Parce que je suis française, je porte comme un fardeau le déshonneur de la France dans les années 30 et 40. Bien sûr, aucun pays n’est innocent, ni aucun homme. Aucune époque non plus. Mais la somme de nos bassesses et de nos vilenies aboutit parfois au pire. Et ce pire, mon pays l’a connu. Sans doute les citoyens ne l’avaient-ils pas vu venir, ou pas d’assez loin. Heureusement, il y eut la Résistance, et les Justes. Un concentré de l’humanité, donc, capable du meilleur comme du pire.
Soyons donc vigilants – non, je n’approche pas le point Godwin, suivez-moi jusqu’au bout. Nous sommes en train de vivre un coup d’Etat masqué. Notre président a obtenu le pouvoir par les urnes – mais de la façon que l’on sait. Premier coup de boutoir sur une « démocratie » déjà plus que bancale et bien faiblarde.
Il a ensuite décidé de détruire des pans entiers de notre droit, à commencer par le Code du Travail, par ordonnances. Il est en train de démolir tout l’héritage du Conseil National de la Résistance. Il s’attaque aujourd’hui au droit d’asile.
Au lendemain des élections présidentielles, un ami me dit, en forme de boutade : « Il veut supprimer la Convention de Genève ! ». Au vu des derniers agissements de ce gouvernement, ce n’est plus une boutade.
Le droit d’asile existe depuis l’Antiquité. Le droit d’asile moderne a émergé au XVIIe siècle. En France, il est mentionné pour la première fois dans la Constitution de 1793, pour disparaître et ne réapparaître qu’en 1946. Le droit d’asile international a été élaboré à partir de 1920 par le Comité Nansen, et le Passeport Nansen, créé en 1922 et reconnu par 54 pays, permettra de reconnaître une identité aux personnes déplacées, et d’accueillir les réfugiés – les Russes fuyant la Révolution d’Octobre, devenus apatrides par un arrêté de 1922, puis les Arméniens, et les minorités fuyant l’ex-empire ottoman. A partir de 1933 pourtant, les Juifs ne bénéficieront pas de cet accueil. En France, les Juifs sont souvent qualifiés de « réfugiés économiques », voire de « pseudo-réfugiés ».
C’est la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui énonce les principes fondateurs du droit d’asile. L’Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, créé en 1950, est le gardien de la Convention de Genève sur les Réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951, qui est maintenant le texte de référence en matière de droit d’asile international.
Or si aujourd’hui toutes les associations concernées par les exilés expriment leur colère, si des grèves ont lieu à la Cour Nationale du Droit d’Asile et à l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides, c’est que l’heure est grave. Le droit, dont on a vu que notre gouvernement actuel se soucie peu, est attaqué de tous côtés. Quelques exemples :
Raccourcir les délais de procédure des demandes d’asile, c’est de fait restreindre le droit. Je cite ce rapporteur à la CNDA dont je recommande la lecture intégrale (https://blogs.mediapart.fr/rapporteur-e-cnda/blog/150218/lettre-ouverte-dun-e-rapporteur-e-la-cour-nationale-du-droit-dasile) :
« Instaurer un délai de procédure de six mois, fixé arbitrairement, ne permet pas au demandeur d’asile d’être dans les meilleures conditions pour s’exprimer devant l’OFPRA puis, le cas échéant, devant la CNDA, et ainsi établir la véracité de son vécu et de ses craintes en cas de retour dans son pays d’origine. Une personne exilée ne peut pas, dès son entrée sur le territoire français, être prête à parler à un inconnu de son histoire personnelle. Elle a besoin d’être hébergée pour se sentir en sécurité, d’être prise en charge médicalement et surtout psychologiquement pour panser ses blessures et d’être accompagnée juridiquement dans sa procédure d’asile pour avoir davantage de chances de se voir reconnaître une protection. […]
Réduire le délai de recours contre une décision de l’OFPRA d’un mois à quinze jours revient clairement à nier le droit de recours des demandeurs d’asile. Les demandeurs d’asile, en tant que public extrêmement vulnérable, ne peuvent pas formuler un recours dans les quinze jours suivant la notification de la décision de l’OFPRA. Le délai de droit commun est de deux mois ; pourquoi le diviser par quatre pour les demandeurs d’asile ? Ces personnes ont justement besoin de temps pour comprendre leur décision, pour éventuellement la faire traduire et pour trouver un avocat. En réduisant ce délai, vous réduisez leurs chances d’être entendues lors d’une audience à la CNDA. Les associations d’aide aux demandeurs d’asile et les avocats, déjà submergés par le nombre de dossiers à traiter, seront dans l’incapacité de rédiger un recours complet et de l’envoyer à temps à la CNDA.»
Supprimer le caractère suspensif du recours, c’est encore une négation du droit.
Envoyer des représentants de l’Etat dans les centres d’hébergement, c’est, de fait, décourager les migrants de s’y réfugier.
Créer un délit de solidarité et harceler les citoyens qui viennent en aide aux migrants, c’est contraire au droit, qui réprouve la non-assistance à personne en danger. Et à l’humanité la plus élémentaire.
Reconduire à la frontière des étrangers sans leur laisser la possibilité de déposer une demande d’asile, c’est violer le droit. Et cela se fait couramment dans les Alpes-Maritimes, dont le préfet a été reconnu coupable, ce qui ne l’a pas empêché de continuer – donc avec la bénédiction de l’Etat.
Faire « évaluer » l’âge des migrants (par des gens incompétents de surcroît) pour éviter de reconnaître leur minorité, alors qu’aucun des moyens utilisés pour ce faire n’est reconnu valable, c’est se moquer du droit.
Empêcher les migrants d’accéder à la distribution d’eau et de nourriture, détruire les tentes et gazer les affaires des migrants, c’est digne d’une dictature.
Notre gouvernement se déshonore. Mais nous ? Parmi ceux qui approuvent ou excusent cette politique, ou simplement s’en désintéressent, nombreux sont sans doute ceux dont les grands-parents ont fui la persécution dans les années 30 et 40. Certains ont été sauvés, d’autres non. Quand il s’agit de résister, mieux vaut ne pas attendre que trop de vies soient brisées.
Qui écrira l’Histoire ? Notre Etat devenu indigne ? Ou nous, les citoyens ? Comme l’a écrit Einstein : « Le monde a plus à craindre de ceux qui tolèrent ou encouragent le mal que de ceux qui le commettent. »