser entêté
Et le photographe
Pour qui tu bosses ?
Pour qui tu aboies ?
Un curieux
Casse-toi !
Un fou
On rigole mais
Barre-toi, pareille !
Vient le temps du regard chassé
Mis en muselière
Le monde veut vivre ses petites affaires
Sans témoin
Au silence
Dans la méfiance
Dans le mépris
Quitte à étouffer
Un rien
Un détail
Un bout d’écharpe rose sur un banc
Un sac pris dans une branche de marronnier
Les membres tordus de la vieille femme décidée à trimballer son cabas dans toute la ville
La femme ouvrant une boite à livre, trouvant un exemplaire de l’homme révolté de Camus
La vie simple
Ou la vie torturée
La gratuité de l’attention
La fantaisie de l’interprétation
La fantaisie, le fantasme
Le théâtre d’ombre
Refuge de l’enfance troublée
L’œil est le terreau
De notre pensée du monde
L’œil est un refuge
La vie n’est jamais si brute
Sous l’orage même
Se profilent
Des musiques d’émeraudes sous un ciel transformé
Dans la toute brillance des éclats de l’acier
Entre les rails poussent des coquelicots sauvages
Comme les graffitis sur les murs des ateliers abandonnés
Homme ! Accepte d’inviter chez toi
Le passant comme l’étranger
Le dilettante
Celui dont le regard te peindra un jour
Celui qui sera le conteur des choses de la vie, de ta vie.