Durant à peine deux heures, passées à la vitesse d’une étoile filante, la libraire Passages s’est mise à battre au rythme d’un c(h)œur égyptien. Il y avait le corps d’Alaa El Aswany, venu présenter ses Chroniques de la Révolution Egyptienne, il y avait ses mains, et il y avait son verbe, fort, coloré, intelligent, drôle, une façon si délicate d’être à la fois fermeté, passion, intégrité et douceur qui tient à son être, mais aussi à toute une culture orientale si méprisée et méconnue. Quiconque a séjourné dans n’importe quel pays arabe a sans doute, comme moi, éprouvé devant tant de générosité et d’hospitalité un sentiment de honte en pensant à la façon dont la France accueille les étrangers, particulièrement venus du monde arabe. Mais hier, la générosité, l’écoute, le partage était assise (ou debout) à presque toutes les places de la librairie, et tant pis pour ceux partis avant la fin, avant ce moment magique (mais il y en eut tant d’autres) où Alaa El Aswany, les yeux brûlants, nous a redit sa confiance dans le peuple égyptien, dans cette révolution qui lui appartient parce qu’elle a jailli de lui, sa méfiance à l’égard des intellectuels qui sitôt institués méprisent un peuple qu’ils n’invoquent plus que comme un mot vide. Alaa El Aswany a commencé son intervention par la description des trois semaines passées place Tahrir, par ce moment révolutionnaire en soi parce que pacifique et de partage, où le peuple avait une réalité palpable, concrète, ensanglantée aussi, mais entière, entièrement fondu dans un «nous» faisant disparaître les egos. Du mot peuple en grec, est né un autre mot, très beau, qu’Alaa El Aswany appelle de ses vœux presqu’à la fin de chacune de ses chroniques : la démocratie, « La démocratie est la solution. » lance-t-il au bas de ses pages comme une signature. Un vent de cette démocratie soufflait de l’Egypte dans la librairie Passages, hier soir, à Lyon, pas seulement à cause du sujet, pas seulement à cause d’Alaa El Aswany, mais cause d’une façon d’être ensemble au milieu des livres et de laisser circuler une parole dont les accents (dans tous les sens du terme) étaient pleins de couleurs, de charme et d’intelligence. On a envie de dire merci.
Anne Monteil-Bauer, 19 novembre 2011