Rappelons ce que les virologues spécialistes de l'écologie des zoonoses ou maladie infectieuses émergentes et reémergentes ces dernières semaines: la situation telle que nous la vivons depuis décembre 2019 a été créée par des causes externes que nous avons identifiées depuis maintenant plusieurs décennies mais que nous peinons à reconnaître. Il s'agit des dégradations environnementales, plus précisément, la déforestation et la destruction des zones humides. À ceci s'ajoute la croissance démographique qui s'accompagne d'une urbanisation à l'échelle planétaire car il faut bien se loger et on favorise les lieux où se concentrent infrastructures et services de pointe et emplois, lieux bien équipés. Ces facteurs peuvent être considérés comme des externalités ou effets pernicieux de l'économie de production qui constitue le socle de la société mondialisée telle qu'elle s'est façonnée au cours du 20ème siècle, une économie nourrie par l'extraction et l'exploitation des ressources naturelles (1).
La déforestation est une des nombreuses causes d'une proximité de plus en plus manifeste entre l'animal sauvage, l'animal domestique et l'humain, exposant ces deux derniers aux zoonoses ou maladies infectieuses. La Chine, vilipendée ces derniers mois pour ses marchés où l'on peut acheter animaux sauvages, souvent encore vivants, pour la consommation humaine ou la médecine traditionnelle, serait la cause du Covid-19 (2). Pourtant, elle n'est pas la seule à blâmer. En effet, nous sommes tous responsables de cette pandémie et des pandémies similaires comme le SRAS et le MERS-CoV qui sévissaient il y a une décennie, ou qui continuent à sévir comme l'Ébola (dans certains pays d'Afrique) et le HiV. Souvenons-nous du virus de la grippe A dont l'origine est la production porcine et celle de poulets. Son point d'origine est le même: une modification notoire des structures écosystémiques par l'anthropisation des milieux naturels forçant les animaux à migrer vers de nouveaux territoires ou à recréer un habitat dans le même territoire quitte à devoir le partager avec de nouveaux acteurs parmi lesquels l'humain. Il s'agit là d'une nouvelle interface que l'homme a créée, une interface cependant propice à la transmission d'agents pathogènes — certains mortels — de l'animal à l'humain. Quand l'homme crée une interface nouvelle (modification de l'utilisation des sols, urbanisation, intensification de l'agriculture, pour ne citer que ces quelques exemples), les risques d'exposition aux virus s'intensifient. Le designer (j'entends par designer: l'architecte, l'urbaniste et l'architecte paysagiste) doit désormais tenir compte de l'interaction animal sauvage, animal domestique et humain quand il envisagera la ville de ce siècle. Il devra prendre en considération les conséquences de cette interaction, c'est-à-dire l'expansion d'épidémies.
Ainsi, le Covid-19 aurait été découvert en 2018 (3). Son nom de code était jusque-là 'Disease X', ou plus simplement 'Épidémie X'. Peter Daszak, spécialiste de l'écologie des maladies infectieuses (4) a pris part à la découverte de nombreuses maladies infectieuses jusque-là inconnues et a prédit la propagation de ces épidémies parmi lesquelles le SARS-CoV, le MERS-CoV, le virus NIPAH, le SADS coronavirus et plus récemment le COVID-19 ('épidémie X'). Comme la majorité de ces confrères, il a alerté le gouvernement américain et le monde médical d'une menace grandissante de cette épidémie. Il a surtout mis en lumière les conséquences de l'expansion des activités humaines — l'intensification de l'agriculture et de l'élevage à l'échelle de la planète sans oublier l'urbanisation (5) qui seraient à l'origine de l'expansion de ces maladies infectieuses. En France, très récemment, un collectif de chercheurs ont mis en lumière ces mêmes conséquences "facilitant les contacts avec la faune sauvage, provoquant des changements d'hôtes et leur ouvrant une immense niche écologique: les humains et leurs animaux" (6). On retrouve les mêmes problèmes évoquées plus haut, des problèmes qui obligeront l'humain à revoir sa façon de se projeter dans le monde, sa manière d'occuper la terre, de l'habiter. En effet, les épidémiologistes affirment que les "pandémies (…) ne sont qu'une facette du changement planétaire" ceci se traduisant par les perturbations climatiques mais aussi écologiques. Les pandémies augmentent et continueront d'augmenter en fréquence du fait de nos choix économiques, politiques et culturels et enfin les rapides changements environnementaux (7). Peter Daszak rappelle que les trois points en communs qui concourent à l'expansion des épidémies sont: une forte densité humaine, variétés de plantes et d'animaux (côtoyant l'homme) et enfin l'anthropisation des milieux naturels et leurs conséquences (8).
Alors quelle voie devons-nous prendre au sortir de cette épreuve? La société humaine est naturellement conditionnée d'abord par des facteurs économiques. Ainsi les motivations des individus humains sont évidemment déterminées par des besoins matériels, pour faire simple, le consommateur. Mais cette société de consommation montre ses fêlures. Nous l'avons vu, les changements que nous devons opérer pour nous protéger (au moins, pour limiter la propagation des épidémies) obligent l'humain à revoir ses choix économiques, politiques et culturels. À moins de penser nos villes et nos villages et par extension la société humaine comme des systèmes immunitaires capables de s'adapter aux mutations ou aggressions extérieures, de devenir résilientes, nous serons de plus en plus fréquemment exposés aux épidémies. Ainsi, les villes et les villages devront, désormais, intégrer les risques de biosécurité comme un des piliers les plus importants quant à leur organisation aussi bien spatiale que sociale, et politique. L'intégration des risques de biosécurité pourra permettre de détecter des menaces biologiques via le renseignement, la surveillance et le traçage. À quoi ressembleront la ville et le village du 21ème siècle? Quel sera le rôle du designer au sortir de cette crise épidémique?
Notes
(1) Morton Timothy, Carbon Democracy, (traduit de l'anglais par Christophe Jacquet), Éditions La Découverte, Paris, 2013.
(2) Même si le marché de la ville de Wuhan ne semblerait pas être le point de départ de la propagation. Les recherches se tourneraient vers le pangolin qui fait l'objet d'un important trafic. Voir ici).
(3) Voir: Daszak Peter, "We Knew Disease X was coming, it's here now", publié dans le New York Times, 27 février 2020.
(4) Peter Daszak est Président de EcoHealth Alliance, une organisation américaine, dont les recherches portent sur la santé globale, les développements internationaux et la conservation.
(5) Brulliard Karin, "The next pandemic is already coming, unless humans change how we interact with wildlife, scientists say", publié dans le Washington Post, 03 mars 2020.
(6) Collectif d'Écologues, "La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique", publié dans Libération, 8 avril 2020.
(7) Brulliard Karin, Ibid.
(8) id.