En décembre dernier, un préfet - flairant sans doute la sauce que mitonnait son patron à l'Intérieur - refusait une carte de séjour d'un an, assortie du droit de travailler [1] à un étranger débouté de l’asile mais légalement qualifié pour l'obtenir et, dans la foulée, le sommait de quitter la France dans les 30 jours : « (...) - Considérant que monsieur X (..) est en hébergement d'urgence et sans ressources légales; que cette famille de sept personnes constitue une charge déraisonnable pour l'Etat français et (…) qu'en se maintenant de manière illégale sur le territoire français il n'a pas respecté les valeurs de la République (..) etc." Ce prothésiste dentaire diplômé - débouté du droit d'asile - ne demandait qu'à 'respecter' la valeur travail mais, précisément, on lui refuse le droit de travailler, tout comme à son épouse et à leurs trois filles, jeunes adultes (ses 2 jumeaux sont scolarisés, comme la loi l'exige).
Cette 'charge déraisonnable' que feraient peser les exilés sur le Budget de l'Etat était présentée, il y a trois ans, en ces termes dans Le Parisien (13 04 2015) citant un pré-rapport de la Cour des comptes sur l'asile qui avait 'fuité': Les «dépenses totales effectuées pour les demandeurs d'asile [représentent] « une hausse de 60 % en cinq ans ». «Pour les demandeurs d'asile, le coût global s'élèverait à 990 millions d'euros environ en 2013, contre 626 millions d'euros en 2009 » (…). Pour les déboutés, le montant des dépenses « serait équivalent à celui consacré aux demandeurs d'asile », à savoir, 1 milliard d'euros par an (..). Et la CDC de préconiser de « réduire le montant des allocations mensuelles versées aux demandeurs d'asile » (sic) d'accélérer le traitement des dossiers et d'«exécuter les obligations de quitter le territoire français pour les personnes déboutées » accréditant ainsi l'idée du coût exorbitant des exilés.
D'évidence, en durcissant (euphémisme) la politique de l'asile et du séjour des étrangers, c'est à ces millions de Français (à qui « on ne demande pas ce qu'ils pensent », aux gens 'd'en bas' et à leur entourage - ulcérés, de surcroît, d'être traités d'égoïstes) que s'adressent aujourd'hui un Président et des ministres en quête de soutien populaire et électoral à leur cascade de réformes menées à la hussarde.
Dirigé par un ex-ministre de l' Economie (et qui occupait déjà ce poste quand paraît le Rapport de la CDC) l'exécutif sait parfaitement qu'un pays comme la France peut financer bien plus que ces 2 milliards. Président et ministres savent qu'une telle somme est dérisoire, comparée ne serait-ce qu'à ce que perd le Budget de l'Etat par la fraude, l'optimisation et la nouvelle politique fiscales. Sans même parler des richesses que, régularisés, les exilés apporteraient, à terme, au pot commun, une fois au travail. Et du travail, il y en a.
Brefs rappels : en France, l’évasion fiscale représente 60 à 80 milliards d’euros de manque à gagner d’après 'Solidaires Finances publiques'. S’y ajoute l'effet des niches fiscales qui s’élève à 90 milliards d’euros chaque année, d’après… la Cour des Comptes. Selon une commission d’enquête du Parlement européen, l’Union européenne perdrait chaque année 1000 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales du fait de l’évasion fiscale (y compris « évitement fiscal offshore et optimisation fiscale agressive»). En France encore, le remplacement de l'ISF par un impôt sur les seuls bien immobiliers prive le Budget de 2018 de près de 5 milliards - deux fois plus que le «coût» des exilés en 2015. Pourquoi, s'en prendre alors à ceux-ci et non à ce gouvernement qui fait ces cadeaux à une poignée de riches et de puissants dont on sait pertinemment que les milliards ainsi économisés ou cachés à l’étranger n'iront guère plus qu'avant à des investissements productifs ?
Autre perte pour le Budget : l’introduction simultanée d'un prélèvement obligatoire unique sur les plus-values mobilières, soit un manque à gagner pour le Budget de 5-6 milliards d'euros/an : 2-3 fois le «coût» des exilés. En contrepartie l’exécutif cherche les quelque 11 milliards qui lui manquent chez les plus ‘faibles‘: réduction progressive du nombre de contrats aidés, des aides au logement, majoration de la CSG pour une masse de retraités pas-riches-du-tout, s’en prend aux services publics et rogne les budgets locaux. Mais nos gouvernants - ces avocats de l'innovation et 'en même temps' cuisiniers à vieilles recettes - taisent soigneusement ces évidences. Ces 'philosophes' et 'en même temps' politiciens retors, confient à de bonnes plumes une double tâche: sonner le tocsin de la «grave crise de société » qui guetterait la France et en désigner les coupables: - En 2015 l'immigration régulière bat tous les records (..) si le gouvernement n'est pas responsable de la situation actuelle (..) il doit manifester dans les faits, et pas seulement dans les gestes et les paroles, une volonté (..) de retrouver un niveau de flux migratoire compatible avec les capacités d'accueil et d'intégration du pays et de prouver que l'Etat a bien les choses en main ». Au style près, même rhétorique et même bouc émissaire - ce bon vieux bouc - que dans les propos des malheureux - au double sens du terme - cités plus haut. Sauf que l'auteur,[2] lui, sait parfaitement de quoi il retourne, ceux-ci -non. Et de poursuivre : « la France (..) sanctionnera par son vote (c'est nous qui soulignons) les dirigeants qui auraient laissé la situation se dégrader »[3]. Autrement dit :- Attention, élections ! Quoi de mieux et à meilleur marché que le le thème des étrangers exilés pour attirer les voix à quelques mois des européennes ?
Mais, dira-t-on , beaucoup de gens ne sont pas dupes et résistent. Certes ! telle personne, tel groupe de voisins, tel village, se dévouent pour l'accueil des exilés qui croisent leur chemin. Parfois même à leurs risques et périls, en bravant les foudres de la justice . Les exemples abondent, éloquents. Mais ils sont minorité et, à l’heure où ces lignes sont écrites le projet de loi devient loi.
Conclusion ? Face à une loi inique, en parallèle aux multiples appels au respect des traités et aux droits humains, il faut crier et répéter pour que tous entendent - à commencer par les plus démunis - chômeurs peu ou pas indemnisés, retraités qui ne peuvent se chauffer, mères isolées en retard de loyer, familles en attente sans fin d'un improbable HLM, tant d'autres encore: leur galère n'a rien à voir avec l'accueil des exilés.
Post-scriptum (1er août) : Mais crier où - quand la quasi-totalité de la presse appartient aux puissants ?
[1]Délivrée moyennant 650 euros (et renouvellement payant )
[2]Maurice Lachaize (pseudonyme d'un haut fonctionnaire)
[3]Le Figaro 18.01.2018