Algérie - La démocratie confisquée
Historique sommaire de la répression d'octobre 1988 et du putsch militaire de janvier 1992 et ses conséquences sur la population civile et les droits humains.
La passion de la vérité et de la justice ne peut, sans se contester, accepter pareille supercherie (Frantz Fanon, 1957).
Octobre rouge
Au lendemain de la révolte des jeunes à partir du 5 octobre 1988, le président de la République Chadli Bendjedid avait proclamé l’état de siège en transférant les pouvoirs de police à l’armée.
C’est sous la responsabilité du général Khaled Nezzar, alors commandant des forces terrestres et adjoint du chef d’état-major de l’armée, que les services de sécurité employèrent alors tous les moyens pour le rétablissement de l’ordre, n’hésitant pas à utiliser des armes de guerre, à tirer à balles réelles, sans sommation, et à pratiquer la torture à grande échelle.
Selon le témoignage de l’ancien capitaine sous-directeur de la division évaluation et analyses du Département Renseignement et Sécurité" (DRS ou Sécurité militaire), Hichem Aboud, publié dans son livre édité en février 2002 : « On tire à balles réelles sur les manifestants. Qui a donné l'ordre d'ouvrir le feu ? Un sous-officier des équipes volantes de la DGPS rapporte que, sur la place du 1er Mai, il a entendu Nezzar ordonner à un tankiste de tirer au canon sur la foule. Betchine le contredit en souplesse en ordonnant aux militaires de tirer à ras de terre avec leurs Kalachnikov. Ce témoignage, Betchine me le confirmera cinq ans plus tard en expliquant : ”Je ne voulais pas qu'il y ait des massacres. J'ai demandé aux militaires d'user de tirs de sommations en l'air et à ras de terre.” Quoi qu'il en soit, on a fini par dénombrer plus de cinq cents morts à Alger ».
On peut lire dans Le Cahier Noir d’Octobre, qui recense de nombreux témoignages de victimes de tortures,que « Les victimes ont été arbitrairement arrêtées et torturées déjà dans la nuit du 3 au 4 octobre, alors que les manifestations n’ont commencé que le 5 […] L’ampleur, la similitude des procédés, la dissémination de lieux de torture sur quasiment l’ensemble du territoire national apportent des preuves irréfutables sur le fait que la torture a été programmée et institutionnalisée […].».
Les auteurs du Cahier ajoutent : « Le tortionnaire, qu’il agisse sur ordre ou sur protection déclarée ou implicite, se considère, à l’instant même où il opère, mandaté, c’est-à-dire commis de l’Etat […] C’est donc contre un système de résolution des problèmes politiques par la terreur que s’élèvent ces témoignages. »
L’éditorialiste d’El Watan écrit, dans l’édition du 28 février 2002, sous le titre ‘La gangrène’ que « même si le mot torture a été lâché de temps à autre, officiellement, les autorités ont toujours déployé beaucoup d’efforts pour minimiser ce phénomène en tentant de faire accréditer l’idée qu’il est le fait d’initiatives isolées dénommées pudiquement "dépassements". […] Dans les commissariats, les sièges de gendarmerie nationale et les locaux des services de renseignement qui jouaient le rôle de police politique, c’était pourtant l’horreur comme l’ont démontré les témoignages de dizaines de victimes dans Les Cahiers Noirs d’Octobre. La répression déclenchée dès le 5 octobre 1988 a révélé que la torture était massive et précoce, puisque ayant commencé la veille des manifestations.»
L’auteur direct des tueries et de la torture à grande échelle, le général Nezzar, tentera d’expliquer que le commandement militaire sous sa charge n’était pas préparé aux événements. Selon lui : « nous avons dû, par souci d’efficacité casser la chaîne de commandement et décentraliser la décision au niveau des compagnies etdes sections. »
Il ne prendra cependant aucune mesure pour poursuivre les tortionnaires, ou pour soutenir les victimes.
Il ajoutera aussi qu’il y avait un vide juridique provoqué par l’état de siège, rejetant sa responsabilité pénale,avouant cependant sa responsabilité morale.
Ainsi, rien n’expliquera l’absence de poursuite des auteurs de tueries et de tortures. La loi d’amnistie votée par le Parlement du parti unique s’empressera de couvrir Nezzar et ses subalternes. Mieux encore, Nezzar sera promu chef d’état-major le 16 novembre 1988. Il prétendra plus tard que l’amnistie aurait profité aux seuls islamistes incarcérés pour des faits remontant aux années 1970-1980.
Après cette révolte et la répression sanglante qui s’ensuivit, le régime politique algérien avait été contraint à l’ouverture démocratique. Le 10 octobre au soir, dans une allocution télévisée, le président de la République promet des réformes politiques. Le 13, un communiqué de la présidence annonce une révision constitutionnelle par voie référendaire. Désigné par le VIème congrès du parti unique Front de Libération Nationale (FLN), comme candidat unique à un troisième mandat présidentiel, Chadli Bendjedid est réélu, le 22 décembre 1988. Il fera adopter une nouvelle Constitution, le 23 février 1989, qui sera l’amorce d’un tournant politique majeur.
Le régime renonce à l’idéologie socialiste, au parti unique (FLN) et dépolitise l’armée conformément à l’article 24 de la Constitution. Il permet la réinstallation d’un état-major, supprimé en 1967, ainsi que la nomination d’un ministre de la défense, poste monopolisé depuis 1965 par le chef d’Etat. C’est la fin officielle de l’ingérence de l’armée dans la politique et Nezzar, promu ministre de la défense le 25 juillet 1990, va affirmer lors d’une interview à l’APS, le 9 septembre 1990, que l’armée « s’interdit toute immixtion dans les fonctions dévolues aux autres autorités publiques, tel que le stipulent les lois d’ailleurs ».
La branche chargée de la surveillance des civils et dépendant de la Délégation Générale à la Prévention et à la Sécurité (DGPS) qui chapeautait tous les services de la fameuse Sécurité militaire (SM) est supprimée. « Le résultat en est énorme : les nominations (...) ainsi que les candidatures pour les élections, échappent désormais à la police politique ».
Ce ne sera malheureusement qu’un court répit.
La Constitution affirme d’autre part, en son article 129, que « le pouvoir judiciaire est indépendant ». La loi 89-05 du 25 avril 1989 supprime la Cour de sûreté de l’Etat et, le 12 décembre de la même année, un nouveau statut pour les magistrats est promulgué, fondé constitutionnellement sur l’autonomie du pouvoir judiciaire. La loi 89-21 portant statut de la magistrature prévoit un Conseil supérieur de la magistrature composé majoritairement de juges élus, pour gérer la carrière des magistrats.
Sur la base d’une nouvelle loi, celle du 5 juillet 1989, de nombreux partis politiques quittent la clandestinité - comme le Front des Forces Socialistes (FFS), le Mouvement pour la Démocratie en Algérie (MDA) et le Parti de l’Avant-Garde Socialiste (PAGS) - ou se constituent, notamment le Front Islamique du Salut (FIS) qui obtiendra son agrément le 16 septembre 1989.
L’Algérie adhère au cours de l’année 1989 à plus d’une vingtaine de conventions et de pactes internationaux portant sur les droits de l’Homme, ainsi qu’aux protocoles permettant leur mise en œuvre.
A l’exception de deux d’entre elles, aucune convention de protection des droits de l’Homme ne sera pourtant publiée, et aucune mesure législative interne ne traduira les engagements du pays pour le respect des droits de l’Homme. Ainsi, en dehors des cercles académiques, leur contenu sera ignoré par la population. Le code pénal continuera jusqu'à ce jour d’ignorer les crimes comme le crime de guerre, le crime contre l’humanité et même le génocide. La torture n’est pas définie selon le droit international conventionnel.
L’article 123 de la Constitution dispose que « Les traités ratifiés par le Président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi ». Ce principe est rappelé par le Conseil constitutionnel qui, dans une décision relative au code électoral, avait réaffirmé : « Considérant qu’après sa ratification et dès sa publication, toute convention s’intègre dans le droit national et, en application de l’article 123 de la constitution, acquiert une autorité supérieure à celle des lois, autorisant tout citoyen algérien de s’en prévaloir devant les juridictions […] »
Théoriquement, les dispositions des pactes et conventions de protection des droits de l’Homme peuvent être invoquées devant les tribunaux algériens, tenus de les privilégier à une loi interne contraire. Cependant le gouvernement soutiendra à l’étranger que l’adhésion suffisait à rendre obligatoire au plan interne le respect des engagements internationaux de l’Algérie, sans même attendre leur promulgation publique. C’est ainsi qu'à l’exception de deux d’entre elles, la vingtaine de conventions portant sur la protection des droits humains n’est pas encore publiée à ce jour, restreignant ainsi le cercle des informés de leur contenu aux professionnels et aux clubs académiques.
Au plan du discours destiné aux auditoires étrangers, discours purement protocolaire, la société a conquis son droit de faire l’histoire, de choisir ses gouvernants et de décider de son développement. Telle était la situation juridique virtuelle de l’Algérie à l’aube de la période qui sera appelée la décennie rouge.
La décennie rouge
Le 12 juin 1990, le FIS remporte les premières élections locales pluralistes de l’Algérie indépendante, avec 54,2% des suffrages exprimés, soit 45,6% des sièges des assemblées populaires communales (APC, mairies) et 55,04% des assemblées de wilaya (APW, départements), alors que le FLN ne recueille que 28,10% des suffrages exprimés. Alors que le FFS boycotte, le RCD obtient 2,1% des suffrages (sièges dans la région kabyle) et les candidats indépendants totalisent 11,70% des suffrages exprimés. Le PAGS qui y participe n’obtient aucun siège, ce qui le conduira à boycotter toutes les élections jusqu'à ce jour.
La crise actuelle a commencé lorsque huit partis de l’opposition se sont élevés, au printemps de 1991, contre deux projets de loi qui modifiaient dans l’intérêt exclusif du parti FLN au pouvoir le code électoral et, surtout, le découpage des circonscriptions électorales. Ces deux projets de lois furent qualifiés de « lois scélérates » en raison de leur contenu ouvertement discriminatoire et injuste.
A titre d’exemple au sujet du code électoral, le Conseil constitutionnel note à la veille des législatives de 1991 qu’il « […] relève que le législateur a, par des aménagements successifs précédant la loi du 15 octobre 1991, réduit de cinq (05) à une (01) le nombre des procurations admissibles pour chaque mandataire et a arrêté limitativement les situations justifiant une procuration aux seuls cas d’empêchement de présence personnelle de l’électeur au scrutin. » Cette limitation visait évidemment le FIS soupçonné d’être le principal bénéficiaire de la pratique des procurations.
