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Billet de blog 11 décembre 2020

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Paris, décembre 2020

Le protocole : chaque jour, documenter par l’écriture et l’image le Paris de décembre 2020 parcouru à pied. Au hasard, les 8, 9 et 10 décembre.

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 8 décembre

 À sortir le soir, on voit tout. Dans le noir, tout ressort. Pas seulement l’intérieur des salons de coiffure, qui sont comme un fil rouge, de celui de la rue de Dunkerque, fauteuils vintage - The Barber des frères Coen n’est pas loin - à ceux de la rue du Faubourg Saint-Denis, au cœur du quartier indien, flashy, où en vitrine on propose la coupe à dix euros. Pas seulement non plus au même endroit les bijouteries, qui ne sont jamais désignées comme telles - c’est « Jewellery » qui s’égrène à intervalles réguliers tout du long - qui brillent de mille feux, les bijoux assez peu discrets n’en demandaient pas tant. Bling-bling au carré. Il n’y a que dans les « Auto Centers » de la banlieue de Los Angeles que l’éclairage est aussi surpuissant.    

Illustration 1

Tandis qu’aux abords de la Gare du Nord, la foule, que fend une trottinette, ou qui voisine avec les cyclistes sur les pistes dédiées, n’est pas moins nombreuse qu’à l’ordinaire, ce qui saute aux yeux est bien différent : duvets sous les entrées d’immeubles ou de commerces fermés, homme entre deux âges tenant à peine debout près du terminus des bus de la Gare du Nord, femme accroupie, occupée à un tri, près du contenu d’une poubelle jaune, filets de liquide qui veinent le trottoir rue de Saint-Quentin, odeur de pisse.

 9 décembre

 Il est presque 19 heures. Au Burger King du boulevard Barbès, les militaires de Vigipirate, chacun à une borne, passent commande. De l’extérieur, impression d’une même image dédoublée : bornes identiques, silhouettes en uniformes se ressemblant toutes. Plus haut, un homme âgé, qui marche avec une canne - sans doute était-ce lui un peu plus tôt sur le côté droit - échange quelques mots avec le patron du bistrot de Château Rouge, autorisé comme ses collègues à vendre des boissons à emporter, avant de repartir. Le bar est resté, comme on dit, « dans son jus » : comptoir et intérieur typiques des années 70. Il n’en faut pas plus pour supposer que le patron, qui de loin, semble-t-il, n'est pas tout jeune non plus, et l’homme âgé, se connaissent depuis cette époque. Impression, cette fois, d’une attention accrue aux personnes âgées dans la ville. Émotion allant de pair avec elle.

Au métro Château Rouge est installé un barnum où l’on peut se faire tester au Covid-19.

La poissonnerie Dejean, dans la rue du même nom, a fière allure. Je fais quelques images. Tilapia, capitaine… ce n’est que maintenant, en zoomant, que je découvre le nom des poissons connus. Il y a foule à l’extérieur du bar tabac « Le Morzine », où on joue aussi comme en atteste l’enseigne éclairée « Française des jeux ». Le décalage entre les géographies, les sommets enneigés d’un côté, la population jeune qui a des attaches dans les pays dont les noms s’affichent au fur et à mesure que l’on avance dans le quartier, Cameroun, Congo, Haïti, Côte d’Ivoire…est savoureux. Aux confins, rue Ordener, une fresque célèbre déjà la mémoire de Diego Maradona.

Illustration 2

 10 décembre

 Enfants installés à de petits bureaux exactement comme dans les salles de classe penchés sur leurs cahiers d’écriture ou écoutant un adulte près d’eux, rayonnages de livres tapissant les murs : à l’intersection des rue Milton et de la Tour d’Auvergne, dans les locaux de l’association « Tout autre chose » qui propose du soutien scolaire dans le 9ème arrondissement, on ne chôme pas, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est un peu plus de 18 heures. On peut imaginer la journée de classe qui a précédé et les enfants venus en voisins de l’école. On ne peut pas mieux dire : celle-ci se trouve aussi rue Milton, François Truffaut y a été scolarisé. Image réconfortante dans cette période où les risques, les dangers, les fragilités sont partout, mais où le décrochage scolaire, qui fait craindre un avenir au rabais, des rêves envolés pour les plus jeunes, désole encore plus. Dans le 9ème se dit-on, les choses sont bien prises en main. En continuant d’avancer rue de la Tour d’Auvergne, la guirlande qui habille l’accueil des services sociaux de la Ville de Paris - une crèche et un centre médico-psychologique sont logés au 18 - donne le sentiment, de même, que les services publics, contre vents et marées, tiennent malgré tout debout. Images saisies au vol ensuite : un homme rue Bellefond qui tague une inscription à toute allure sur un abri métallique pour deux roues. Quand il relève la tête, il semble surpris - mécontent ? - que je l’aie vu. Un autre assis près de la Gare de l’Est, faisant la manche, qui fait tourner, à la manière d’une baguette de majorette, une tige en bois entre ses doigts. Un autre encore qui fait rouler des palettes en plastiques rangées les unes au-dessus des autres. Sans doute vient-il de déposer sa livraison. On pense à travers lui à tous les livreurs, d’Amazon, de repas…

19 heures n’a pas encore sonné au moment où je passe Gare de l’Est comme en atteste la photo prise à ce moment-là.

Illustration 3

Discussion au retour avec une des propriétaires de l’immeuble,  son mari, bouquiniste, entrepose ses livres dans plusieurs pièces débarras au rez-de-chaussée. Elle me demande si j’ai été gênée par le bruit récemment. Il semblerait qu’il y ait un DJ dans l’immeuble. La police a dû intervenir en pleine nuit. Effectivement, cela me dit quelque chose. Elle ajoute : « Dire que la pianiste, qui l’a précédé, a dû partir parce qu’elle dérangeait la psychanalyste juste en-dessous ». Le DJ, lui, à moins que la psychanalyste se mette à consulter la nuit, ne risque rien.

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