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Billet de blog 4 avril 2020

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modélisations aberrantes

"Pour ses décisions stratégiques le gouvernement  s'appuie-t-il sur les simulations de Neil Fergusson publiées sur le site de l'Imperial College of London?   Si oui, ce rapport présente de nombreux biais liés aux hypothèses faites. Je demande que cet article fasse l'objet de débats, avec des scientifiques compétents dans le domaine."

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La Vengeance du Pangolin ou la toute-puissance du tableur EXCEL ?

Quels journalistes ont lu les calculs du chercheur anglais Neil Ferguson de l'Imperial College of London qui ont enflammé le monde occidental?

Cette étude, il vaudrait mieux dire ce rapport de 20 pages, paru le 16 mars présente un calcul de probabilités et des courbes prévisionnelles d’épidémie (https://www.imperial.ac.uk/media/imperial-college/medicine/sph/ide/gida-fellowships/Imperial-College-COVID19-NPI-modelling-16-03-2020.pdf)

C'est le chercheur de l'Imperial College of London, et son équipe, qui l'a rédigé. Ce chercheur a été lui-même contaminé et a du rester 7 jours en confinement dans son appartement de Londres, semaine durant laquelle il a peaufiné ses courbes (son inquiétude pour son état de santé a-t-elle jouer sur ses hypothèses?). Voir article dans le Financial Times (https://www.ft.com/content/7e56cf84-6a9e-11ea-a3c9-1fe6fedcca75).

Voici ses hypothèses :

1) Il prend un R0 de 2,0 à 2,6.

le R0 est le nombre de cas infecté par 1 personne, autrement dit le nombre moyen d'individus qu'une personne infectieuse pourra infecter, tant qu'elle sera contagieuse. Ce nombre est appelé le taux de reproduction de base, et est noté R0.

A partir de ce R0, qu'il a choisi entre 2,0 et 2,6, il prend 2,4 pour ses calculs.

2) il présume que les cas symptomatiques sont 50% plus nombreux que les cas non symptomatiques

3) et il en déduit que 81% (pas 80 ou 79, 81 c'est précis, ça fait sérieux...), donc que 81 % de la population du Royaume-Uni va être infectée.

4) il présume que 4,4% seront hospitalisés

5) il présume que 30% des hospitalisés auront besoin de réanimation intensive (d'après les quelques cas au Royaume Uni à la date des calculs)

6) et que 50% des personnes en réanimation intensive décéderont

RESULTATS :

Il en déduit donc le nombre de lits d’hôpitaux nécessaires suivant l'évolution de la courbe épidémique, le nombre de lits nécessaires en soins intensifs (ICU), et le nombre de morts. Puis il propose des mesures pour diminuer ces 2 chiffres. Car compte tenu du délabrement des hôpitaux, ils ne peuvent pas faire face à une épidémie. De coronavirus, ou de n'importe quel autre problème, comme par exemple une canicule importante l'été prochain.

Il arrive, avec les hypothèses ci-dessus, à un taux de mortalité (IFR) moyen de 0,9% sur les personnes infectées

Donc pour les anglais, le nombre de morts sans mesures de protection est :

70 millions d'anglais * 81% de la population infectée* 0,9% =510 000 morts

Commentaires :

Il extrapole la même chose pour les USA ( 2 .2 millions de morts), et pour les autres pays européens.

D'où la diffusion instantanée du virus de paranoïa dans l'ensemble des pays occidentaux, qui se référent tous à ces 20 pages de simulation, dont le fameux conseil scientifique a quand même dit avec une petite honnêteté qu'il était difficile de vérifier les hypothèses et difficile de les prendre pour argent comptant (voir article de Sciences et Avenir du 16 mars).

Neil Ferguson fait ensuite des simulations du nombre de lits et du nombre de morts si on prend des mesures graduées sur 3 niveaux (tableau 4).

Pour passer de 500 000 morts à une fourchette qui va de 39 000 à 8 900 morts, il faut prendre des mesures les plus coercitives possibles.