Quant au projet de découpage des circonscriptions électorales, le projet de loi élevait leur nombre de 295 circonscriptions à 542 en divisant au maximum les lieux où le FLN était le mieux assuré d’obtenir des voix. Ainsi, selon une moyenne nationale 7. 000 voix suffisent pour assurer un siège pour le FLN, pendant qu’il faudrait 80. 000 voix pour un siège au FIS, violant ainsi ouvertement le principe d’égalité des citoyens à la représentation parlementaire. C’est ainsi que la circonscription de Bab-El-Oued connue pour sa sympathie au FIS, et qui compte plus de 150.000 habitants, ne disposait que d’un seul siège, au même plan d’égalité qu’un village FLN de 2000 habitants.
Le chef du gouvernement, Mouloud Hamrouche, dira plus tard que « Ce n’est pas pour rien que j’ai fixé à quatre vingt le nombre de sièges pour la seule Wilaya de Béjaïa » qui compte moins de 300.000 habitants (Wilaya =Préfecture).
Le FIS, comme sept autres partis de l’opposition, menacera, en avril 1991, de recourir à une grève nationale si ces ”lois scélérates”, qui violent si ouvertement le principe d’égalité des citoyens devant les urnes, ne sont pas retirées.
Alors que les autres partis renoncent, le FIS entame une grève qu’il dira « nationale et de salut, de sécurité et de solidarité» ajoutant qu’il est demandé aux citoyens «de ne pas réagir aux provocations » tout en les exhortant de « protéger les biens publics et privés » et d’assurer « un service minimum dans les hôpitaux, les mairies et les services de la protection civile » selon un communiqué publié le 25 mai 1991.
Au mot d’ordre de grève contre les lois « scélérates » s’est greffé celui de « présidentielles anticipées », par crainte que l’assemblée législative démocratiquement élue ne voit ses attributions constitutionnelles réduites. C’est que juste après les élections locales du 12 juin 1990, le gouvernement avait pris d’innombrables mesures de nature réglementaire visant à déposséder les élus locaux de leurs attributions. Parmi les mesures déloyales, le gouvernement
Hamrouche avait promulgué une série de décrets dans le but de soustraire les attributions des assemblées élues, ou de gêner leur fonctionnement, créant par exemple de nouvelles Dairate (sous-préfectures) auxquelles seront dévolues de nombreuses attributions prises de celles des communes. Il avait aussi bloqué tous les projets du parti majoritaire, sous prétexte que la loi des finances interdisait le transfert des crédits affectés aux projets initiaux de l’ex-parti unique etc.
Le code électoral et la loi portant sur le découpage électoral seront quand même adoptés par l’Assemblée législative du FLN, l’ex parti unique. Le 3 avril, le président de la République annonce des législatives pour le 27 juin 1991.
Ainsi, le gouvernement maintenait des lois qui, sous prétexte de lui assurer le gain d’élections futures, travailleront contre sa propre stabilité.
Le FIS maintiendra son mot d’ordre de grève nationale. La revue de l’armée El Djeich accusera alors ce parti de participer à une « vaste conspiration visant à la dislocation du monde musulman ». Pour comprendre la portée de cette intrusion militaire soudaine, mais non moins habituelle, dans la vie politique interne, disons quelques mots sur le système qui gouverne le pays, de fait, avant de continuer à décrire brièvement le déroulement des événements de cette décennie.
De nombreux hommes politiques, diplomates et journalistes décrivent le pouvoir d’Etat algérien comme bicéphale : un tête effective mais néanmoins clandestine et non constitutionnelle, l’autre publique et officielle mais dont les attributs restent subordonnés, de fait, à la première.
Ainsi, par exemple, Mouloud Hamrouche avait montré par plusieurs contributions publiées par la presse, en sa double qualité d’ancien officier supérieur de l’armée et de chef de gouvernement, comment fonctionnait le système qui gouvernait l’Algérie, sans égard aux différentes constitutions. Outre la dichotomie séparant le pouvoir de droit et le pouvoir de fait, ainsi que la subordination du premier au second, il précisait que chaque membre du cabinet de fait disposait de son propre réseau dans l’administration, la diplomatie, la justice, les entreprises d’Etat etc. Que les difficultés d’analyse de ce pouvoir sont dues au fait que les rapports de pouvoir et d’influence entre les membres du cabinet fluctuaient sans cesse.
Les universitaires et observateurs avisés donnent plus de précisions. Addi Lahouari, professeur de Sociologie à l’Institut d'Etudes Politiques de Lyon, confirme cette dichotomie et insiste, particulièrement, sur la dualité du pouvoir, opposant le pouvoir réel - détenu par la caste formée de quelques officiers supérieurs de l’armée se réunissant et décidant en un club fermé - au pouvoir seulement apparent décrit par la Constitution et les textes législatifs du pays. Il écrit : « La hiérarchie militaire, pourvoyeuse de légitimité, n'a même pas conscience qu'elle se substitue au corps électoral et qu'elle exerce la souveraineté en lieu et place du corps électoral […] la victoire d'un seul parti, autre que le FLN, remettait en cause la prééminence politique de l'Armée […] ce qui aurait mis fin à la structure double du pouvoir d'Etat, à sa prééminence politique et aurait inauguré un régime nouveau. »
Alors que Nourredine Abdi, chercheur au CNRS, qualifie le régime de « militaire », Abdelkader Yefsah, Maître de conférence à l’Institut des Sciences politiques d’Alger et auteur prolifique, déclarait lors d’une interview :« l'armée avait donc décidé, non pas de se retirer de la conduite des affaires, mais de ne plus apparaître en première ligne. Elle avait donné son accord à une réforme démocratique qu'elle croyait pouvoir contrôler [après la promulgation de la nouvelle Constitution de 1989). Or ce processus lui a échappé et elle est revenue en force […] »
L’Etat algérien est donc soumis à une organisation informelle, « patrimonialiste » et clientéliste du pouvoir au profit quasi exclusif de quelques officiers supérieurs de l’armée. On désigne les membres de ce pouvoir extra-constitutionnel par le terme de décideurs, et parfois de mafia politico-financière ou encore de cabinet noirdepuis que le président assassiné Boudiaf avait, le premier, utilisé l’appellation de décideurs.
Ce n’est pas une question d’hommes mais de système, car si les membres de ce club sont interchangeables, le système, lui, continue de fonctionner avec les mêmes règles impératives non écrites. En fait, chaque membre dispose d’un réseau de personnes biens placées dont il reste le chef, qualifié parfois de parrain, même s’il part en retraite.
L’usage du terme système peut s’expliquer par la nature totalitaire de la pensée et de la pratique politiques, ainsi que par la causalité idéologique changeante qu’ils prétendent défendre (successivement nationalisme, socialisme, libéralisme) et qui se traduit par une violence exterminatrice systématique contre « l’ennemi », c’est-à-dire toute personne ou groupe qui oserait remettre en cause le monopole du « système ».
Un système politique a besoin d’une légitimité pour se reproduire sans guerre permanente ou généralisée. Or, le régime algérien a utilisé et abusé de la légitimité historique tirée de la guerre de libération nationale contre le colonialisme français. Cette légitimité est accaparée par quelques officiers supérieurs de l’armée et leur clientèle civile. Elle est aujourd’hui perdue après l’échec des politiques menées depuis l’indépendance. Illégitime, le régimefonctionne et se maintient comme système, donc par la violence. Selon W. Sosky, le système est un « pouvoir organisé », « stratifié », « parfait », un « pouvoir d'étiquetage absolu », fait de « violence pure » et produisant une « impuissance absolue de l’autre ».
Les décideurs identifient l’État à leur propre caste
Le général Nezzar décrit lui-même le fonctionnement de ce « système » dans son livre Les Mémoires du Général Khaled Nezzar. Il confirme que lui-même et l’armée ne sont pas informés de l'existence de la Constitution et des formes possibles de représentation politique du peuple. Il lui semble évident, sans se rendre compte, que l’armée ne saurait dépendre ni de la nation ni du gouvernement, mais bien l’inverse.
Avant ce livre, dans Octobre ils parlent, il situe l’armée hors de l’Etat lorsqu’il déclare : « L'armée était la seule institution encore solide. Tout le monde parlait d'ailleurs en son nom, aussi bien l'Etat que le Parti ». Il avait, déjà en 1996, fait part de la décision bien antérieure des officiers supérieurs de l’armée de se situer au-dessusdu pouvoir politique. En effet, Nezzar écrivait, le 15 mai 1996, au sujet du 5 Octobre 1988 et ses conséquences, que « c'est depuis que se cristallisa, au sein de l’Armée et notamment aux yeux des autorités et des acteurs du rétablissement de l'ordre, l’impératif d'un changement fondamental du système politique où l’Armée ne serait plus sujette a l'instrumentalisation de la part du pouvoir. Conscients que seule l’armée pouvait être le rempart ultime face aux périls d'une voie aussi aventureuse, les responsables militaires s’employèrent à sa consolidation et à sa préservation car, à leurs yeux, le salut et la cohésion nationale ne pouvaient se réaliser qu'autour de cette institution. »
Aux yeux des décideurs, l’Etat n'est qu'un instrument à leur service, plus officiellement à celui de l'armée qui se confond avec leurs personnes. C’est de l’ordre des évidences de base sans que cela ne souffre le moindre doute. C’est ainsi que, jusqu’à ce jour, tout porte-parole de l’armée - qualité qui le rendrait immunisé contre tout risque d’erreur - parle en termes quasi sacrés, incarnant aussi bien ce qui doit être que ce qui est juste. La critique de tout officier supérieur faisant partie du cercle des décideurs est aussitôt assimilée à une critique contre l’armée, voire une atteinte à corps constitué sévèrement punie. L’idéologie des décideurs identifie l’Etat à leur propre caste et a pour conséquences l’usage de la violence étatique pour des intérêts privatifs, ainsi que la couverture doctrinale des crimes d’Etat, aujourd’hui par la logique des Droits de l’Homme, sous la bannière de la lutte pour la démocratie, et contre le terrorisme « islamiste ».
C’est pourquoi des officiers supérieurs interviennent, de fait, dans les affaires politiques chaque fois qu'ils estiment que le pouvoir légal s'écarte de ce qu’ils estiment être la bonne voie. Le jugement des décideurs prononcé à huis clos est toujours sans appel comme celui du général Chelloufi, alors secrétaire général du ministère de la Défense, qui avertissait que « L’armée n’exclut pas d’intervenir pour protéger l’entreprise d’instauration du libéralisme politique (…). Je ne peux me montrer tolérant à l’égard de ceux qui veulent exploiter la démocratie pour revenir à la dictature lorsqu’ils (les islamistes) arriveront au pouvoir. »
Aujourd’hui encore, ce sont les généraux qui décident de la formation des différents gouvernements du pays. En octobre 1999, à la veille de l'ouverture de la 32e Foire internationale d’Alger, le Président de la République Abdelaziz Bouteflika avait inspiré l'agence officielle de presse (APS) afin d'informer l’opinion publique que « Bouteflika avait été empêché par les militaires de mettre sur pied un gouvernement de son choix ».
