A l'attention de monsieur Alde Harmand
Monsieur le Maire,
Je suis citoyenne belge et je vous écris aujourd'hui en ma qualité d'enseignante. Je viens en effet d'apprendre qu'une statue à la gloire du tortionnaire Bigeard avait été récemment érigée dans votre belle ville de Toul. J'en suis scandalisée.
Comment un général bien connu des historiens pour avoir enseigné et pratiqué la torture peut-il être honoré par la France, le pays des Droits de l'homme ? La devise de votre patrie ne serait-elle qu'un enjoliveur sur la façade des mairies ? La liberté, l'égalité et la fraternité ne sont-elles pas censées symboliser les valeurs fondamentales de votre République ? Ce dernier mot serait-il lui aussi vide de tout sens éthique ?
Que des statues de colonialistes du passé subsistent dans l'espace public, passe encore, pour autant qu'un appareil critique renseigne les passants au sujet des faits historiques et de la glorification pour le moins contestée de ces personnages. Mais qu'un tel monument - qui s'apparente à une apologie de la torture - ait été édifié en 2024 me laisse pantoise ! J'espère sincèrement que cette faute est imputable à de la méconnaissance, sans quoi j'y verrai une négligence coupable, voire de la complicité avec les racistes infréquentables de l'extrême droite.
Rappelons-nous le sort de ces pauvres hommes d'Algérie qui aspiraient eux aussi à la liberté, dont les pieds avaient été coulés dans une bassine de béton avant qu'ils soient balancés depuis un hélicoptère dans la mer Méditerranée, et dont on retrouvait parfois les cadavres gonflés, échoués sur les plages...
Ces jeunes hommes, à qui la vie avait été ainsi cruellement arrachée, on les appelait, avec tout le mépris déshumanisant inhérent à l'esprit colonial, les "crevettes-Bigeard", du nom du général qui était à l'instigation de ces crimes et que vous mettez aujourd'hui à l'honneur...
Souvenons-nous de leurs pieds lestés sous leurs yeux horrifiés, de leur indicible peur dans l'hélicoptère au battant ouvert, de leur chute vertigineuse dans les airs, de leur noyade forcée, de leur agonie dans l'eau glacée. N'oublions jamais.
J'espère sincèrement que vous accorderez au présent courrier toute l'attention qu'il mérite et que vous ordonnerez sans tarder la réparation de cette grave faute morale.
Anne Moury