Reprenons donc ses hypothèses :

Neil Ferguson est parti d'emblée dans son rapport sur un rappel de la grippe H1N1 de 1918. Celle qui fait peur à tout le monde et dont on ne sait pas si elle a fait 20 ou 50 millions de morts.

Il dit dans sa première phrase que le Coronavirus 2019 est le plus sérieux virus depuis 1918.

Il installe dès les premières lignes le contexte anxiogène en citant 1918. Sans nuancer en situant le contexte de 1918 : on sait que si cette grippe s'est développée de façon catastrophique c'est parce que les populations étaient épuisées par 5 ans de privations, de stress et de blessures. Que l'on a attribué à la grippe des morts qui seraient morts du fait de leur état de santé au cours de l'année 1918 même sans attraper la grippe.

Mais N. Ferguson ne nuance pas, et donc installe son propos sans un contexte de très gros risques. Comparer l'impact de ce virus à celui de 1918 alors que l'on est en début mars, qu'il n'y a que 3 500 morts en Chine, 14 700 au niveau mondial, et pas de catastrophes dans les autres pays asiatiques semble pour le moins exagéré.

1) Il prend un R0 de 2,4

Le R0 est le nombre de cas infecté par 1 personne, autrement dit le nombre moyen d'individus qu'une personne infectieuse pourra infecter, tant qu'elle sera contagieuse.

C'est dans les années 80, avec l’épidémie de SIDA que les chercheurs mathématiciens ont cherché des indicateurs leur permettant de modéliser le développement d'une épidémie.

MAIS :

Si ce taux est intuitivement facile à comprendre, son calcul exige de faire appel à des modèles complexes. Et on comprend aussi intuitivement qu'il ne peut pas servir de la même façon dans une épidémie de SIDA et dans une grippe : dans le premier cas, les personnes en contact sont précises et identifiables ; dans le second, c'est n'importe qui dans la rue, d'où une grande difficulté à savoir combien un éternuement contamine de personnes, s'il en contamine! Et d'après des experts, il doit être utilisé avec prudence, car pouvant conduire à des erreurs d'interprétations.

Le choix des modèles (et des paramètres qu'on y entre) influe sur les résultats. Ainsi, en un mois (entre le 1er janvier 2020 et le 7 février 2020), 12 équipes scientifiques ont cherché à calculer le R0 de la Covid-19, en utilisant différents modèles et données. Leurs résultats s'étalaient entre 1,5 et 6,68 (source Wikipedia).

Mais le problème est qu'on ne peut pas sérieusement calculer le R0 de ce virus : les personnes infectées ne sont pas testées, voire pas du tout diagnostiquées. La majorité est dans ce cas là.

Les personnes testées entre janvier et début mars étaient les personnes arrivant aux urgences avec une fièvre importante et surtout des problèmes respiratoires très nets. Et de plus même si la personne est testée positive, on a très peu de retour sur le nombre de personnes qu'elle a pu contaminer.

Le calcul actuel du Ro du coronavirus est une estimation à l'emporte-pièce. Mais le problème de la simulation de Ferguson ne vient pas particulièrement de cet paramètre.

2) il présume que les cas symptomatiques sont 50% plus nombreux que les cas non symptomatiques : ce chiffre ne correspond pas aux observations et commentaires des médecins, au contraire : les cas asymptomatiques semblent beaucoup plus nombreux que ceux qui montrent des symptômes nets. Beaucoup plus que le double. Il faudrait faire une étude sur un groupe significatif et tester tout le groupe pour définir le % de positifs, et sur ces cas positifs calculer le % de malades sévères nécessitant une hospitalisation.

3) Et il en déduit que 81% (pas 80 ou 79 ; 81 c'est précis, ça veut faire scientifique, mais ce ne l'est justement pas), donc que 81 % de la population du Royaume-Uni va être infectée. Pourquoi pas ? Parce qu'il est totalement improbable que 81 % d'une population totale d'un pays contracte le virus en quelques semaines. Ce n'est envisageable que sur plusieurs années. Ce qui rend déjà totalement fausses ses hypothèses.