Nezzar dira lors d’une interview, accordée en avril 2000 au Figaro Magazine, qu’au début des années quatre-vingt dix, il avait personnellement décidé le renvoi de l’ambassadeur de l’Iran et la fermeture de l’ambassade. Parallèlement, il avait suspendu les relations avec le Soudan. Et, à la question du journaliste : « Que pensez-vous de la “concorde civile” mise en œuvre par Bouteflika […] ? », il répond « [...] « J’y suis d’autant favorable d’ailleurs que ce sont des militaires, notamment le général Smaïl dit Smaïn Lamari qui l’ont engagée. »
L’outil de ce monopole extra-légal est, entre autres, le Département Renseignement et Sécurité – DRS - (la « Sécurité militaire »). Il faut signaler que si la Délégation Générale à la Prévention et à la Sécurité (DGPS) est dissoute le 4 septembre 1990, et son chef Mohamed Betchine appelé à « faire valoir ses droits à la retraite », le général Mohamed Médiène dit "Tewfik", chef de la Direction de la Sécurité interne de l’Armée (DSA) à l’intérieur de l’ex-DGSP, promu général peu après, prendra la tête de ce Département Renseignement et Sécurité (DRS).

Formé par l’ex-KGB soviétique, surnommé "la mer rouge", le général-major Médiène Mohamed alias Toufik prend, en 1990, la direction du Département Renseignement et Sécurité (DRS) qu’il dirige à ce jour. Il a un poids considérable dans le système politico-militairo-mafieux algérien où rien ne se fait sans son aval. C’est en tant que dirigeant de la sécurité militaire que Mediène a ciblé et identifié les victimes, créé l'environnement psychologique et matériel nécessaire pour que les crimes et massacres puissent être commis, par les ‘GIA’ et les escadrons de la mort. Il a conçu et mis en œuvre la guerre psychologique, en développant le réflexe génocidaire chez les soldats, policiers, gendarmes, administrateurs, juges et miliciens, avec l’appui de des campagnes médiatiques systématiques qu’il a organisées, utilisant, outre les médias privés sous contrôle, tous les canaux publics, comme la télévision, les radios, journaux, manifestations publiques, séminaires, campagnes publiques etc. C’est sous son contrôle qu’ont été organisées les opérations de diplomatie parallèle afin de justifier son plan génocidaire auprès de l’opinion internationale. C’est spécialement sous sa responsabilité et son contrôle et celles de son adjoint direct, le général Lamari Smaïn, que la pratique à grande échelle des enlèvements suivis de disparitions forcées a été mise en œuvre, ainsi que celle de la torture, des exécutions extrajudiciaires et de nombreuses formes de persécution.
Or, depuis juin 1991, le DRS a retrouvé tous les pouvoirs et attributions de l’ancienne Sécurité militaire, avec le même patron jusqu'à ce jour, devenu général-major en juillet 1993. Ce monopole est néanmoins l’objet de luttes d’influence, aussi bien internes à l’armée qu’externes.
Pour comprendre ce qu’est le DRS, il faut le comparer à ce qu'était la Stasi en Allemagne de l'Est ou la Securitate dans la Roumanie de Ceaucescu. La Sécurité militaire algérienne reste toutefois spécifique. Elle tire son originalité de la combinaison de techniques soviétiques sophistiquées de surveillance de la population et d'un style de manipulation propre à l'héritage nationaliste algérien et à la colonisation française. La conjonction de ces traditions explique la complexité de ses méthodes et l'ampleur des dégâts qu’elle commet, hors de toute norme et de toute transparence.
A cela, il faudrait ajouter les rapports de concurrence entre les chefs du DRS, ainsi que la lutte entre les clans.Par exemple, hors les luttes internes au DRS, la Direction du contre-espionnage chapeautée formellement jusque-là par le DRS dépendant du ministère de la Défense, devrait passer en l’an 2002 sous le contrôle du ministère de l’Intérieur. La récente création de la Direction de la coordination de la sécurité du territoire, la DCST, n’est pas fortuite. Elle n’est d’autre part pas étrangère aux manipulations du général-major Larbi Belkheir puisqu’elle intervient au milieu d’une violente lutte d’influence. Elle n’est pas, en outre, sans rappeler la DST française (Direction de la Sécurité du Territoire rattachée au ministère de l’Intérieur français).
Ces luttes rendent extrêmement difficile toute lecture des chaînes de commandement.
Ainsi, même en se retirant du parti unique « où les représentants de l’armée se sont imposés […] conformément à leur propre stratégie », ils ont continué à décider de toutes choses, y compris de la réponse à donner aux activités des partis politiques.
Néanmoins, malgré cette intrusion militaire jugeant de l’activité partisane, les manifestants grévistes du FIS organisent des meetings et des marches publiques. Parce qu’ils accaparent sans doute l’actualité politique, des négociations sont alors engagées entre le gouvernement et ce parti et aboutiront, le 29 mai 1991, à un accord pour l’occupation des places publiques, pour ne pas gêner les voies de circulation. Dans la capitale par exemple ce seront quatre places publiques qui seront désignées par le gouvernement pour le regroupement des grévistes.
Cet accord sera confirmé plus tard par le Premier ministre Mouloud Hamrouche, par son ministre de l’intérieur Mohamed Salah Mohammedi, ainsi que par l’ex-lieutenant de la Sécurité militaire Bouazza Ali Nassim désigné selon ses propres dires par « l’armée » pour assister à ces réunions, entendu comme témoin de deux rencontres selon le procès-verbal de son audition, dressé le 9 novembre 1991, par le juge d’instruction près le tribunal militaire de Blida, le capitaine Mustapha Slimani. Le général Lamari Smaïl dit Smaïn avait aussi assisté aux réunions, selon le témoignage sous serment de Bouazza.
Insatisfaits de la poursuite de la grève et de l’accord conclu avec le gouvernement, les décideurs ont alors révélé, sous la conduite de leur chef Nezzar Khaled, leur ”plan”, livré aux autorités civiles pour exécution.
En effet, Nezzar propose son plan au chef du gouvernement Hamrouche et au secrétaire général du parti FLN, Abdelhamid Mehri qui le rejetteront.
On apprendra à posteriori, qu’après la victoire électorale du FIS aux communales et régionales, en juin 1990, quatre des généraux avaient déjà décidé, lors d’une réunion informelle et clandestine, en décembre 1990, de produire ”leur” vision de la démocratie.
Un plan est alors rédigé par les généraux Lamari Mohamed, Touati Mohamed et Taghrirt Abdelmadjid à la demande de Nezzar Khaled.

Le général Nezzar Khaled. En octobre 1988, il ordonne à un tankiste de tirer au canon sur de jeunes manifestants. Il sera, en janvier 1992, l'artisan du coup de force incluant l’arrêt du processus démocratique. Imbu de sa puissance et de son impunité, il ne s'en cache pas auprès du journaliste Henri-Christian Giraud du Figaro Magazine.
En quoi consiste ce plan ?
Ce document est un plan de guerre appelé par Nezzar ”démarche politique de type état major. Le journal françaisLe Figaro l’avait révélé plus tard à l’opinion publique.
L’objectif réel du plan est d'organiser et de centraliser une riposte afin d’avilir avant d’éradiquer une importante partie de la population civile par l’usage des moyens publics.
En clair, ce plan d’état-major est un programme qui prévoit la recomposition du champ politique par l’éradication d’une partie de la population civile. La désinformation, la diffamation, l’intox ainsi que le harcèlement administratif et judiciaire sont ouvertement recommandés comme moyens préalables de disqualification du FIS (Plan A) avant de l’éliminer (Plan B).
Nezzar écrira dans ses « Mémoires… », révélant que ce plan était bâti sur de simples hypothèses, notamment que le FIS est dangereux pour la démocratie, que pour éviter les conséquences hypothétiques présumées d’une dictature islamiste le FIS devait absolument être combattu. « Ce scénario demeure plausible, voire probable d'autant qu'il s'inscrit dans le programme des formations politiques religieuses dont le temps d'influence s'est élargi. » Il poursuit encore :
« Si les conséquences […] présumées ci-dessus […] sont vraisemblables, et elles le sont dans des nombreux milieux, l'avènement d'un tel régime est manifestement inadmissible […] (et) n'est pas une fatalité inéluctable, si les mesures pour y pallier sont fixées et mises en œuvre sans délai et avec détermination, selon une stratégie nouvelle clairement définie. »
Ce plan militaire avait évidemment révélé le danger militariste au gouvernement légal. C’est ainsi qu’au vu de ce plan le chef de gouvernement parlera de « bruits de bottes » et que son ministre de l’intérieur de « solution à la chilienne ». Les décideurs ne lui pardonneront jamais cette audace.
Dans le système gouvernant de fait le pays, le plan de l’éradication du groupe des “autres” a deux mobiles articulés.
Le premier est politique. Il vise l'enfermement politico-juridique des indésirables puis leur neutralisation politique. Sa fonction est le maintien du pouvoir des mis en cause avec toutes les conséquences.
Le second, lui, est idéologique par emprunts successifs selon la mode du moment, et vise l'extermination du groupe des “autres” sans état d’âme, par l’insulte, la dégradation morale et enfin par l'anéantissement physique.
Il s’agit d’une véritable entreprise privée d’épuration par la violence, disposant du pouvoir et des moyens de l’Etat.
Après que le président de la République eut annoncé lors d’une intervention télévisée, le 2 juin 1991, que la date des élections était maintenue au 27 juin, le général Nezzar déploie des chars et des soldats dans les villes. Deux cents chars et dix mille hommes pour seulement la capitale. Dés lors, les agents du DRS, de la police, de la gendarmerie ainsi que l’armée interviennent brutalement, dans la nuit du 3 au 4 juin, sur les places publiques pour les vider, en tirant à balles réelles et sans sommations. Plusieurs témoignages sont disponibles pour être mis à la disposition de la justice, pour la première fois. Entre autres, celui de M. [...] qui dira au sujet de la journée du 4 juin 1991 lors de son audition par un juge d’instruction militaire, selon procès verbal dressé le 9 novembre 1991 : « Vers quatorze heures, quatre gendarmes en tenue, circulant à vive allure dans une Land Rover portant sigle de la gendarmerie, ont, sans avoir été provoqués, tiré sur la foule tuant et blessant plusieurs personnes dont moi même ».
Les décideurs avaient agi, sous la conduite de Nezzar, sans consulter le gouvernement en place, pour intervenir militairement, faisant plusieurs dizaines de morts. Dans une interview, le chef de gouvernement de l’époque, Mouloud Hamrouche, déclarait « Contrairement à ce qu'on a pu écrire ou dire, je n'étais pas favorable à l'évacuation des places publiques par la force. Je l'avais dit à l'époque et je l'assume. »
Le 5 juin donc, Nezzar fera déclarer l’état de siège par le chef d’Etat, tout en prenant soin, par le décret présidentiel n° 91-196 du 4 juin 1991 portant instauration de l’état de siège à compter du 5 juin 1991, de faire transférer les pouvoirs de police aux militaires. Ce transfert du pouvoir de police aux militaires résulte selon les déclarations publiques de Nezzar de son expérience d’octobre 1988.
