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Billet de blog 1 juillet 2019

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Villa Médicis : les pensionnaires à l’heure du bilan

Leur travail, le regard qu’ils portent sur cette année passée à la Villa Médicis : petit florilège des témoignages recueillis auprès de certains pensionnaires en marge de l’exposition Le vent se lève

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François Hébert, cinéaste

Après mes études à la Fémis, j’avais du mal à passer à la fiction, j’éprouvais le besoin de poursuivre mon travail sur les images. Dans les films que j’ai faits par la suite, j’ai mis en place un système de récolte documentaire sans intention fixe mais qui essaye de répondre au sentiment que j’ai au moment où je filme. Après, je prends les images et j’essaye de construire une narration autour d’un personnage. Au moment de Réponses au brouillard, nous avions une question en tête : à quoi rêvent les jeunes gens qui habitent à Guingamp ? Quand Théophane nous a dit que son rêve le plus grand était d’avoir un travail et une maison, de rencontrer une femme, cela nous a donné une leçon. En réalité, il exprimait le rêve commun, celui de la majorité qui est aussi le mien. J’ai notamment profité de cette année pour faire de la recherche. Sur la question de l’effondrement, je ne veux plus aujourd’hui porter un discours uniquement alarmiste, j’ai besoin de trouver des moyens d’action. Les zones limite, dont l’œuvre d’Aby Warburg porte la trace, dans lesquelles le travail peut s’inscrire me semble-t-il, m’intéressent.

 Hélène Giannecchini, écrivaine

Avant d’arriver à la Villa Médicis, j’avais déjà un projet de livre mais beaucoup de choses étaient encore incertaines. Le projet a tellement évolué qu’en novembre j’ai mis l’intégralité de mon livre à la corbeille et recommencé. Pour moi, c’est la plus belle chose que la Villa m’a offerte. Le premier projet avait du sens, mais le fait d’être ici m’a permis d’aller plus loin, d’être beaucoup plus exigeante. Le fait de ne pas avoir d’obligation de résultat permet de rater sereinement. Je ne suis pas triste de partir. Je pense à la joie de la personne qui prendra ma place dans cet appartement lorsqu’elle va arriver en septembre. Je trouve cela très bien que ce soit un lieu où l’on passe et que l’on se passe.

 Mathieu Lucas, architecte

En arrivant ici, j’étais obsédé par le Land Art, sa capacité à raconter le mouvement, et par celui qui en est une figure incontournable, Robert Smithson. Une chose m’a frappé : quand Smithson est arrivé à Rome, il a commencé par ne dessiner que des crucifix dans les églises du centre de la ville, mais à un moment donné, il a eu besoin de sortir de la ville. Or, c’est un peu ce qui m’est arrivé : j’ai d’abord voulu travailler dans le jardin, sur la plante et le dessin classique, puis à un moment, il a fallu que je sorte de la ville, que j’explore la métropole, les « non lieux » où il y avait une question que je voulais travailler.

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"Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les montres", citation d'Antonio Gramsci au mur de l'appartement d'un pensionnaire

Pauline Lafille, historienne de l’art

Je me suis aperçue que la question de la mise en scène des sons dans la peinture n’était pas très étudiée. J’ai voulu l’explorer lors de cette année à la Villa Médicis. Je prépare en ce sens un petit film sur la bataille d’Ucello pour l’exposition Viva Villa ! qui aura lieu en octobre à la collection Lambert à Avignon. Le but n’est pas de bruiter le tableau mais que le son soit une manière de mieux voir. La notion clé, c’est celle de la renommée. La gloire dans l’histoire et dans celle que l’on crée par la peinture est une mémoire pensée sur un mode sonore. Selon moi, la volonté de mettre du son dans les tableaux d’histoire est une manière d’anticiper la renommée métaphorique.

Frederika Amalia Finkelstein, écrivaine

Dans mon projet d’écriture en cours, je souhaite prendre de la distance par rapport au « Je ». C’était déjà en jachère dans ma tête, mais cette année a été décisive. J’ai notamment beaucoup discuté avec Miguel Bonnefoy qui est un défenseur de l’invention complète. Ces conversations m’ont beaucoup apporté. Je ne viens pas de là en littérature. Longtemps, les dialogues m’ont ennuyée dans les romans, mais en parlant avec lui, je me suis dit que je pouvais y prendre goût. La chose la plus belle que j’ai eue ici, c’est le temps en continu, je peux lire et écrire – qui sont pour moi des activités consubstantielles – pendant des heures sans avoir à me préoccuper de quoi que ce soit.

Illustration 2
© Académie de France à Rome - Villa Médicis, Daniele Molajoli, 2019

Thomas Lévy-Lasne, peintre

Le colloque sur l’anthropocène – « Reconstruire le regard, chantier ouvert autour de l’anthropocène » – qui a eu lieu en mars et dont j’ai été l’un des organisateurs aux côtés de François Hébert et Riccardo Venturi, va modifier ma pratique et ma façon de représenter le monde. Nous sommes dans une société individualiste, mais dès lors que l’on parle de survie, l’individu redevient une espèce. C’est un peu vers cela que j’ai envie d’aller, représenter des hommes dans un paysage mais comme des animaux un peu ridicules, de loin, dont on ne sait pas trop ce qu’ils vont devenir. J’avais besoin de travailler ces questions. À présent, je pense que je vais les traiter en peinture pendant cinq ans.

Stéphane Villard, designer

Une question a traversé tout notre temps de résidence : comment est-on designer en 2019 ? Comment fait-on si on prend en compte les grands enjeux liés à la surproduction et aux impacts des productions industrielles sans renoncer à la création ? Il faudrait littéralement créer des objets en plus qui auraient vocation à générer des objets en moins, des objets trous noirs qui auraient la capacité d’absorber le surplus, le néfaste, d’où le projet que nous développons de travailler à partir des déchets ultimes, les déchets d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères que nous rendons inoffensifs et à partir desquels nous créons des objets.

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