4) il suppose ensuite que 4,4% seront hospitalisés : il prend ce chiffre à partir des premiers malades anglais. Or il extrapole le ratio hospitalisés/population malade à hospitalisés/population potentiellement malade, soit 81% des anglais. Il semble qu'il y ait un gros biais ici, car si le ratio hospitalisés/malades testés peut être fiable, on ne peut pas l'extrapoler à hospitalisés/ population potentiellement malade soit presque tout le monde. On sait déjà que de nombreuses personnes sont touchées par le virus, mais pas détectées car très peu malades.

Ensuite, il présume que 30% des hospitalisés auront besoin de réanimation intensive (d'après les quelques cas au Royaume-Uni à la date des calculs) et que 50% de ceux -ci décéderont, soit 15% des personnes hospitalisées. Il faudra vérifier les données en Chine ou en Corée pour fiabiliser ces chiffres.

Conclusion :

Le chiffre de morts prévisibles si on ne prend pas de mesures est complètement faussé par le biais de l'évaluation dramatique du ratio mortalité/personnes infectées, et de celui personnes infectées/population totale, et pour finir de la population infectée en quelques semaines.


Quant à l'impact chiffré sur la diminution du nombre de morts en fonction des mesures prises, on peut se demander comment cela a été calculé ?!

Comment arrive-t-on à passer dans le calcul de 500 000 morts à 40 000, voire 9 000 ?

 Les modèles mathématiques ont montré leur limite dans les prévisions économiques ; ils sont en train de montrer leur limite en matière de santé humaine ; du moins ce modèle là qui semble être le seul à avoir été proposé aux décideurs.

 Comment peut-on décider sans débat solide d'arrêter tout le fonctionnement d'une société :

 - de supprimer toutes les libertés individuelles, y compris les fondamentales comme par exemple enterrer ses parents et ses amis,

- d'atteindre très gravement aux droits de l'homme

- d'interdire tout contact aux personnes âgées dépendantes, alors que l'on sait que ce contact est nécessaire pour conserver l'envie de vivre

- d'autoriser la sédation finale en EHPAD sans accord du malade ni de la famille (décret 2020-360 du 28 mars 2020 «Rivotril »)

- de mettre en danger toutes les victimes de violences familiales (femmes et enfants)

- de mettre en errance tous les jeunes qui sont concernés par l'enfance en danger

- de risquer un décrochage scolaire irrécupérable pour une partie des élèves

- d'enclencher une fermeture catastrophique des petites entreprises de toutes sortes (commerces, para-médicaux, librairies, coiffeurs, maraîchers, pêcheurs, artisans, restaurateurs, petites et moyennes entreprises, spectacles et intermittents du spectacle, etc ) avec le chômage terrible qui va en résulter, et favoriser les grands groupes multinationaux (tel Amazon, par exemple)

- d'être responsable d'une catastrophe sociale

- de prendre le risque d'une pénurie alimentaire

Cette catastrophe uniquement sur un calcul non critiqué et non consolidé d'un mathématicien anglais (diplômé de physique et non de biologie), qui n'a qu'une approche qu'analytique et non systémique, et pense que les phénomènes biologiques et humains se réduisent à des tableaux Excel!

Ce qui n'empêche, bien sûr, que ce covid 19 est mauvais au niveau respiratoire (c'est bien un virus SRAS, pouvant causer un syndrome respiratoire aigu), donc qu'il met en danger les personnes fragiles. Que ces personnes sont fragiles soit par leur caractéristiques génétiques, soit par leur âge comme pour toutes les maladies, soit par leur état de santé, affections respiratoires, ou cardiovasculaires, ou diabète, ou obésité. Et donc que les personnes fragiles doivent se protéger, ce d'autant plus que les services sont à l'agonie depuis longtemps.

Mais que les calculs de Ferguson doivent être mis en cause très rapidement par toutes les personnes autorisées.

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