Ce texte réglementaire donnera compétence aux juridictions militaires pour juger des civils, en violation de la Constitution de 1989 et du principe de séparation des pouvoirs. Dés lors, aucun crédit ne peut être attaché aux décisions de condamnation émanant de juges militaires, notamment contre des opposants politiques.
Ce décret violait en outre le code de justice militaire (CJM) qui limitait la compétence de ces juridictions aux crimes, puisqu’il étendait cette compétence aux faits que le décret qualifie de « délits graves ».
Il sera par ailleurs appliqué aux faits antérieurs, remontant au mois de mai notamment, contre le principe contenu non seulement dans la Constitution, mais aussi dans les différentes conventions des droits de l’Homme liant le pays, interdisant l’effet rétroactif des lois pénales.
Le général Nezzar juge le gouvernement ”incompétent”. Il le change. Dans ses Mémoires…, et parlant du gouvernement Hamrouche au nom de ses collègues décideurs, Nezzar écrit « il était convenu entre militaires, que nous ne pouvions engager l'Armée pour un gouvernement qui avait lamentablement échoué ». Propos desquels il ressort clairement que l’armée ne fait pas partie du gouvernement mais se situe au-dessus de lui pour juger son action et la condamner.
Sur la Place des Martyrs à Alger, alors occupée par les grévistes, des bruits d’armes automatiques retentissent. Un jeune témoigne : « je me jette à terre et roule derrière le kiosque pour me cacher, à côté d’un tank. Le soldat casqué, sur le tank, tirait à l’arme lourde sur la foule dans la place publique. La mitrailleuse Diktariov russe faisait un bruit horrible et des jeunes tombaient comme des mouches. »
L’intervention armée contre des civils sans défense fut le détonateur qui conduira des milliers de citoyens à manifester leur hostilité aux services de sécurité. On dispose de nombreux témoignages de policiers, comme le commissaire de police Boumediene Mohamed de la direction de sûreté d’Alger, et de gendarmes comme Cherit El-Hadj allant dans ce sens, entendus sous serment.
Selon le témoignage de l’officier de police B. Kamel, qui était, en juin 1991, sur les lieux occupés par les grévistes, « lorsque l'ordre fut donné de tirer dans la foule. C'était des membres des renseignements généraux de la Sûreté de la Wilaya d'Alger qui se sont rendus à l'hôpital Mustapha Pacha, pour enlever les blessés transportés à cet endroit. Ils travaillaient sous les ordres de l'officier Tounsi. Ils ont kidnappé ces gens, les ont transportés dans des casernes militaires et torturés. Je ne crois pas que ces gens aient été libérés. Ils sont portés disparus. Les médecins peuvent en témoigner, ils doivent en témoigner. »

Nommé en 1995 à la tête de la Direction Générale de la Police Nationale, le colonel Ali Tounsi, alias El Ghaouti, sera une pièce maîtresse de la répression. En témoigne le nombre des disparitions forcées dans les centres qui relevait de son autorité directe comme la tristement célèbre école de police de Châteauneuf, véritable laboratoire de torture, dirigée par l’un de ses proches, le commissaire Mohamed Issouli. Tounsi sera assassiné en février 2010 par un de ses collaborateurs pour des motifs obscurs (une constante dans les luttes des clans au sein du pouvoir en Algérie).
Dès le début du mois de juin, la confusion avait été provoquée et aggravée - la veille de la soudaine et brutale intervention armée sur les places publiques - par des tireurs anonymes circulant à bord de voitures banalisées, tirant aussi bien sur des grévistes que sur des policiers et gendarmes. Le ministre de l’intérieur Mohamed Salah Mohammedi signalait, déjà le 4 juin 1991, que ces tireurs visaient aussi bien les grévistes que les gendarmes. Le 13 du même mois, le journal gouvernemental El Moudjahid confirmera l’information.
Des films vidéo les montreront sortant du commissariat central de police du boulevard Amirouche, pour se diriger vers les places publiques et tirer. Tous les responsables militaires et civils reconnaîtront le fait, le qualifiant souvent de « mystérieux ».
Certains, comme le général Nezzar, l’attribueront outrageusement aux « islamistes ». Pourtant, après l’arrestation et l’inculpation des dirigeants du FIS, le président de ce parti, Abassi Madani, remettra ces cassettes vidéo au général Mediene Mohamed chef du DRS. Des copies de films versées par les avocats de la défense des dirigeants du FIS au greffe du tribunal militaire disparaîtront. Rien d’étonnant à cela puisque le tribunal militaire dépend directement du général Nezzar.
Des grévistes arriveront à identifier plusieurs d’entre ces tireurs-provocateurs. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’officiers et agents des différentes structures du DRS. Ils seront signalés aux autorités. Quelques-uns iront, plus tard, déposer contre les dirigeants du parti poursuivis devant le tribunal militaire de Blida. Mais en tout état de cause l’accusation sera écartée, d’abord par le juge d’instruction militaire puisqu’il ordonnera un non-lieu en raison du très peu de crédit de ces accusations ainsi que des documents produits audit juge par les avocats des dirigeants du FIS, au profit de tous les responsables du FIS à l’exclusion de Ali Benhadj, ensuite par le tribunal militaire qui acquittera Ali Benhadj de cette accusation. Malgré l’autorité de chose jugée, Nezzar continuera à en faire état.
Le nouveau chef de gouvernement, Ghozali Sid Ahmed mis en cause, partagera plus tard la thèse de Nezzar sur l’éradication d’une partie de la population.
Avant cela, tout en promettant alors de satisfaire les revendications des grévistes par le retrait des lois litigieuses pour calmer la rue, Ghozali parlera d’élections « propres et honnêtes » afin d’obtenir l’arrêt de la grève. Le lieutenant Bouazza déjà cité dira qu’ayant lui-même la confiance de l’armée qui l’a désigné, du gouvernement Hamrouche et celle du parti contestataire, le nouveau chef de gouvernement Ghozali l’a sollicité pour continuer encore à servir d’intermédiaire entre lui et les dirigeants du FIS. Ce qu’il fit comme il ressort de ses propres déclarations sur procès-verbal dressé par le juge d’instruction militaire. Un accord est donc conclu entre les dirigeants du FIS et le nouveau chef de gouvernement.
En fait, l’accord conclu, entre les 6 et 7 juin, pour des élections ”propres et honnêtes” conduisait directement à l’arrêt de la grève, accord qui sera rendu public le soir même par le chef du parti contestataire, avec ”Appel pour l’arrêt de la grève” diffusé par communiqué le 7 juin. Les élections « propres et honnêtes » selon la qualification du nouveau chef de gouvernement seront reportées du 27 juin au 26 décembre 1991.

Complice zélé des généraux putschistes, l’ex-Premier ministre Ghozali Sid Ahmed (5 juin 1991 - 8 juillet 1992), organisera, avec son ministre de l’intérieur Belkheir Larbi, l’enlèvement de plus de 12 000 citoyens qui seront déportés vers des camps de concentration au Sahara (comme le révélera le colonel Samraoui, lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision arabe Al-Jazeera, le 1er août 2001). Il couvrira la pratique systématique de la torture. Il déclara lui-même : « en tant qu'ex-responsable, j'assume sans aucune hésitation cet arrêt [du processus démocratique] qui est, je le précise, une responsabilité du gouvernement que je présidais alors ».
Toutefois, le 30 juin 1991, le décideur Nezzar fera arrêter les principaux dirigeants du FIS, afin de les faire juger par un tribunal militaire sous sa coupe directe pour « grève insurrectionnelle ». Avec sept de ses dirigeants arrêtés, le FIS est donc décapité.
Il n’empêche qu'au lendemain de cet accord, la mort continuait de frapper hommes, femmes et enfants, tués par des militaires, policiers et gendarmes, ainsi que par des agents du DRS circulant dans des voitures banalisées, sur les ordres des généraux.
Sur tout le territoire national, des centaines de cadres et des milliers de militants et sympathisants du FIS seront illégalement licenciés de leur travail, et plusieurs milliers seront enlevés ou arrêtés et déportés au Sahara, dans des camps ouverts au grand Sud algérien, à une distance comprise entre 800 et 2500 kilomètres de la capitale.
Ces camps ont un ancêtre administratif et sont une projection de l'idéologie éradicatrice, à l’instar de l'idéologie colonisatrice. Situés dans le sable, ces camps sont clôturés par du fil barbelé, et sont pour leur grande part des tentes militaires dépourvues de toute commodité ; les équipements, installations, bureaux et dortoirs préfabriqués et à l’usage exclusif des soldats et leurs commandants étant situés à l’extérieur du camp.
Les quotidiens The Gardian et Sawt Al Koweït rapporteront qu’en l’espace d’un seul mois, entre juin et juillet 1991, il y a eu 300 morts et 8000 déportés.
Nonobstant l’emprisonnement des dirigeants et la déportation de milliers de militants du parti contestataire, ainsi que toutes les mesures administratives « préventives » prises par le gouvernement de Hamrouche, renforcées par celui de Ghozali, on verra s’accentuer toutes sortes de menaces à l’approche des législatives prévues pour le 26 décembre.
Ainsi, Nezzar propose encore une fois, le 9 juillet 1991, sa démarche de type « état-major » au président de la République Chadli Bendjedid. Ce dernier le rejette, comme l’avaient fait avant lui le gouvernement Hamrouche et le parti FLN.
Le 5 décembre 1991, alors que la campagne électorale est lancée, la dernière Assemblée Populaire Nationale (Parlement) à majorité FLN adopte comme dispositif préventif une loi permettant aux autorités administratives locales de faire appel à l'armée pour maintenir l'ordre public, sans passer par l'état de siège et donc par le chef de l’Etat.
Le gouvernement continuera de prendre, quant à lui, de nombreuses mesures afin d’exclure les assemblées élues de toutes les opérations précédant le scrutin, comme l’installation de commissions administratives électorales chargées de contrôler les conditions de révision de la liste électorale et plus particulièrement celles relatives aux inscriptions et radiations des électeurs de la commune ou de la représentation diplomatique ou consulaire.
