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Billet de blog 15 novembre 2022

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Abandonnés mais pas résignés!

Depuis 686 jours que le point d’accueil de la Cpam est fermé pour les 8 000 habitants de l’Argonne, un quartier populaire d'Orléans!

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            Le contexte politique : des promesses et des objectifs non atteints

            Le 14 novembre 2020, crise du Covid oblige, une centaine de maires rédigeaient une lettre ouverte (à E. Macron) : « pour l’égalité républicaine des quartiers prioritaires ». Ils demandaient que soit consacrer 1 milliard d’euros du plan de relance aux « territoires en décrochage » fragilisés par la crise sanitaire. Deux ans après, comme de nombreux élus de France, nous pouvons affirmer que la « promesse républicaine d’égalité » n’est pas tenue sur le territoire national en particulier dans nos quartiers « populaires » !

            Certes, différents dispositifs et autres contrats de ville ont permis d’éviter le pire dans quelques secteurs ; mais les inégalités restent criantes pour les 21 780 habitants des 4 quartiers prioritaires de la politique de la ville d’Orléans.

            Les évolutions institutionnelles (décentralisation, construction européenne) ainsi que les réformes de l'État et des collectivités territoriales ont contribué à la transformation des services publics qui ont joué un rôle déterminant durant les précédentes crises. Nous le savons, les services publics sont essentiels dans l'aménagement de nos territoires et pour la qualité de vie la population surtout en période de crise.     

            Depuis 20 ans, l’informatique a accompagné les mouvements de décentralisation. Utilisé dans le domaine professionnel, le numérique a transformé le quotidien de chaque citoyenne et citoyen. Il est désormais au cœur de la « relation usagers » en offrant de nouvelles opportunités : instantanéité d'accès, rapidité, confort, abolition des distances, transparence. Pourtant le numérique « à tout-va » accélère, dans bien des cas, le recul de la présence physique des services publics et des emplois qui y sont liés ; il fait naître, du fait de la qualité très inégale des infrastructures, une nouvelle fracture territoriale alors qu'il devait effacer les distances Le « tout numérique » fait apparaître des difficultés d'usage pour une part très importante de la population qui ne suit pas le rythme des évolutions technologiques.

            Le travail du Défenseur des droits illustre mon propos : « Les pouvoirs publics ne devront jamais perdre de vue que, dans cette transformation en profondeur de nos services publics, l'objectif premier devra rester l'amélioration du service rendu aux usagers, y compris les étrangers (la Cimade a obtenu gain de cause en demandant le numérique facultatif et la possibilité d’un rendez-vous présentiel dans toutes les préfectures) à tous les usagers, comme le maintien des droits pour tous. »

            Les chiffres de l’Insee nous permettent de comparer la situation économique de quatre QPV (Argonne, Blossières, Dauphine et La Source) par rapport aux autres quartiers de la ville. Le constat est sans appel ! Dans ces quartiers le taux de pauvreté est très élevé et le taux de bénéficiaires du RSA est en augmentation. 50% des habitants du quartier de l’Argonne ont un revenu inférieur au revenu médian (1 160 euros). 33% vivent seuls dans leur logement ; on constate par ailleurs une augmentation du nombre de femmes âgées de 60 à 74 ans vivant seules dans un logement souvent très ancien.  En outre, le quartier de l’Argonne compte plus de 2 900 jeunes âgés de moins de 25 ans : ils sont peu diplômés, en emploi précaire (CDD) voire sans emploi salarié.

            Il est incontestable aujourd’hui que les réformes successives comme les politiques de la ville n’ont pas rempli leurs objectifs ! Les habitants des quartiers prioritaires ne cessent de dénoncer la disparition des services publics, comme un « ultime coup porté à leurs difficultés quotidiennes » ! 

            Je reprends ici les propos d’habitants de l’Argonne : « Les promesses des candidats ou des élus passent, les inégalités restent ! »

            L’Argonne : un quartier en souffrance

           À l’Argonne, selon l’Insee, 2 147 foyers perçoivent des allocations de la CAF (PPA, RSA, AAH …) et plus de 7 100 personnes sont bénéficiaires de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (dont 2 270 sont bénéficiaires de la Complémentaire Santé Solidaire ancienne CMU). Les personnes de nationalités étrangère sont plus nombreuses (32% soit 2 390 personnes) dans le quartier de l’Argonne par rapport aux quartiers non prioritaires. Soulignons ici le vieillissement des travailleurs étrangers très souvent atteints de pathologies plus ou moins invalidantes.      

            Avec la crise du Covid et les confinements, les difficultés de la vie quotidienne dans le quartier de l’Argonne se sont révélées aux yeux de tous. Les données de sources multiples (INSEE, CPAM, ARS…) montrent que les habitants des quartiers, comme celui de l’Argonne, ont été plus fragiles face au Covid que les habitants des autres quartiers car ils cumulent un certain nombre de difficultés qui les fragilisent : des maladies longues, des pathologies telles que l’asthme ou le diabète, ou des conditions sociales qui les exposent plus aux virus. Dans les QPV, les habitants vivent dans des logements exigus et, ils ont été les plus exposés aux virus dans leur sphère professionnelle. De plus, ils n’ont pas ou peu bénéficié du télétravail, ont été au chômage partiel durant la première période de confinement, ils ont occupé les métiers dits « de première ligne » (École, Santé, propreté, alimentation et distribution…)

          65% des « travailleurs de première ligne » étaient des femmes qui ont souffert et souffrent encore des conditions de travail difficiles : recours au travail les week-ends, la nuit, contraintes physiques, postures pénibles, station debout, charges lourdes… En outre, les hommes ont, quant à eux, exercé et exercent encore les professions dites « nouvellement vulnérables » (secteurs dont l’activité a été ralentie ou stoppée durant la crise sanitaire). 62% d’entre eux sont donc fragiles économiquement ; ils cumulent les risques accrus du chômage, la faillite liée à leur statut précaire (CDD), l’intérim, les contrats saisonniers (notamment dans l’agriculture et la restauration), le travail indépendant (micro entreprise, Uber), le travail à distance impossible.

