Sur le fond, J. Toubon a dit très simplement l’essentiel : « Si cette déchéance pour les Français nés Français était votée, je pense qu'on passerait d'une République indivisible à une République divisible et que l'on passerait d'une citoyenneté indivisible à une citoyenneté divisible ».
Pour les soit-disant pragmatiques, qui n’ont cure des principes, Marc Trévidic a dit ce qui convenait : "On n'exporte pas un terroriste ! Que se passera-t-il si l'Algérie, les Etats-Unis nous adressent des déchus ? Allons-nous les accepter ? (…) Comment expulser un individu qui a toujours vécu en France ? Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu'un né chez nous ?"
Quant au fond politique, on peut reprendre les mots de Guillaume Balas : «Ouvrir ainsi une telle voie royale au FN, c’est une faute morale»
Mais Mrs Valls et Hollande savent tout cela. Alors pourquoi ?
Arrêtons de prendre Hollande pour un imbécile. Croit-on sérieusement qu’il n’a pas mesuré les réactions que provoquerait cette « ultime rupture » (Plénel), « l’infamie en plus de l’incompétence » (Piketty). Alors ?
1. Comme le note un observateur, la conduite de ce quinquennat n’a rien d’erratique :
« le temps de la présidence, loin de ces « tournants » si souvent décrits, peut se lire comme l’accélération progressive et continue d’une mutation : la transformation de la gauche, de sa pensée et sa pratique, l’enterrement du socialisme au profit d’un social-libéralisme assumé,
dans les actes sinon dans les mots, adapté à une société postmoderne et une économie mondialisée. »
(Et-Francois-Hollande-enterra-le-socialisme, Francis Brochet, ed. Archipel)
2. Mais nous sommes sans doute parvenus à un moment charnière. Il faut écouter Gérard Grumberg, politologue bien en cour : dans l’immédiat, « le problème c’est d’arriver au 2ème tour de l’élection présidentielle, tout le reste n’a aucun intérêt ». Mais, au-delà : « ce système de trois partis, dont tout le monde est contre les deux autres, est quelque chose qui ne peut pas durer très longtemps ».
Pour Julien Dray aussi, une "nouvelle période politique s'ouvre" et il indique que le PS "va lancer dès demain un nouveau projet, on va changer beaucoup de choses, vraisemblablement le nom du parti." Pour Jean-Christophe Cambadélis, c’est « le dépassement du PS » qui est à l’ordre du jour.
Si le temps de la recomposition s’annonce, on ne saurait se contenter de prôner un social-libéralisme assumé. Il y a un impératif : laisser la gauche exsangue.
Dans ce but, sur quoi faire la rupture ? Certainement pas sur la lutte contre le chômage, ni sur la rupture avec l’Europe austéritaire, et autres sujets qui risqueraient de laisser trop d’espace à gauche. D’où le terrain choisi : être le Président de guerre, protecteur de la Nation, contre l’angélisme d’une gauche accrochée à des principes d’un autre temps (d’avant-guerre ?). Faire des adversaires de l’atteinte à la citoyenneté les défenseurs (les complices ?) des terroristes, n’est-ce pas bien joué ?
(On peut lire dans le huffingtonpost, sous la plume de Patrick Martin-Genier : « Avec le revirement intervenu à propos de la déchéance de nationalité, la gauche est en train de chavirer sur ses fondements, ses valeurs ses convictions. (…)Comme aurait dit Roselyne Bachelot à propos de Jacques Chirac, il est aujourd'hui possible de dire la même chose à François Hollande : "bravo l'artiste !". »).
C’est pourquoi, si nous avons bien affaire à « une faute morale » et à « une infamie », ce n’est en rien une erreur politique. Et les réactions d’Eric Fassin (« À gauche, il est grand temps de former un front démocratique contre la dérive du régime. »), de Guillaume Ballas («La question se pose de savoir si nous sommes encore dans la même famille. »), de Piketty, et de nombreux autres, sont les réactions attendues.
Ainsi « est advenue cette gauche nouvelle qui enterre le socialisme, et avec lui tout un pan de l’histoire de France. Cela ne s’est pas fait d’un coup ni déroulé selon un plan linéaire. Le dessein en avait été conçu dès « La gauche bouge »*. (…) Et c’est dans la fidélité à ses convictions de toujours qu’il enterre aujourd’hui ce socialisme. » (Francis Brochet, id.)
C’est dans la fidélité à ses convictions de toujours qu’il enterre aujourd’hui le socialisme.
* En 1985, il publie, aux côtés de Jean-Pierre Jouyet, Michel Sapin, Jean-Michel Gaillard et Jean-Pierre Mignard et sous le pseudonyme de Jean-François Trans (pour transcourants), un livre intitulé La Gauche bouge, qui appelle à la fondation d'un parti démocrate à l'américaine sur les bases d'un « consensus stratégique entre [le PS] et les courants démocratiques du pays, au-delà du clivage gauche-droite » (Source : Article François Hollande de Wikipédia en français)