billet originellement publié sur le blog SOKNISATION le 4 mai 2017
Juin 2015 à Bamako, quartier Badalabougou, là où les jolies maisons et leurs jardins tropicaux s’alignent le long du fleuve, entre les deux ponts envahis de petites motos bruyantes et de taxis jaunes hors d’âge.
Derrière la grande moustiquaire qui protège la terrasse, deux chats m’observent m’agiter dans la trop vaste maison, pieds nus sur le carrelage marron toujours poussiéreux. Je suis en nage.
Faire ses cartons en cette saison est une épreuve. Les coupures d’électricité durent des heures, les ventilateurs sont inutilement branchés et souvent, lorsque pour se rafraichir on ouvre le robinet, rien ne coule. Les quartiers les plus huppés ne sont pas épargnés, mais, rassurez-vous, la 4G, elle, fonctionne toujours à merveille.
Il y a 2 ans pile, Y et moi arrivions à Bamako avec 4 grosses valises. Mais pour repartir, il nous a fallut aller au-delà de la rue de Bougouni, au marché des métaux, faire fabriquer des malles par les forgerons. Nous repartons avec d’encombrants souvenirs.
Quelles sont longues ces chaises en métal de récup’. Une fois de retour chez nous, assis sur ces dernières, verrons-nous comme à Ségou le fleuve couler imperceptiblement vers Tombouctou au pieds des bâtiments de terre crue ? Entendrons-nous le vrombissement des moteurs des pirogues des pêcheurs de sable, dont le travail de forçats est un incessant balai ? Nos papilles auront-elles encore le goût des beignets délicieux de haricots ? Nos peaux souffriront-elles du vent violent qui soulève le sable juste avant l’orage ? En emballant teintures bamakoises, poteries ségoviennes et cuir kidalois, la nostalgie m’envahie. Est-ce que c’est un peu du Mali que j’empaquette ?
Les premières pluies de la saison arrosent déjà la capitale un jour sur deux. Entre les énormes gouttes, les amies passent dire aurevoir, et choisir quelques accessoires que l’on a décidé d’abandonner, car on ne veut pas tout emporter. Pas de petite annonce. On donne aux amis et voisins ce qu’on ne rapporte pas… J’emballe soigneusement le catalogue des rencontres de la photo, l’ouvrage sera bientôt sur une étagère de ma bibliothèque provençale.
Les cartons sont dans les malles métalliques, quelques part, sur un gros camion, dans un nuage de poussière, entre Bamako et Dakar. Les chanceux font un beau voyage. Peut-être sont-ils déjà au poste de douane après Kayes, ou même filant le long du fleuve Sénégal. L’entreprise de déménagement international a tout emporté hier. Moi je file vers l’aéroport, c’est un temps entre parenthèses, les souvenirs qui s’entrechoquent. Est-ce que je reviendrai ? La traversée de Port-au-Prince, se rappelle à moi. Ses rues tortueuses, je ne les pas encore revues.
Mes cartons sont sur un camion, mes amies au travail, l’enfant qui ramasse les ordures du quartier est sur la charrette tirée par le petit âne, le flux de « Jakarta » inonde le pont des Martyrs, les pêcheurs Bozo jettent leurs filets dans un geste gracieux, et mon taxi brinquebalant file vers l’aéroport. Est-il encore temps de se fabriquer quelques souvenirs de Bamako? Ou bien ma vie malienne est-elle désormais à ranger dans les archives de ma mémoire? Qu’il est mélancolique ce moment charnière, si triste de partir et si heureuse de retrouver bientôt la douceur de la vie Drômoise.
Deux mois plus tard, quatre ex-militaires, ayant très visiblement choisi de garder leur coupe de cheveux et leurs tatouages, frappent à la porte de ma petite maison provençale. (Ca n’est pas sans rappeller l’ambiance de quelques restos de Bamako !). Les anciens mili reconvertis dans le fret international déposent mes malles et mes cartons dans mon salon inondé de la lumière estivale. Elles en ont mis du temps; elles ont trainé dans un entrepôt à Dakar, avant de longer très lentement la côte mauritanienne, le Sahara Occidental, le Maroc. A Marseille, la douane les a presque éventrées mais les cartons sont bien là, dans mon petit village.
L’odeur de Bamako vient alors couvrir celle de la lavande fraichement ramassée. La poussière de la maison trop grande est restée collée à chaque objet.
Les sourires, les échanges autour d’un verre de thé, les concerts, les virées dans les boutiques de wax entre copines, le marché aux poteries, les danses takamba, les heures à regarder couler le fleuve majestueux, ses méandres et ses incroyables couleurs, c’est un peu tout ça que j’ai voulu emporter dans mes cartons, même si, à l’arrivée, il n’en reste que quelques objets inutiles, de la poussière gluante et l’odeur tenace du cuir mal tanné.