Il y a quelques mois, nous lancions l’alerte à propos de la transformation progressive des présidents d’université en “préfets au petit pied”. Loin de comprendre la responsabilité éminente qui est la leur, nos président·es semblent en effet devenus incapables de concevoir aujourd’hui, sur les campus, un ordre public universitaire qui ne soit pas le triste décalque des pratiques préfectorales en matière sécuritaire et de répression des oppositions politiques légitimes.
Le président de l’université de Pau, Laurent Bordes, confirme malheureusement cette tendance. Ce 17 octobre en fin d’après-midi, arguant des franchises universitaires qui lui confèrent la charge du maintien de l’ordre sur le campus, il a décidé d’interdire un rassemblement d’étudiant·es et de personnels. Un rassemblement contre… il faut s’arrêter un instant et se frotter les yeux pour le croire : un rassemblement contre… la mise en place, à l’université de Pau, des «frais d’inscription différenciés» !

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L’interdiction de tout rassemblement sur un campus à propos d’une question proprement interne à l’université et sous prétexte de Vigipirate : voilà une manière simple et efficace de neutraliser la contestation contre cette mesure universitaire raciste qui consiste, rappelons-le, à appliquer à une partie des étudiant·es extra européen·nes des frais d’accès à l’université d’un montant largement supérieur à ceux applicables aux ressortissant·es européen·nes.
Insistons un peu : cette interdiction de rassemblement est une mesure terrifiante dans ce qu’elle dit du président de l’université de Pau et de ses positions sur l’Université conçue comme un lieu de libertés dont il devrait, au contraire être le premier gardien. Est-ce de la bêtise ? Est-ce une perte de tout repère quant à ses fonctions d’universitaire ? Est-ce un défaut de culture et de références historiques en matière de libertés publiques ? Est-ce une petite montée d’autoritarisme, telle que nombre de présidents d’université en connaissent régulièrement depuis la LRU ? Est-ce un peu de tout cela pris ensemble ? La question que nous posions il y a quelques mois à propos du président de l’université de Nice se pose à nouveau, de manière plus spectaculaire encore : comment, en fait, un collègue, certainement bon dans son domaine de spécialité académique, peut-il sombrer dans des décisions aussi caricaturales et des argumentations aussi grossières dès qu’il sort de sa spécialité ? Qu’est-ce rend possible de telles dissociations chez nos présidents d’établissement ? Comment peuvent-ils projeter des réflexions fines, subtiles, étayées lorsqu’ils se trouvent sur le terrain scientifique et, dans le même temps, sombrer dans les pratiques les plus indignes de l’intelligence dès qu’ils se placent sur le terrain administratif ?
Encore un petit effort, Laurent Bordes, et vous franchirez le seuil suivant : si la menace sécuritaire est telle qu’un minuscule rassemblement d’universitaires à Pau contre les frais d’inscription différenciés doive être interdit, alors vous fermerez bientôt les établissements aussi. Tou·tes ces étudiant·es remuant·es que l’on réunit dans des amphis bondés au moment même où le gouvernement «élève la posture du plan Vigipirate», n’est-ce pas excessivement dangereux, au fond ?
Tout comme la mesure préfectorale d’interdiction de distribution de repas dans le Nord de Paris a été suspendue hier par le juge administratif, il ne fait aucun doute que cette décision du président Bordes est illégale et qu’un référé-liberté aurait prospéré… si on lui avait laissé le temps de prospérer. En interdisant la veille à 16h36 un rassemblement pour le lendemain à 11h, le président a annihilé toute intervention en urgence du juge. Aucun référé n’est plus possible, et nous devons donc le croire sur paroles : se réunir sur le campus de l’université de Pau pour protester contre les frais d’inscription différenciés entre étudiant·es selon leur nationalité, c’est un danger pour la sécurité publique. Peut-être même est-ce la preuve qu’il y a, parmi les personnels et les étudiant·es de Pau, de dangereux terroristes en puissance.
Fermez le ban, rentrez dans vos amphis ou connectez-vous sur Zoom. Et rendez votre rapport Hcéres.