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Billet de blog 11 mars 2020

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Slow Violence: Le Mozambique face à l'extraction du sable II

Le littoral du Mozambique lutte contre les dégradations causées par l'extraction du sable en plein essor. Quel futur pour cette zone? Quelles en sont les conséquences? Quels en sont les risques? Voici le deuxième volet sur les réalités du sable au Mozambique.

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Les côtes et l'intérieur du Mozambique sont façonnés par des forces, non seulement, naturelles mais aussi sociales, culturelles, économiques, techniques, rurales et urbaines. Ainsi s'entrechoquent des ajustements rapides et lents, des accélérations et des décélérations, des fractures et des conjonctures. Ces facteurs renégocient et adaptent leurs formes matérielles aux pressions des activités humaines et des mutations démographiques, géopolitiques et sociales. D'une part, le pays enregistre une forte croissance démographique, une rapide transition urbaine, un tourisme en pleine mutation et une industrialisation galopante (agro-business, extraction des ressources naturelles, industrie du bois précieux, etc). D'autre part, le pays est confronté aux conséquences de cette réalité industrielle, urbaine et démographique. Le Mozambique se remet péniblement d'une longue guerre de seize ans qui prit fin en 1992. Cette guerre fut destructrice: pauvreté chronique, graves problèmes environnementaux, montée du terrorisme islamiste, concentré principalement dans les provinces du nord.

L’économie du Mozambique repose pour l’essentiel sur l’agriculture bien que le secteur touristique, en plein essor, attire de plus en plus de grands et petits groupes hôteliers, et une population espérant profiter de ce boom économique. L’industrie extractive avec la découverte d’importants gisements de mines — notamment le charbon — et de gaz sur les côtes du nord du Mozambique est l'autre secteur en plein boom. Ainsi, l’extraction du sable, une des réalités les plus significatives du Mozambique, s’ajoute à cette économie extractive en tant que possible pourvoyeur d’emplois. C’est du moins la promesse affichée par le gouvernement et les entreprises étrangères. La réalité est tout autre puisque la majorité des emplois proposés sont occupés par des travailleurs étrangers — chinois, sud-africains et occidentaux — et par un nombre assez faible des travailleurs mozambicains.
De plus, l’extraction du sable a de profonds impacts négatifs sur l’écosystème marqués par la destruction de la végétation littorale, l’érosion des plages et des sols, la dégradation des cours d’eau et de zones humides et les défrichements étendus. Ceci a pour conséquence l’exposition de la population du littoral pauvre et très vulnérable aux inondations et submersions marines. Le Mozambique (1) devient un territoire onto-épistémologique, le résultat de l’entrelacement de nombreuses forces, celles de l’extraction des ressources naturelles, celles des formations sociales. À ceci s’ajoute la dangereuse coalescence de la faiblesse étatique et de la montée des revendications religieuses au nord. Le sol de ces régions du nord est riche en ressources naturelles. Elles semblent pourtant écartées de la croissance économique et urbaine qui gagne le reste du pays. Cet entrelacement transforme en profondeur le territoire mozambicain en un territoire de plus en plus instable aussi bien sur le plan politique et que territoriale.

Le sable est une composante clé de l’industrie de la construction (mais aussi des nouvelles technologies et de l’armement, de l’espace, entre autres). Bâtiments, infrastructure, revêtements spéciaux, abrasifs, entre autres sont construits au moyen du sable. Cette ressource est utilisée pour la production du ciment, du béton, de l’asphalte et du verre. Plus de cinquante milliards de tonnes de sable et de gravier sont consommés chaque année dans le monde. Le terrain du nord Mozambique, des zones côtières à l’intérieur du pays, est en partie constitué de dunes de sable entrelacées par des chétifs arbustes et de mangroves. Le sable du Mozambique est riche en minerais tels que le titane et le zircon, qui sont des métaux rares. Le titane, par exemple, est très recherché pour les nouvelles technologiques et les industries de l’armement et de l’espace. L’industrie extractive dans l’ensemble contribue à 12.5% de la croissance du PIB. Elle représente 30% des exportations du Mozambique. Le boom de l’industrie extractive correspond à l’accélération de l’urbanisation du pays stimulé par l’essor démographique sans précédent. En effet, comme de nombreux pays africains, l’urbanisation transforme en profondeur le Mozambique. De plus le pays enregistre un boom démographique sans précédent. Cependant, comme l’ensemble du boom économique se concentre sur les zones côtières, la population migre vers ces régions dynamiques si bien que les demandes en infrastructures urbaines et rurales pressent le gouvernement à lancer des macro-projets tels que la construction de routes, de barrages, d’écoles, de ponts et de chemins de fer. Le Mozambique, sortant difficilement de seize ans de guerre civile, et toujours en proie à des tensions politiques et ethniques, manque de tout. Et l’orientation entrepris par le gouvernement semble mettre l’accent, à première vue, sur le sud au détriment du nord dont le taux de pauvreté et des inégalités croît. Le nord enregistre aussi une dégradation des services écosystémiques aussi bien marins qu’à l’intérieur des terres.

