Nous nous réveillons ce matin assommés, horrifiés —comment ne le serait-on pas—, mais, n’en déplaise à certains commentateurs dont, en ces temps de haine contre haine, les idées extrémistes sont rapides à affleurer, nous ne sommes pas —en tous cas je ne suis pas— désemparée au point de modifier ma façon de penser le monde. Loin de moi l’idée simpliste de croire que tout pourrait être réglé par le coup de baguette magique de la guerre de tous contre tous. Non, jamais nous ne devons céder à cette simplification.
Et si, sur les médias sociaux dans lesquels je m’exprime, je tolère ceux qui écrivent cela (et ils sont nombreux…), c’est parce que je reste ouverte et consciente des différences. Or, en ces temps de barbarie meurtrière terroriste, nombreux sont ceux qui croient détenir la ou les solutions alors qu’ils n’ont pas la moindre idée de la complexité du monde, d’abord et avant tout parce qu'ils refusent cette complexité.
Jamais je ne partagerai cet avis.
Depuis que j'ai commencé à couvrir ma première guerre en Tchétchénie en 1999, je sais que la violence en un territoire donné ne se cantonne jamais à celui-ci. La violence se diffuse comme l’eau sous la terre, elle se ramifie et se partage autant qu'elle divise les individus en autant de camps qui se font face.
J'ai vu ensuite l'Afghanistan et son lot de femmes, d'enfants et de civils tués parfois sous mes yeux, puis la même chose en Irak, et aujourd'hui en Syrie. J'ai ensuite subi l'apparition des trompe-la-mort que sont les kamikazes contre lesquels, qui que nous soyons, où que nous vivions, quel que soit le système de valeurs auquel nous adhérons, nous peinons à envisager une réponse adéquate.
Depuis mes débuts sur les terrains des guerres récentes de la fin du XXème siècle et du début du XXIème, j’ai compris que ce qui se passait ailleurs, soit-disant "loin de chez nous", avait et aurait des conséquences justement ici chez nous, dans notre bulle occidentale d’illusion de puissance, de réalité de luxe, confort et modernité.
On a fermé nos yeux et bouché nos oreilles. On a envoyé des militaires français sur des terrains de guerre sans en débattre au préalable dans nos opinions publiques, on s’est précipité militairement en Afghanistan (pas en Irak) sans posséder la moindre idée politique réaliste pour l’après-militaire, on a modifié nos stratégies au gré de ces « théâtres d’opération », on s'est laisse influencer par des intellectuels-imposteurs prêts à tout pour tenir une "posture" égocentrique leur assurant une médiatisation immédiate et de long terme.
On a pratiqué la politique de l'autruche chez nous, en France, en ne voulant pas vraiment savoir ce qui était en train de se tramer dans les esprits de tas de gens qui sont capables d’avoir la haine au point de vouloir nous tuer et se tuer ; des gens qui sont nés en France, ont été éduqués en France, ont cherché du travail en France, parfois en vain, puis ont fini par se retrouver en dehors des circuits « normaux ». Il est vrai que savoir cela et y faire face est dur et cela fait mal.
Aujourd’hui, face à ces événements barbares, nous sommes finalement face à nous mêmes, face à notre société, face à cette société que nous avons construite ensemble. Nous la regardons avec horreur et voyons ce qu'elle est aussi capable de produire : de la terreur, de l'inhumanité.
Personne n'a la moindre idée de ce qu'il faudrait faire ou dire. Les politiques vont parler, instrumentaliser, mais la réalité est qu’ils ne savent que faire. Moi non plus. Les kamikazes sont morts: une fois de plus, on ne saura pas ce qu'ils avaient dans la tête, ce qui les a motivés, comment ils en sont arrivés là, qui les a aidés, qui les a poussés. Pourquoi ils nous haïssent et se détestent tant.
Pendant ces trois jours de deuil, au moins, réfléchissons à ce que nous venons de vivre, à ce à quoi nous avons échappé, et à ce qui pourrait encore advenir, avec bon sens et sans hystérie.