            Sans service public de proximité, sans l’accompagnement d’employés fonctionnaires compétents, en nombre suffisamment pour être disponibles afin de traiter l’ensemble des problématiques sociales et sanitaires, les habitants de l’Argonne, comme ceux des autres QPV de la ville d’Orléans, sont accablés et abandonnés à leur sort. A cela s’ajoute l’impossibilité d’accéder aux informations les plus essentielles concernant leurs droits.

            L’Enquête CAPUNI 2020 montre en effet que les habitants des QPV sont ceux qui utilisent le moins le numérique pour leur activités personnelles. Certes, les habitants âgés de 18 à 59 ans sont équipés d’un smartphone (91%), d’1 ordinateur à la maison (75%) ou d’une tablette (48%). Pourtant ils sont ceux qui utilisent le moins l’Internet pour leurs démarches personnelles, pour le suivi scolaire de leurs enfants, pour le télétravail ou pour leurs démarches administratives. Pourquoi ? Parce qu’ils ne maîtrisent pas ces outils et ou parce que le coût de l’abonnement est trop élevé. A cela s’ajoute la part non négligeable des allophones qui ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture ou le calcul.

            A toutes ces difficultés non traitées par le manque ou l’absence de services publics de proximité, s’ajoutent l’augmentation des violences faîtes aux femmes et aux enfants. Elles ont explosé durant la crise sanitaire et les confinements, se sont aggravées avec l’inflation et les pénuries. Comment, alors, expliquer la fermeture de la Cpam de l’Argonne depuis novembre 2020 ?

             La question des services publics : « une promesse républicaine d’égalité » (Macron en 2020)

           Pour pallier au désastre sanitaire et social, le gouvernement a largement publicisé la mise en place du réseau France Services. Dans le Loiret, 22 bus et guichets sont supposés apporter : « une offre élargie de services au public, au plus près des territoires, en particulier dans les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville ».  Mais, ramené aux 19 QPV du Loiret (48 600 personnes), ce nombre de guichets ambulants ou pas, semble difficilement pouvoir répondre aux besoins des habitants. Sur le site de la mairie d’Orléans, Thierry Maubert, délégué du Préfet Centre-Val-de-Loire, exprime son enthousiasme : « On insiste sur « l’aller-vers » en ce moment à la préfecture. Et, en effet, je crois plus au déambulatoire. Grâce à cela les habitants viennent plus naturellement demander de l’aide et le lien avec les organismes publics se fait plus facilement. C’est convivial, il ne manque plus que le thé ici d’ailleurs (rires) ! »

            En réalité, le dispositif France Services n’est qu’un grossier palliatif à la réduction des moyens publics et à la disparition des services publics sur l’ensemble du territoire. On est loin d’un projet intégratif ou participatif que les mots « aller-vers » pourraient laisser penser !

            En France, ce sont 1 000 emplois qui ont été supprimés à la Caisse d’allocations familiales (CAF) entre 2012 et 2017 et 2000 suppressions entre 2018 et 2022 ; 7 500 postes supprimés à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) entre 2018 et 2022 ; 900 postes supprimés à la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) entre 2018 et 2022 après les 10 000 emplois supprimés entre 2012 et 2017.

            Pour le quartier de l’Argonne c’est le désert ! Non pardon ! C’est 6 heures par semaine dans un bus ! C’est 6 heures par semaine d’un « service » qui propose un guichet unique visant à remplir les démarches suivantes : immatriculation de véhicule, impôts, permis, et accès aux services en ligne. Il s’agit, nous disent les initiateurs de ce projet : « d’accompagner le public dans ses démarches administratives de plus en plus dématérialisées ainsi qu’une aide à l’appropriation des outils numériques » !

Ce bus offre donc accès aux principaux services publics des ministères de l’Intérieur, de la Justice, des Finances publiques, de Pôle Emploi, de l’Assurance Retraite, de l’Assurance Maladie avec en prime, un accès aux services de la CAF comme de la Poste ! Pas moins !

            De ce fait, pour pallier aux douleurs et aux besoins des 21 780 habitants des quatre quartiers « dits pauvres » de la ville d’Orléans, pour secourir les associations de quartiers exsangues qui ne peuvent plus assurer leurs missions, on nous propose un « bus magique » et fantôme !

            Les habitantes et les habitants de l’Argonne s’interrogent. Pourquoi la Cpam est-elle fermée ? « La ville d’Orléans est propriétaire des locaux », nous dit Florence Carré (l’adjointe chargée du quartier) ! Alors quid des loyers toujours versés ?

 A suivre...

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