Illustration 1
Site de l'extraction de sable à Nagonha, Mozambique © Google Earth/Urban Lab Global Cities (design)

La photo ci-dessus corrobore la présence du site de l'extraction du sable dirigé par l'entreprise chinoise Hainan Haiyu Mining à proximité du village de pêcheurs de Nagonha localisée dans le nord du Mozambique. Elle montre les traces des activités minières destructrices sous la forme de dépôts de sable recouvrant le tapis végétal, du blocage et de la saturation des cours d'eau par ces dépôts de sable. Elle montre aussi l'altération de la végétation de plus en plus perceptible et la dénudation accrue du sol. L'impact de l'extraction du sable est cependant diffus, lent. Les principales conséquences directes sont la destruction des habitats, l'élimination des zones inondables et des lits de gravier des rivières qui servaient de zones tampons, la modification physique du système fluvial, l'infertilité des terres agricoles alentour, la détérioration des écosystèmes et de la vie marine et la disparition des plages. La modification physique du système fluvial, par exemple, entraîne une série de problèmes allant de la modification des habitats en raison de la transformation de la granulométrie des sédiments et de la dégradation de la qualité physico-chimique de l'eau pouvant conduire à la disparition des populations de poissons et autres espèces les plus exigeantes vis-à-vis des facteurs fondamentaux tels que l'oxygène dessous. De plus, la continuité du système fluvial dans ces zones peut être rompue à cause de facteurs matériels tels que la présence de dépôts de sable entravant la circulation des cours d'eau. De ce fait, le débit des cours d'eau peut être fortement affecté. Les lacs et les rivières pourraient voir leur niveau baisser dramatiquement. Les puits aux alentours pourraient être asséchés. L'incision générée par l'action de creuser le sable peut s'accompagner d'une contamination radioactive du sol et des cours d'eau sur le long terme. Les substances radioactives sous forme de métaux lourds et de gaz réactifs (le méthane par exemple) se déposent progressivement sur les surfaces au sol. Les paysages extractifs du Mozambique présentent l'ensemble de ces problèmes. Ces lieux sont victimes d'une violence lente caractérisée par une modification aussi bien topographique qu'économique et sociale. Le critique littéraire Rob Nixon a démontré dans son essai 'Slow Violence and Environnmentalism of the Poor (2) que la violence lente (ou slow violence) est la forme de violence la plus pernicieuse dans le sens où, de par son invisibilité et son élasticité, elle laisse des traces indélébiles dans le temps et couvre un territoire plus large que le site où l'activité a eu lieu. Les violences causées, à titre d'exemple, par des conflits armés, des meurtres, sont visibles et immédiates. Elles peuvent résulter de la destruction d'objets urbains — infrastructures et logements —, de l'économie, ou la perte humaine. À l'opposé, la violence lente, Nixon écrit, "se produit de manière progressive et invisible, à l'abri des regards, une violence de destruction à retardement répartie dans le temps et l'espace, une violence attritionnelle qui ne peut pas être considérée comme de la violence." Ainsi parce qu'invisible, la catégorie 'violence lente' telle qu'elle est définie par Rob Nixon est fatale car elle produit plus de morts et de destruction. Mais ces traumatismes s'inscrivent dans le temps et l'espace. Eyal Weizman propose 'field causality' ou la 'causalité du terrain' (3). De quoi s'agit-il? La 'causalité du terrain' se réfère aux "formes indirectes de causalité, multidirectionnelles et distribuées sur des espaces et des durées de temps prolongés." (4) Autrement dit, la 'causalité du terrain' est "un tissu de relations latérales, d'associations et de chaînes d'activités qui sert d'intermédiaire entre les échelles et les tendances matérielles de larges environnements, de particuliers et d'actions collectives." (5) Autrement dit, le terrain s'avère être un terrain matériel crucial dans la dénonciation ou la mise en évidence de violence opérée sur un territoire car, comme le dit très justement Eyal Weizman, "qu'il s'agisse des environnements agricoles, des savanes et des forêts, les plantes sont des corps sensibles" qui détectent les contraintes extérieures (6). Les plantes enregistrent les modifications du climat, mais aussi les transformations politiques, environnementales, industrielles et territoriales. Cette réalité ne se limite pas aux plantes. Elle inclut aussi les sols et l'eau, deux objets sensibles, capables d'enregistrer les variations extérieures.

Il est à noter, à titre de conclusion, que de telles transformations dramatiques sur le paysage — la destruction de lieux de vie — peuvent devenir le point de départ de nouvelles formes de violences. Il peut s'agir d'un déplacement forcé et traumatisant de la population locale vers un autre lieu (migration interne voire externe) ou de revendications et de militantisme. Cette transformation du lieu de vie peut aussi bien être à l'origine de conflits futurs ou qu'alimenter des conflits existants. Le nord du Mozambique, nous l'avons vu (certes rapidement), enregistre depuis peu une montée de l'islamisme radical (7) et du trafic de drogue (8) deux facteurs que le gouvernement devra prendre en considération pour mettre en place  une politique plus en phase avec le contexte social, économique, géographique et topographique des provinces du nord.

Notes

(1) Pour la carte du Mozambique, voir la carte postée dans le premier volet sur le Mozambique et l'extraction du sable. Labeca Annick, Violente Lente: Le Mozambique face à l'extraction du sable, MédiaPart, 10/03/2020.

(2) Nixon Rob, Slow Violence and Environmentalism of the Poor, Harvard University Press, 2013.

(3) Weizman Eyal, Forensic Architecture: Violence at the Threshold of Detectability, Zone Books, 2017. Pour la traduction de 'Field Causality', nous nous référons à Boris Papeians, Forensic Architecture: Qu'est-ce donc?, 2018).

(4) Ibd.

(5) Ibd.

(6) Ibd.

(7) "La violence islamiste devient quotidienne au Mozambique", publié dans le site de France Info, 29/05/2019.

(8) Douet Marion, "En Afrique de l'Est, les victimes des nouvelles routes de l'héroïne", publié dans le site du Monde, 06/03/2020.

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