En novembre 1991, au lendemain d’une attaque ayant visé le poste militaire de Guemmar et qui fit plusieurs morts parmi les appelés au service national (militaire), les foyers algériens sont envahis par l'image du ministre de la défense Nezzar qui intervient, en tenue militaire, à la télévision pour accuser le FIS. Il dira que ce parti a un lien « indirect » avec cette sanglante agression. En dehors de toute enquête, cette grave accusation ne pouvait résulter que d’un préjugé. Le parti incriminé protesta. La presse fera état d’un mystérieux « Tayeb » affublé du qualificatif magique de « el-Afghani » et pour rendre la responsabilité du FIS plus vraisemblable, le maire élu de la ville fut inculpé devant le tribunal militaire. Plus tard, l’ancien responsable des services secrets, le général Mohamed Betchine, se verra reprocher « d’avoir fomenté l’attaque d’une caserne dans le sud-est algérien pour accréditer la thèse (...) de l’existence de groupes islamiques armés bien avant l’interruption du processus électoral ». Cette accusation sera confirmée par un agent du DRS infiltré dans les groupes armés, Merah, comme il sera établi. Mais il n’est pas exclu que l’attaque soit le fait d’un groupe terroriste manipulé parmi ceux qui refusaient la voie légaliste du FIS.
Le 6 décembre, le FIS qui devait organiser des manifestations à travers tout le pays y renonce après une sévère mise en garde du ministère de l'Intérieur. Le parti n’ayant pas annoncé sa participation aux législatives ne pouvait organiser de manifestation selon le gouvernement.
Après hésitation, le 14 décembre, la nouvelle direction du FIS annonce sa participation aux législatives. Le chef de gouvernement Ghozali l’y avait invité solennellement lors d’une émission organisée à Alger par la chaîne de télévision française Antenne 2, disant qu’une abstention n’enlèverait rien au crédit des élections « propres et honnêtes » qu’il se proposait d’organiser. Le président de la République dira, lors d’une conférence de presse télévisée, diffusée le 24 décembre 1991, qu’il accepterait le résultat des urnes et ne refuserait pas, éventuellement, une cohabitation avec ce parti.
Les résultats donnent presque 8 millions de votants sur 13 millions d’inscrits mais seulement 6,8 millions des suffrages exprimés ont été validés au premier tour des élections législatives. Il y eu donc 11,5 % de bulletins annulés en raison d’un dépouillement plus que scrupuleux. Le taux de participation était de 59 % des inscrits, alors qu’il était de 65,20% lors des élections locales, en 1990. Ajoutons que 900 000 cartes d’électeurs ne furent pas distribuées et qu’un million d’autres cartes ne furent même pas émises par l’administration.
Le soir du 26 décembre 1991, le chef de gouvernement Ghozali Sid Ahmed s’est dit « très satisfait de la conduite, du climat et du taux de participation », alors que son ministre de l’intérieur Belkheir Larbi s’est déclaré « très satisfait », tout en remarquant que les conditions des élections étaient en général « parfaites », en dehors de quelques incidents « sans conséquences ». Les observateurs étrangers qualifieront, dans leur grande majorité, le scrutin du 26 décembre 1991 de « première démocratique africaine et arabe ».

Ministre de l’intérieur puis président du Haut Comité d’État, créé après le putsch, le général Belkheir a organisé la création des premiers camps de concentration dans le désert algérien et le déplacement forcé d’un important groupe de la population civile, créé des escadrons de la mort (avec l’accord de la hiérarchie militaire et particulièrement celle des services de la sécurité militaire), ordonné, appuyé, favorisé et - couvert les services de la police sous ses ordres - la pratique systématique de la torture et des exécutions sommaires. C’est d’ailleurs sous son instigation et ses ordres que le général Khaled Nezzar a pu obtenir un « ordre de mission officielle » post-daté de l’Etat algérien, ainsi qu’un avion lui permettant d’être exfiltré et fuir la justice française, en avril 2001, suite à une plainte portée par des victimes et/ou leurs familles. Quelques mois avant son décès, survenu en janvier 2010, le Premier ministre Ouyahia, toujours en poste, lui dépêche un avion sanitaire pour lui faire quitter Paris au plus vite - où il séjournait pour raisons médicales - de crainte qu’il soit auditionné dans le cadre de l’assassinat de l’avocat et opposant franco-algérien Ali Mecili.
Malgré ses nombreux handicaps et l’incarcération de ses plus hauts dirigeants, le FIS en sortira vainqueur en obtenant 47,54 % des suffrages exprimés.
Parmi ces handicaps, le découpage défavorable des circonscriptions électorales, l’augmentation du nombre des Dairate (sous-préfectures) qui passe de 229 à 550 après qu’elles furent dotées de prérogatives détenues précédemment par les assemblées locales élues, mettant ainsi le vote sous le contrôle exclusif de l’administration, l’interdiction de voter par plus d’une procuration, la multiplication par trois des bulletins annulés par rapport au scrutin de juin 1990 - la quasi-totalité des bulletins déclarés nuls était pour de ses candidats - la non-émission par les Wilayate (préfectures) d’un million de cartes d’électeurs indispensables pour voter, ou encore la non-distribution de plus de 900.000 autres cartes d’électeurs dans les régions acquises au FIS, alors qu’un marché public avait été passé pour cette distribution entre le ministère de l’intérieur et le ministère des PTT, au prix de 1 dinar la carte.
Le DRS et le gouvernement avaient, juste avant la campagne électorale, favorisé la multiplication des partis islamistes, comme Hamas et Ennahda. Plusieurs témoignages d’officiers du DRS le confirment. Dans la semaine qui a précédé sa mort par empoisonnement, Merah Ahmed, qui faisait partie aussi bien du groupe islamiste Bouyali des années 1980 que des services de sécurité, a publiquement accusé Mahfoud Nahnah d'avoir créé un parti politique à la demande des services de sécurité pour s'opposer au FIS. Malgré l'apparition de nouveaux partis politiques pour concurrencer le FIS, comme Hamas (370 000 voix), Ennahda (150 000 voix), MDA (135 000 voix) etc., le FIS avait acquis en 1991 de nouvelles régions qui avaient voté en 1990 pour le FLN (Tindouf, Béchar, Ghardaia, Ouargla, El Oued) ou pour d’autres partis (Tizi Ouzou).
Les plus importants partis, y compris le FLN, le FFS, Ennahda, Hamas, le Parti des Travailleurs (PT), le Parti du Renouveau Algérien (PRA), etc. se déclarent publiquement respectueux de la volonté populaire. Le RCD qui n’obtient aucun siège est éliminé. Il appelle à « casser ce processus électoral ». La rumeur au sujet d’un coup d’Etat fera réagir le FFS. Il annonce sa participation au second tour, et appelle à manifester le 2 janvier pour « sauver la démocratie ». Mais la manifestation du FFS sera manipulée comme le reconnaîtra Nezzar.

« Je me suis trompé de peuple ». Tel fut le douloureux constat de Said Sadi, président du mal-nommé ‘Rassemblement pour la Culture et la Démocratie’, au lendemain de son cinglant échec au premier tour des législatives. Aucun siège de gagné. Sadi applaudira le putsch et s’acharnera, avec sa complice Khalida Messaoudi, à en appuyer le bien-fondé auprès des médias internationaux. Un câble diplomatique US, révélé par Wikileaks démontre sa proximité avec le chef des services secrets algériens, le général Mediene. Extrait : « Sadi a également déclaré que de nombreux officiers supérieurs ont commencé à se demander si l’armée pouvait rester totalement en dehors de la politique, sans crainte de représailles pour toutes les violations commises au cours de la guerre civile. »
Le souci majeur des putschistes : tout régenter et préserver les intérêts des clans militaro-civils mafieux
Le résultat du premier tour des législatives de 1991 démontrera l’enracinement social du FIS, nonobstant la multiplication des obstacles de toutes sortes contre lui, d’où la fatalité génocidaire de tout plan ou démarche de type « état-major » visant non seulement à décapiter sa direction mais aussi à éradiquer sa base sociale, ainsi que le prévoyait le programme des putschistes.
Il convient de rappeler que, à la veille des législatives, le 24 décembre 1991, le président de la République Chadli Bendjedid déclarait qu’il était prêt à cohabiter avec la première force politique, y compris en cas de victoire du FIS. Cette victoire est reconnue par le gouvernement puisque son chef, Ghozali Sid-Ahmed, répondant aux questions du Club de la presse d’Europe 1, le 6 janvier 1992, dira que « Le parti qui aura la majorité prendra le gouvernement »et croit « très bien le FIS capable de choisir des gens compétents pour gérer le pays ». Mais le général Nezzar avait ordonné la mise en exécution de son plan sans égard au choix populaire.
Immédiatement après la proclamation des résultats du premier tour des législatives Nezzar tiendra une réunion informelle avec ses amis, pour s’entendre sur un coup de force incluant l’arrêt du processus démocratique. Une réunion est donc tenue à Aïn Naâdja (QG des forces terrestres). Regroupant 25 officiers supérieurs - chefs des régions militaires, chefs de divisions de combat, chefs du DRS et le chef d’état-major – et présidée par le général Nezzar, ce conclave décida alors d’exclure le FIS de la scène politique par tous les moyens, y compris ”extrêmes”. Avec l’accord de ses pairs, Nezzar se réunira avec le gouvernement pour y dicter la marche à suivre.
Le président de la République, Chadli Bendjedid, n’avait pas le choix. Les putschistes se permettront de rédiger préalablement, lors du conclave informel, la lettre de démission qu’il devra lire à la télévision, le soir du 11 janvier 1992. Les auteurs de cette lettre étaient le général Touati Mohamed et Haroun Ali.

Participant activement à la « démission » du président Chadli Bendjedid (dont il co-rédige, avec Haroun Ali, la lettre de démission) et à l'arrêt du processus démocratique, le général Touati devient au lendemain du putsch conseiller spécial du ministre de la Défense, le général Nezzar, et l'un des généraux les plus influents de l'armée algérienne. Il est considéré comme l’idéologue (il est affublé du surnom « El Mokh », 'le cerveau' en arabe) et le concepteur du plan génocidaire de recomposition sociale et politique de la société par l’élimination d’un groupe discriminé de la population civile (celle qui avait choisi le « mauvais camp »).

Avocat, ministre des « droits de l'homme » et membre du HCE de 1992 à 1994, Haroun Ali avait apporté son « soutien indéfectible » (dixit Nezzar) aux putschistes, co-rédacteur avec le sinistre général Taouti de la lettre de démission du président Chadli. Sous son mandat de ministre, il cautionnera la déportation de milliers de citoyens innocents dans des camps de concentration dans le Sud du pays, couvrira la pratique systématique et à grande échelle de la torture, des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements suivis de disparitions forcées. Avec son accord et son appui, les juges ont condamné des milliers d’innocents sur la base d’aveux extorqués par la torture, alors même qu’elles présentaient devant les juges les traces visibles des tortures subies et de graves séquelles des supplices endurés.
La volonté des décideurs se situait toujours au-dessus de la Constitution et des lois. Ils manipuleront une manifestation publique du FFS pour donner crédit à leur entreprise, et feront appel à une nouvelle entité : le Comité national de sauvegarde de l’Algérie ou (CNSA). Celui-ci représente, en tout et pour tout, deux partis politiques insignifiants (PAGS et RCD), cinq organisations syndicales et patronales satellites du parti unique (FLN) et quelques personnalités.
