Une nuit, à 4h30, j’ai écrit ce courrier (que j’ai un peu élagué…) et que je vous offre en partage. Une amie m’a dit tu devrais le diffuser, je suis sûre que ça parlerait à beaucoup de gens, alors le voici. J’autorise toute personne à qui il pourrait être utile à s’en servir tout ou partie (en me citant, sans en déformer la lettre ni l’esprit, cela va de soi…), parce que nous avons le droit et peut-être même le devoir de réagir, parce le monde de l’entreprise envahit le monde médical et que c’est à nous de disposer ça et là les petits cailloux de notre résistance. Autant vous dire que je n’ai pas reçu de réponse à ce courrier …
Madame le Docteur …,
Je prends ma plume, qui maintenant a des allures de touches, parfois même lumineuses dans la nuit, mais qui depuis des siècles est celle trempée à l’encre de la douleur et de la révolte, celle qu’on prend ces nuits où l’on n’en peut plus. Cette lettre, je la mijote depuis un certain temps, mais je ne vous la posterai que quand je serai sortie de cette épreuve, si j’en sors … car toutes les nuits cette question m’agite : y aura-t-il une fin à ce calvaire que je traverse depuis trois ans et qui a pris un virage bien rude au moment qui devait être celui de sa résolution ? Or je n’ai pas envie de risquer que l’amour propre d’un médecin vexé réduise mes chances de guérison.
Un incident opératoire, ça existe, ne suis-je par particulièrement bien placée pour le savoir ? Ce savoir ne me réveille-t-il pas toutes les nuits depuis deux mois ? Au point d’en être arrivée à ne plus dormir tant je redoute ces réveils. Je me suis mise à attendre, ces changes, comme on guette un ennemi dans le noir, espérant le surprendre avant qu’il ne vous assaille, mon objectif devenant de me changer avant la pluie trop ruisselante de mon corps, avant qu’elle ne gagne et me rappelle que mon corps était troué, percé, perclus, ouvert encore sur mon péritoine. Faut-il vous expliquer vraiment ce que cela représente pour une femme ou vos études et votre expérience médicale vous ont-elle fait percevoir à quel point l’intime de l’être est lui aussi dévasté dans la débâcle de l’intime du corps ?
Un incident opératoire, ça arrive, aucun geste chirurgical n’est sans risque, nous signons maintenant des petits papiers qui nous en instruisent clairement. J’ai reçu, une liasse de feuilles pour m’expliquer ce qui allait m’arriver, avec des jolis dessins, c’est sûr, ça va plus vite que les mots et ça joue son rôle de couverture. Allez, hop, suivante ! Je les ai lus, ces papiers, relus, il n’y est pas question du temps de convalescence, il y est question des bains et des rapport sexuels à éviter durant un mois, mais rien sur la convalescence que vous n’avez pas évoquée avec moi non plus : la couverture est mitée, par un insecte terrible qui porte l’affreux nom de dépersonnalisation, accompagné de sa jumelle la non communication. Un papier, c’est bien, mais ça n’aura jamais dans ces moments de fragilité extrême de l’être où l’on devient le patient d’un médecin (sa chose ?) la force réconfortante et réparatrice (aussi) de la parole. Et permettez-moi de vous dire que vos papiers n’ont pas été écrits par des poètes, qui eux savent quelques fois nous apaiser, capables qu’ils sont d’ouvrir leur douleur pour en partager l’universalité avec les autres ; non, ces papiers sont techniques. Le mot est lâché, j’ai bien peur qu’il morde. Madame le docteur, vous êtes peut-être une super technicienne, mais je ne suis pas suis sûre que vous soyez un bon médecin. Un médecin soigne et le soin n’est pas dans la seule technique, une pathologie est à chaque fois, malgré toutes les règles majoritaires et incontournables qui l’accompagnent, une pathologie unique parce qu’elle est placée dans un corps unique, celui de quelqu’un. Je ne peux me retenir de citer la phrase de Luc Perino, médecin et écrivain, dont je ne saurais trop vous recommander la lecture : « Soigner une vessie, c’est bien, soigner quelqu’un, c’est mieux. ».
La plaie que vous avez malencontreusement infligée à mon corps, et dont la suture a craqué, s’est ré-ouverte : les suites de l’incident opératoire, vous n’avez pas voulu en entendre parler, le jour où mon corps m’a donné des signes alarmants, c’est l’hôpital public qui m’a reçue en urgence, sans pouvoir poser de diagnostic et m’invitant fermement à aller consulter au plus vite le médecin qui m’avait opérée. Ce que j’ai fait dés le lundi matin, après un week-end d’inquiétude et de désagrément croissant, mais votre secrétariat est très bien organisé et les secrétaires font magnifiquement barrage. On a pris note de ma plainte, on m’assurée que vous alliez personnellement m’appeler dans la journée et c’est le lendemain seulement que la même secrétaire m’a rappelée pour me dire qu’il n’y avait nul besoin d’une consultation anticipée, que je pouvais tout à fait attendre le rendez-vous post-opératoire prévu trois semaines plus tard. J’ai attendu, vous m’avez reçu, pris mes plaintes et mes symptômes à la légère, me remettant à ma place quand je vous disais avoir mal, parce qu’en principe, non, je ne devais pas avoir mal, puisque selon vous tout était normal ! Cependant ma petite histoire et mon entêtement peut-être vous ont trotté dans la tête, peut-être en avez-vous parlé à un ou une collègue ? Vous m’avez rappelée quatre jours plus tard, me disant que tout compte fait, il y avait bien quelque chose d’anormal et qu’un examen radiologique assez poussé (et désagréable) allait nous renseigner définitivement.
En effet, l’examen a été clair et il me fallait subir un seconde intervention chirurgicale, seulement, les choses n’étant jamais simples et les tissus de mon corps trop fragilisés par le première intervention, il me fallait attendre trois mois, troismois de douleurs, de nuits sans sommeil, de débandade du corps.
La plaie de mon corps venant de vos mains, même si c’était le résultat de risques inévitables, fallait-il vous en laver les mains ou les tremper dans le charbon de l’humanité ? Avoir quelques mots de compassion, par exemple, m’appeler après la radio et le rendez-vous avec le chirurgien qui allait m’opérer, la seconde opération n’étant plus de votre compétente ? Non, on se fait des courriers entre médecins et les patients sont censés se taire.
Est-ce cela votre technique, celle de la Clinique Privée où tout cela s’est déroulé ? Dénier la personne et enchaîner les opérations pour satisfaire les investisseurs ?
Je ne vous écris pas seulement pour soulager ma douleur et ma colère, je vous écris aussi pour toutes les autres femmes qui vont passer entre vos mains qui vont s’asseoir en face de vous, dans l’espoir que la parole ne soit pas vaine. Et puis, vous avez votre pouvoir. Nous, malades, sommes à votre merci, mais les écrivains n’ont pas leur plume dans leur poche et quand ils la prennent, c’est rarement pour se mettre du côté des puissants, mais plutôt pour ouvrir les silences et parler pour ceux à qui ne sont pas donnés les mots ; ne doutez pas que je fasse mon métier.
Anne Monteil-Bauer