billet originellement publié sur le blog SOKNISATION le 13 novembre 2016
Niamey, 2 septembre, dans une semaine Hadiza sera de mariage et, pour aller à « la guitare », elle compte revêtir un superbe bazin au prix exorbitant !
« Bazin » ? Non, aucun rapport avec Hervé. «Bazin» est le nom d’un tissu damassé, teint à la main et particulièrement amidonné, imprégné de gomme arabique, lui donnant un aspect brillant et rêche, un peu comme une toile cirée. Le tissu vient du Mali, ou, plus exactement, il est teint au Mali. L’étoffe est généralement tissée industriellement en Allemagne ou aux Pays-Bas, voire en Chine. Mais ceux qui en ont les moyens préfèrent « la qualité européenne ».
La noce a lieu dans moins de 7 jours. C’est une véritable course contre la montre qui démarre pour Hadiza : il faut choisir l’étoffe, convaincre un bon tailleur de l’urgence de la commande et s’offrir les services du meilleur brodeur de la place. Pourvu que les premiers essayages soient concluants, sans quoi, notre fashion victim saharienne exilée dans la capitale nigérienne, devra se rendre à la fête, comble du mauvais goût, avec une ancienne tenue.
Au grand marché de Niamey, après avoir réussi à s’extraire des terribles embouteillages qui l’encerclent, Hadiza fonce directement à la section « bazin ». Ici, des dizaines de marchands semblent tous vendre la même chose. Les piles de tissus colorés s’alignent; les plus chers sont protégés sous des plastiques transparents. Hadiza choisit, chez son commerçant habituel, un « bazin riche ». On distingue, en effet, plusieurs qualités de bazin, dont le plus cher et recherché est celui dit « riche ». Il est tissé en Europe, dans un coton de grande qualité, et le motif de son damassé est particulièrement complexe. Celui ici choisit a ensuite été teint à Bamako d’un incroyable rose fuchsia qui pourrait donner mal au crâne à un regard non averti.
Vous l’aurez compris, ici, le prêt-à-porter n'existe pas. Il faut maintenant se rendre chez un tailleur-brodeur. Les meilleurs artisans sont débordés; les files d’attente peuvent être longues devant les échoppes les plus prisées. Les couturiers travaillent toute la journée, souvent toute la nuit, et, si le brouhaha des machines à coudre et broder cesse d'un coup, ce n’est qu’à cause de « la coupure ». Ce sont ainsi les pannes d’électricité qui rythment le travail. A la saison chaude, le courant revient généralement à la nuit tombée. Si vous passez à 1h du matin au rond-point Château 8, vous verrez sans doute la petite cahute du brodeur allumé, bossant temps que le courant est là. Déjà, tant de commandes seront livrées en retard !
L’atelier ne paie pas de mine ; une dalle de béton fissurée, un toit de tôles, quelques établis, de vieilles machines à coudre et un raccordement électrique inquiétant. En arrivant, on marche sur les chutes de tissu répandues au sol et les sachets d’eau vidés par des artisans en nage. Hadiza saisit un vieux catalogue proposant différents modèles démodés. Elle le feuillette mais sait déjà ce qu’elle veut. Sa cousine Maryam, qui vit à Dubaï, vient de lui envoyer sur WhatsApp l’image d’un modèle 3 pièces très sophistiqué. « En y ajoutant quelques broderies au niveau de l’encolure et des manches, ce sera parfait » précise le message instantané.
Plus la broderie est énorme, mieux c'est et plus le travail est cher ! Le brodeur, Aka, est béninois; il vit et travaille pour le moment à Niamey. Il économise dans l’espoir de partir toujours plus au Nord, vers l’Algérie au moins, en Europe, pourquoi pas. Aka est un véritable orfèvre, avec sa machine et ses innombrables fils de couleur, il réalise d’invraisemblables décors brodés. Sa réputation grandit et les jeunes femmes sont prêtes à débourser beaucoup de FCFA pour son travail.
Hadiza négocie avec calme mais détermination. L’artisan ne se laisse pas impressionner, il est habitué à ces exigeantes clientes. Notre Agadézienne connaît les prix et, même si la négociation peut paraitre interminable, elle est incontournable. Comme toujours, nos deux exilés tombent finalement d’accord sur le prix. « La commande sera prête dans une semaine» lance le tailleur.
La fête est dans 7 jours et Hadiza sait que ce genre de « une semaine » a vite fait de se transformer en deux ! Elle se lance donc dans une nouvelle négociation pendant que l’apprenti prend son tour de taille et de poitrine. C’est d’accord pour cinq jours mais Hadiza repassera régulièrement constater l’état d’avancement de sa commande dans les jours à venir, histoire de s’assurer que le travail a bien commencé.
La guitare a lieu ce soir. Au fond de l’atelier, c’est l’heure de l’essayage. Le tissu est si tendu, les coutures nous semblent sur le point de céder lorsque la fermeture éclair atteint son but. Hadiza est ravie, la tenue est aussi magnifique qu’espérée ; elle brille et fait un bruit infernal de toile cirée. Quelques ourlets devront être réajustés d’ici ce soir; l’apprenti déposera la version finale directement chez elle, quartier Bobiel, avant 20h, inch’allah.