La presse publique est mise à contribution pour cette entreprise écrira Pierre Guillard : « El Moudjahid tente laborieusement d’expliquer : « Le FIS ne représente que le quart des Algériens. » C’est vrai, le FIS a remporté la moitié des suffrages exprimés, qui sont un peu plus du quart des inscrits. Mais cette assertion mille fois répétée va servir une démonstration hasardeuse selon laquelle 75% des Algériens sont hostiles au FIS. (…) Les abstentionnistes (41% des inscrits) seront systématiquement rangés dans le camp « anti-intégriste ». (…) El Moudjahid est un instrument. Ont-ils pu croire, par exemple, que le FIS s’exprimait par la terreur, les appels au djihad entre le 26 décembre et le 11 janvier, alors que l’exact contraire avait été observé ? Furent-ils dupes ? Oui, s’ils l’ont désiré, oui, s’ils ne voulaient pas savoir. » Même les lois adoptées pour faire échec au FIS furent critiquées. Il en est ainsi du mode de scrutin retenu. Pourtant, dans sa première décision, le tout nouveau Conseil constitutionnel affirmait que : « Tout mode de scrutin dans ses détails peut susciter des réserves de principe », impliquant qu’aucune raison ne permet à elle seule de privilégier tel mode de scrutin sur un autre.
L’attitude paradoxale de Nezzar vis-à-vis de la Constitution le conduira à la violer au nom de la démocratie, et d’arrêter le processus démocratique. Nezzar dira « Nous étions prêts à accepter que le FIS participe à l’Assemblée à hauteur de 30% des sièges », ce qui signifie qu’il mettait une limite au choix du peuple souverain.
Selon Abdelkader Yefsah déjà cité, ne pouvant contrôler le pouvoir, les chefs de l’armée y reviennent en « destituant le président Chadli et en annulant les élections de décembre 1991, remportées par le FIS. Avec la mise en place du Haut Comité d’Etat et la politique du tout-répressif, l’armée redevient, au grand jour, l’unique source du pouvoir. […] Un certain nombre d’officiers supérieurs, plutôt janissaires que républicains, sont prêts à continuer indéfiniment et inutilement la politique du tout sécuritaire. […] (l’armée) risque de devenir une armée de type haïtien, une armée de tontons-macoutes »
Le président Chadli Bendjedid s’exprimera, plus tard, dans des interviews. Dans l’entretien accordé au quotidien arabophone El Hayat paraissant à Londres, il déclara en substance : « j’avais constaté qu’un grand nombre d’officiers militaires n’était pas convaincu par une véritable expérience démocratique […] ceux qui ont agi contre l’expérience démocratique font partie de ceux qui avaient acquis des biens illégitimes, refusant la transparence ils (y) ont vu un danger qui menaçait leurs intérêts […] j’ai démissionné pour ne pas trahir la volonté du peuple. »
Au cours d’une interview accordée au quotidien algérien Le Matin, parue le 13 janvier 2001, l’ancien président algérien déclarait que sa conscience lui dictait de respecter le verdict des urnes, et comme il s’est vu contraint par les généraux de s’en abstenir, il a préféré sa dignité et sa conscience. En effet, à la question : « Arrêter le processus électoral ou aller jusqu'au bout ? », il répondra : « Nous étions devant un dilemme inattendu, certes, mais quand on a des convictions on ne peut faire une autre politique que celle que dicte votre conscience. On ne peut prétendre édifier un Etat de droit et accepter qu'on bafoue le verdict des urnes, quel que soit ce verdict. C'était mon choix de poursuivre le processus électoral, d'affronter l'énorme incertitude et de faire confiance en l'avenir. Je ne voulais pas abdiquer à la volonté d'un système qui avait vieilli. Alors, entre ma conscience et mon poste, j'ai choisi ma conscience. »
Le même coup de force se répétera sept ans plus tard avec un autre président, Zeroual Liamine, poussé à la démission prématurée en 1998. Comme ses pairs, et lors d’une interview anonyme, le général X reconnaît auxdécideurs de l’armée, un pouvoir extra-constitutionnel lorsqu’il déclare « Nous laissons toujours la direction politique gouverner et n'intervenons jamais, à moins que les intérêts supérieurs de la nation ne soient en jeu. ». Les juges suprêmes de ces intérêts sont évidemment les décideurs et non le président de la république élu, encore moins le peuple.
Merah Ahmed qui sera assassiné juste après son intervention publique dira lors d’une interview : « En définitive, le problème du pouvoir n'est ni les islamistes ni le terrorisme, mais quiconque menace ses intérêts. »
L’ex-officier des services de sécurité militaire Hichem Aboud écrit pour sa part : « Il faut vraiment être naïf, ou méconnaître ces gens, pour croire un seul instant qu'ils ont des convictions politiques ou idéologiques. Lamari se soucie peu de la tendance politique du président de la République ou du gouvernement. L'important, pour lui et ses complices, c'est qu'on ne touche pas aux intérêts de la mafia. »
Cet ancien officier accuse onze généraux d’être responsables de la tragédie algérienne. Grâce à de nombreux témoignages qu’il aurait obtenus et à des recoupements, il décrit les péripéties de la destitution-démission de Chadli Bendjedid : « Lorsqu’au matin du 11 janvier 1992 le président Chadli Bendjedid apprend que des blindés de l'Armée sont positionnés dans Alger et à sa périphérie, il téléphone au commandant de la Garde républicaine, le général major Dib Makhlouf […]. Mais Dib Makhlouf informe Nezzar de la décision du Président, et c’est ainsi que quelques heures plus tard, alors que « le général Mohamed Touati avait déjà rédigé la lettre de démission de Chadli, les généraux Mohamed Lamari, Khaled Nezzar, Dib Makhlouf et Benabbès Gheziel font irruption dans le bureau du Président de la République, coupé de ses gardes du corps (...) Lamari menace : […] Tiens, c'est ta lettre de démission. Tu vas la lire maintenant devant les caméras, sinon tu connaîtras le même sort que Ceausescu ». Cette scène […] Dib Makhlouf, tout fier, la raconte depuis à qui veut l'entendre. »
Au plan formel, arguant du fait que la Constitution ne prévoit pas le cas de figure de la vacance concomitante de l’Assemblée Populaire Nationale (APN) - Parlement - (par dissolution) et la vacance de la Présidence de la République (par la démission), le Conseil constitutionnel offrira le pouvoir au Haut Conseil de Sécurité, une entité consultative, qui se réunira sans son président en titre, en présence de personnes n’ayant pas qualité pour y assister, afin de prendre des mesures putschistes touchant l’avenir immédiat et futur de toute une nation.
En fait, le président de la République avait été contraint par les mis en cause de s’en aller, et la dissolution du Parlement avait été antidatée par eux. Selon le quotidien Le Jeune Indépendant, du 13 janvier 2002, qui confirmera l’information, la dissolution de l’APN avait été antidatée. L’ex-président de la République Chadli Bendjedid n’avait signé le décret présidentiel n° 92-01 portant dissolution de l’APN - daté du 4 janvier 1992 – qu’une semaine après la date officielle du 4 janvier 1992, soit le 11, date de sa démission. « La dissolution de l’Assemblée populaire nationale a été antidatée afin d’empêcher son président, Abdelaziz Belkhadem, de succéder, selon la constitution de 1989, à Chadli Bendjedid et de préparer ainsi de nouvelles élections présidentielles. »
Le président de l’Assemblée Populaire Nationale (APN), Abdelaziz Belkhadem, dira avoir appris la dissolution du Parlement à la radio. Cette entorse avait pour seul but d’arriver à une vacance de pouvoir par une interprétation tendancieuse de la constitution. En effet, en droit, la Constitution de 1989 permet au président de l’APN, Abdelaziz Belkhadem, de succéder à Chadli Bendjedid. On ne peut comprendre, donc, que le décret de dissolution du Parlement soit tenu secret, également à son égard.
De plus, le cas de figure de la vacance concomitante des deux institutions figure au texte fondamental avec une solution constitutionnelle, notamment le paragraphe 4 de l’article 84, qui fait produire les mêmes effets à la démission et au décès du président de la République. En outre, le Conseil constitutionnel ignorera les dispositions du paragraphe 10 de l’article 84 qui attribue au président du Conseil Constitutionnel la charge de président de la République, par intérim, durant 45 jours, pour procéder à de nouvelles élections présidentielles.
Ce sont là des alternatives constitutionnelles écartées d’autorité pour faire passer le projet des décideurs.
C’est ainsi que l’un des organes consultatifs prévus par la Constitution, le Haut Conseil de Sécurité (HCS), présidé de droit par le président de la République sera réuni sous la présidence du chef de gouvernement Ghozali Sid Ahmed, en l’absence de toute personne représentative, notamment les présidents de la République et du Parlement, membres statutaires écartés d’autorité.
Dominé par les généraux-majors Nezzar en qualité de ministre de la défense, Belkheir ministre de l’intérieur et Guenaïzia, chef d’état-major de l’armée, ce HCS se substituera de fait au président de la République. On sait que le chef de gouvernement Ghozali Sid Ahmed était acquis aux chefs de la thèse putschiste. Nezzar écrit dans ses "Mémoires…", que « Ghozali pris avec nous une part très active dans la gestion de la crise et l’arrêt du processus électoral. » Nezzar disposait donc de la majorité au HCS. Des pressions seront néanmoins exercées sur les autres membres, Hamdani Benkhelil le ministre de la justice notamment, en raison du double souci de maintenir une unanimité apparente et de laisser les militaires dans l’ombre. Nezzar rapporte dans ses Mémoires… : « Le ministre de la Justice, tétanisé alors que nous recherchions l'unanimité, brilla par son indécision. Au contraire, Larbi Belkheir, qui voyait que l'aboutissement des discussions tardait, frappa du poing sur la table à plusieurs reprises […] ».
Haroun Ali, ministre des « droits de l’Homme », qui n'avait aucun titre pour assister à cette réunion fut imposé par Nezzar. Ce dernier expliquera sa présence par « sa participation active au règlement de la crise et sa qualité de juriste ».
Le HCS annule les législatives le 12 janvier 1992 et crée, par la proclamation du 14 janvier 1992, un ”Haut Comité d'Etat” (HCE) qui est une entité extra-constitutionnelle chargée, avec tous les attributs du président de la République, de gouverner le pays jusqu'en décembre 1993, qui est la date de fin de mandat du président élu. De fait, cette date sera prolongée jusqu’au 30 janvier 1994.
Le général Nezzar refusera toute solution pacifique à la crise ainsi créée, malgré l’insistance des responsables des partis politiques représentatifs, notamment Hocine Ait-Ahmed dirigeant du FFS, Abdelhamid Mehri secrétaire général du FLN ou encore Benyoucef Benkhedda, l’ancien président du gouvernement provisoire (GPRA). Quant au sentiment du leader du FFS au sujet des événements, Nezzar écrit à son sujet : La seconde fois que je le revis, ce fut le soir de la démission de Chadli […] Je trouvais en face de moi, cette fois-ci, un homme tout retourné et sous le choc de l'événement, répétant sans cesse que c'était un coup d'Etat ».
Pourtant, Ait Ahmed s’opposait à l’arrêt du processus démocratique, et son : « argument était que "la démocratie est un plus" et que "de toute manière, le président dispose de prérogatives lui permettant de dissoudre l'assemblée". Je lui répondis qu'il n'y avait pas de présidence au sens réel du terme . » écrit encore Nezzar.
Pour le général Atailia qui s’y opposait aussi : « S'ils m'avaient écouté à l'époque, on aurait évité la catastrophe. Je leur ai dit qu'il fallait laisser le FIS gouverner dès lors que le président dispose de toutes les prérogatives constitutionnelles pour rétablir les choses en cas de déviation, car il est difficile de porter un jugement sur un parti qui n'a pas gouverné ».
L’arrêt du processus démocratique a été qualifié par le président par intérim du FIS, Abdelkader Hachani, de “coup d’Etat contre le choix du peuple”. Il dira que son parti ne renoncerait pas et continuerait à réclamer “la légalité constitutionnelle”. Le Président Bouteflika reconnaîtra dix années plus tard que l'interruption du processus démocratique était une « violence ».
Le 22 janvier 1992, Nezzar accentue la cassure en faisant procéder à l’arrestation de Abdelkader Hachani, président de l’exécutif provisoire du FIS.
Le 9 février 1992 il fait proclamer l’état d’urgence pour un an par le décret n° 92-44. Ce décret attribuait au général-major Belkheir Larbi, ministre de l’Intérieur, pour tout le territoire national, le pouvoir de déporter toute personne, et de faire appel à l’armée. C'est la première fois qu'une autorité civile, un ministre de l’intérieur en l’occurrence, dispose des forces armées. Ce décret élargira d’autre part la compétence des tribunaux militaires aux civils.
Mais la gestion de l’état d’urgence sera le fait exclusif des militaires sous la direction et le contrôle de Nezzar, dès que le général-major Belkheir Larbi quittera le ministère de l'Intérieur, le 8 juillet 1992. Le décret sera, en effet, détourné par des circulaires clandestines. La démonstration en sera faite ci-dessous.
La répression du « terrorisme » fut confiée depuis janvier 1992, en plus des forces spéciales de l’armée, aux brigades mixtes composées de membres choisis de l’armée, de la police et du Groupe d’intervention Rapide (GIR) de la gendarmerie. Ces brigades mixtes dépendent du général-major Belkheir Larbi, ministre de l’Intérieur, gérant officiel de l’état d’urgence. Ziari Khaled, ex-officier supérieur à la Direction générale de la sûreté nationale dira que, dans le cadre de la lutte antiterroriste, les policiers ont été associés à part entière dans les opérations dites combinées, y compris en milieu rural. Une troisième force dépendant aussi du général-major Belkheir Larbi, ministre de l’Intérieur, aura une compétence limitée au milieu urbain. En effet, dans le centre des villes opèrent les « Ninjas » du Groupe d’intervention et de surveillance (GIS), équipés de matériel moderne de communication et d'information pour l'anti-guérilla urbaine, portant une tenue bleue et une cagoule et circulant dans des véhicules 4 x 4, de marque Nissan, type Patrol, de couleur blanche.

Qui tue en Algérie ? « C’est nous, nous », témoigneront deux « Ninjas » devant le journaliste John Sweeney (The Observer), "contredisant la position officielle du gouvernement algérien comme quoi seuls les musulmans fondamentalistes seraient responsables des massacres. Ils donneront des preuves détaillées de l’implication de l’État dans toute une série d’abus de droit civil : massacre par des équipes meurtrières de la Sécurité militaire, torture des opposants au régime, espionnage et le meurtre des journalistes peu commodes ainsi que des artistes populaires afin de noircir la renommée des islamistes dans une guerre psychologique soigneusement organisée."
Une quatrième force opérait sous le même sigle, (GIS) Groupe d’Intervention Spécial, sous la direction du général-major Lamari Smain du DRS. Cet autre GIS, dont le siège était dans le centre d’intervention de la police à Châteauneuf et ses unités au siège des différentes régions militaires, était parfois appelé PCO par ses agents (poste de commandement opérationnel). Ses membres portaient des uniformes noirs et des cagoules, et circulaient à bord de véhicules de marque Toyota, de couleur vert bouteille. Ce corps sera dissous en 1995, mais ses éléments continueront d’agir, selon le témoignage de l'ex-lieutenant Habib Souaidia, en exil en France, auteur du best-seller "La Sale Guerre". Les forces spéciales de l’armée seront néanmoins le principal moyen de répression, notamment après la mise en place, en octobre 1992, du Centre de commandement et de coordination de la lutte anti-subversive (CCCLAS), opérationnel en décembre de la même année.

« Zéro tolérance » et « pas de prisonniers ». Tel était le credo du général Lamari Smaïl, qui dirigeait la Direction de la Sécurité Intérieure (DSI), avec les sinistres CTRI (centres territoriaux de recherche et d'investigation) implantés dans les différentes circonscriptions militaires du pays. Avec son supérieur. Mediene Mohamed dit Toufik, il mettra à exécution une vaste entreprise criminelle. Le général Lamari Smaïn a pris l’initiative d’organiser des séminaires sur la torture au siège de l’institut supérieur des techniques du renseignement (à Beni Messous) auxquels étaient conviés des officiers de la DRS. Il est responsable donc, entre autres, de la pratique de la torture dont il a autorisé l’enseignement et l’usage systématique. Il est également responsable des exécutions extrajudiciaires opérées à grande échelle, sur la base d’un programme de liquidation physique de citoyens algériens, commises par les services de sécurité militaire ainsi que par la police passée sous son contrôle, en mars 1995. C’est ainsi que de nombreux citoyens algériens seront enlevés et, sous sa direction personnelle, pour disparaître, être torturés, emprisonnés et/ou assassinés. Par ailleurs, Il se distinguera par ses négociations avec l’AIS (Armée Islamique du Salut) dont il obtiendra la reddition en 1997. Les accords passés avec les chefs de l’AIS sont toujours secrets. Seul signe visible de ce marché dont la population civile sera dupe : ces terroristes seront amnistiés et, accessoirement, encouragés à se lancer dans les affaires. Décédé en 2007, le général Lamari Smaïl restera l’un des symboles de la répression sanglante qui s'est abattue sur la population, au lendemain du coup d'état du 11 janvier 1992.
Le terme terroriste mérite explication. Selon Fatiha Talahite, chercheur au CNRS, « L’usage du terme "terrorisme" pour désigner la pratique de la violence à des fins politiques devrait être strictement limité au cas des régimes démocratiques, dans lesquels la possibilité existe effectivement de manifester son opposition et de sanctionner le pouvoir par les urnes. Mais la réaction - malheureusement souvent violente par nécessité - à un coup d’état, à l’interruption d’élections, à la dissolution arbitraire d’organisations politiques, à la fraude électorale, à la suppression des libertés fondamentales, est légitime et ne devrait pas être qualifiée de "terroriste"».
Relativement à la fraude électorale, par exemple, le sociologue, Abdennasser Djabi, interviewé par Yassin Temlali, journaliste à Algeria Interface, le 30 mai 2002, dira : « Il faut inscrire la fraude dans le contexte d’une dégradation morale généralisée, qui n’épargne même pas la famille algérienne. La « nouvelle morale sociale » a pour maître mot la 'chtara', la débrouille. En Algérie, un chèque bancaire ne signifie aucun engagement à payer ! La corruption est quasiment ordinaire depuis 10 ans, aussi ordinaire que la mort violente et l’agression ! Comment s’étonner, dans ces conditions, de l’ampleur de la fraude électorale ? La fraude empêche une lecture honnête des résultats des scrutins, l’exception étant les scrutins de 1990 et 1991… Sa réalité a été démontrée lors les élections locales d’octobre 1997 (fraude massive du RND)”.
L’état d'urgence est prolongé le 9 février 1993, et reste en vigueur jusqu’à ce jour, en violation d’une disposition de la Constitution de 1989. Une disposition similaire dans la nouvelle Constitution de 1996 stipule clairement que « la durée de l'état d'urgence ou de l'état de siège ne peut être prorogée qu'après approbation du Parlement siégeant en chambres réunies ».
De fait, depuis la centralisation de la répression entre les mains du général-major Lamari Mohamed, chef suprême du Centre de commandement et de coordination de la lutte anti-subversive (CCCLAS), et le départ du général-major Belkheir Larbi du ministère de l’Intérieur, l’état d’urgence s’est mué en un état de siège, transférant par circulaires secrètes les pouvoirs de police aux militaires, et donc à leur chef suprême, le général Nezzar. Les décideurs militaires ont donc toujours eu la direction de la répression, tout en gardant le paravent civil, afin d’éviter de devoir en répondre.
Dans son rapport définitif remis le mercredi 26 décembre 2001 au président de la République, la commission d’enquête sur les évènements de Kabylie du printemps 2001 présidée par le Pr. Mohand Issad a révélé que l’état d’urgence, instauré par décret le 9 février 1992, a été dénaturé par deux arrêtés interministériels – Défense/Intérieur - signés respectivement le 10 février 1992 et le 25 juillet 1993.
Selon ce rapport, il y a eu glissement de l’état d’urgence vers l’état de siège, donnant pouvoir de police aux commandants chefs de Régions militaires. L’arrêté interministériel du 25 juillet 1993 est confidentiel, puisque jamais publié. La conclusion de cette commission indépendante ne résulte pas seulement de l’analyse des textes, puisque « L'enchevêtrement des compétences rend impossible la détermination des responsabilités. Du moins dans les textes. Dans les faits, cette distinction impossible a pu conduire à subordonner à la même autorité [militaire] les trois situations. C'est le sentiment de la Commission en l'état des textes parvenus à sa connaissance et des propos qu'elle a pu interpréter. »
Ce constat permet de rendre compte de la difficulté de remonter la chaîne de commandement afin de préciser les responsabilités pénales individuelles. D’autres facteurs rendent également difficile la lecture des structures de commandement, comme le chevauchement de compétences des services de sécurité ou encore les luttes inter-claniques qui modifient constamment les rapports de force entre les décideurs, particulièrement après le départ en retraite de leur chef, le général Nezzar.
La délégation des pouvoirs de police octroyée par l’arrêté du 25 juillet 1993 à l’autorité militaire viole le décret présidentiel du 9 février 1992, portant état d’urgence, et ce, en l’absence d’une loi organique régissant les circonstances exceptionnelles prévue par l’article 91 de la Constitution. Cet arrêté interministériel clandestin qui viole la hiérarchie des normes intervient deux semaines après la nomination du général Lamari Mohamed, par Nezzar, au poste de chef d’état-major de l’armée, et vise à camoufler la responsabilité des commanditaires réels du programme d’annihilation d’une partie de la population civile.
Ce transfert formel et néanmoins clandestin de pouvoirs aux militaires répondait au souci des généraux de tout régenter. Alors que le pays est officiellement sous état d’urgence, il est de fait sous état de siège.
En effet, le 5 juillet 1992, Lamari Mohamed est promu général-major, et en septembre 1992 un nouveau corps spécial est mis sur pied, le CCCLAS, commandé par ledit général-major. Le CCCLAS est composé d’unités des "forces spéciales" de l'ANP (cinq régiments de parachutistes au départ). Au cours de la même période, un décret législatif sera promulgué le 30 septembre 1992, mettant en place trois Cours spéciales (tribunaux d’exception qui multiplieront les sections locales) et abaissant la majorité pénale de 18 à 16 ans. Au début de décembre 1992, le couvre-feu est instauré dans les sept wilayas de l’Algérois.

Il est impossible d’imaginer que les crimes commis par l’armée pendant au moins dix années consécutives aient pu avoir lieu sans l’ordre de Lamari Mohamed, général de corps d'armée, chet d'état-maor et, de facto, ministre de la défense. C'est à ce titre qu'il est pénalement responsable, entre autres de la pratique systématique de la torture par les militaires, y compris dans les casernes ; d’avoir donné des ordres aux officiers et soldats de ne pas faire de prisonniers traduisant le « pas de quartier » interdit par le droit de la guerre ; des opérations de ratissages au cours desquels des milliers de civils sans défense sont victimes, des exécutions extrajudiciaires commises par les patrouilles militaires sur tout le territoire national algérien ; des opérations d’enlèvements et de disparitions forcées de citoyens civils qui ont fait plusieurs milliers de victimes, notamment les enlèvements-disparitions commises par l’armée ; des opérations de soutien aux terroristes massacrant la population civile acquise au FIS, notamment l’encerclement des villages, l’empêchement des victimes de fuir les tueries et l’interdiction des secours (notamment lors des massacres de Rais et de Bentalha), des enquêtes journalistiques et judiciaires ; de l’armement des milices, dans le but de généraliser la guerre ; du refus systématique de porter secours aux victimes des graves crimes, notamment les massacres de villageois ; des bombardements, y compris au napalm (acheté à Israël via l’Afrique du sud), des villages, des forêts et des lieux d’habitation ; des destructions de bâtiments civils et /ou de culte sans nécessité militaire. Pour donner une idée du penchant sanguinaire, quasi psychopathique de Lamari, rappelons qu'il réclamera aux miliciens non des « corps, mais des têtes ou des oreilles ». Le Canard enchaîné rapporte que, selon une note d’information transmise par un service français de renseignement, des techniciens ont enregistré une conversation radio entre militaires algériens : alors que des blessés gisaient au sol, les militaires qui venaient de ratisser un quartier d’Alger réclamaient des ordres à leur centre de commandement. Réponse de l’officier « Achevez-les ! ». C’est « la règle » écrit le journaliste.
Leur stratégie : pousser au chaos et brandir l’épouvantail « islamiste »
Le 10 juillet 1993, le général major Lamari Mohamed accède au poste de chef d’état-major. Le 1er novembre de la même année, le jour où une bombe télécommandée tue quatre jeunes scouts dans un village de la région de Mostaghanem, et que la télévision d’Etat présente sur les lieux (par hasard ?) avait filmé en direct, Lamari Mohamed obtient un grade unique dans l’armée algérienne, créé pour lui à titre exclusif : général de corps d’armée.
C’est dans ce contexte que Nezzar interdira le parti majoritaire aux élections et entreprendra une vaste politique de répression, en application de « sa » démarche de type état-major. Dans Les Mémoires…, Nezzar écrit : « L'efficacité du programme global envisagé ne se posera pas uniquement sur la pertinence et le bien-fondé des tâches qu'il renferme, mais elle dépendra aussi pour une large part de la manière dont elles seront accomplies […] la conduite des actions du plan exige que soient assurées la synchronisation et la combinaison de tâches de nature différente peut-être mais interdépendantes entre elles. Le bon déroulement de l'une des tâches conditionnant celui de l'autre, et inversement. Par voie de conséquence, ceci requiert une conduite constante et concertée au niveau central et une exécution résolue de la part des parties concernées. Très probablement, la mise en œuvre de ce programme ne manquera pas de provoquer la réaction […] pouvant aller jusqu'à des soulèvements populaires de type insurrectionnel. »
Le journaliste et romancier H’mida Layachi déclare qu’après l'arrêt, en 1992, du processus démocratique, « Au lieu d'ouvrir la porte à l'aile modérée des islamistes du FIS, on a emprisonné leurs chefs, on les a déportés ou forcés à l'exil. La nébuleuse islamiste s'est retrouvée orpheline, ce qui a permis l'émergence de jeunes émirs n'ayant pas la moindre formation politique ou théologique […] nouvelle génération qui s'en est prise à tout le monde, y compris aux politiques du FIS, qui a basculé dans le nihilisme, la sauvagerie, le banditisme et qui s'est laissée manipuler facilement. Elle a fait le jeu de certains centres d'intérêt qui n'avaient rien à gagner à la démocratie et à la transparence, mais avaient tout avantage à pousser au chaos, avec une couverture idéale : l'islamisme. »
Dés le premier mois de l’arrêt du processus démocratique on déplorait déjà 150 morts civils, 700 blessés et 30.000 déportés parmi les cadres et militants du FIS. Ces informations sont confirmées par la presse internationale. Les putschistes se sont attaqué également à toutes les organisations politiques et sociales du FIS, dissoutes d’autorité, n’épargnant ni les syndicats ni les associations caritatives, ni même les organes élus des communes et des Wilayate. Le 29 mars 1992, en effet, le chef du gouvernement Ghozali Sid Ahmed signe un décret de dissolution de 397 municipalités et 14 assemblées départementales à majorité FIS.
Le recours abusif à l’état d’urgence, qui en Algérie est un état de siège de fait, mesure prévue pour faire face à une menace imminente à l’existence d’une nation et non au monopole des putschistes sur le pouvoir politique et économique, vise à couvrir les crimes programmés du manteau de la ”légalité” et à rejeter sur les civils la gestion directe de la répression par les militaires, et ce, en dehors de toutes les garanties juridiques.
A noter l’absence de toute proportionnalité entre cette mesure extraordinaire et les pratiques qu’elle entraîna contre les manifestations pacifiques provoquées par l’arrêt du processus démocratique.
Quelle que soit l’ampleur des manifestations des militants du FIS, d’abord après l’emprisonnement de tous leurs leaders, ensuite après l’arrêt du processus démocratique, ces faits n’étaient pas à l’échelle menaçant la vie de la nation et au-delà du contrôle des autorités publiques, employant des mesures normales.
Sinon, comment comprendre la pratique de la torture, des enlèvements suivis de disparitions, les exécutions extrajudiciaires et les déportations de masse de la population civile avant même l’apparition des groupes d’opposition armés ?
Dés 1992, et en réponse au premier rapport que le gouvernement algérien avait remis au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, par application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Algérie est partie, ce Comité avait observé que « Le Pacte ne permet pas, même en situation d’urgence, de déroger à certains droits [...] les excès commis contre [...] (le) droit à la vie, (la pratique de) la torture et (les excès contre) le droit à la liberté de conscience et d’expression constituent des violations du Pacte dont il convient de mettre fin ».
En effet, l’article 4, alinéas 1 et 2 de ce Pacte dispose : « Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18. »
Mais les putschistes avaient décidé qu’aucune liberté et aucun des droits attachés à la citoyenneté ne seront respectés lorsqu’il s’agit de membres du "groupe ennemi". Seront ainsi ignorées les libertés d’opinion, d’expression, d’association, de manifestation et de déplacement, ainsi que les droits au travail, à la participation aux affaires publiques et autres droits fondamentaux.
Les décideurs continueront l’exécution du plan de Nezzar. Par exemple, sur la base de la loi sur les partis politiques, modifiée le 6 mars 1997, dont l’article 5 interdit d’établir un parti dont les fondements et l’action se basent sur les composantes de l’identité nationale (Islam, arabisme et amazighité), le Mouvement pour la Démocratie en Algérie (MDA) qui existait antérieurement à l’ouverture démocratique et au multipartisme. a été dissous pour avoir refusé d’abroger les articles 3 et 6 de son statut. L’article 3 dispose que le MDA « vise à rassembler les différentes forces du pays autour de l’unité nationale, la démocratie, la justice sociale et les valeurs arabo-islamiques », alors que l’article 6 définit l’objectif du MDA comme étant « la promotion de l’indépendance culturelle nationale, l’unité nationale, la défense et la croissance de l’Islam, religion d’Etat et du peuple ». Mais le véritable motif de sa dissolution est son combat pour le dialogue national sans exclusive.
La pratique d’exclusion est toujours d’actualité. En violation de la Constitution et des lois applicables, la demande d’agrément de partis politiques, comme celle présentée par l’ancien ministre de l’orientation puis des affaires étrangères, Taleb Ibrahimi, sont rejetées sur la base d’un motif subjectif, le ministre de l’intérieur ayant verbalement justifié le silence de l’administration, par le « sentiment » qu’il avait. Pourtant la loi prévoit l’agrément implicite après 60 jours de silence de l’administration. L’Association des Familles de Disparus de Constantine, l’Association nationale des familles de disparus (ANFD), le collectif SOS-disparus, qui ont déposé un dossier réglementaire d’agrément ne sont, à ce jour, pas encore agréés par le ministère de l’Intérieur. La police chasse les familles de disparus des lieux de rassemblement en les insultant avec les mots suivants : « Il n'y a pas de 'disparus'. Il n'y a que des terroristes. Même leurs familles sont des terroristes ».
La revue de l’armée El Djeich a violemment rejeté, dans son premier numéro de 1999, l’assimilation des victimes du « terrorisme » aux victimes du groupe ennemi. El Djeich s’en prend à « certains cercles [qui] réclament toute honte bue l’égalité des droits pour les assassins et leurs victimes », faisant allusion à l’ANFD qu’elle refuse d’assimiler à l’Association Nationale des Victimes du Terrorisme (ANVT) proche du pouvoir. Le quotidien La Tribune rapporte que la section de l’ANFD d’Oran, s’étant plainte auprès des tribunaux de la ville et de la Wilaya, s’est vue répondre : « adressez-vous à l’ANP [Armée Nationale Populaire] ».
Sur la base de textes d’exception permettant des condamnations extrêmes et non publiques, les services de sécurité ainsi que les juridictions militaires ou d’exception ont, très souvent sur la base d’aveux extorqués par la torture, violé la présomption d’innocence avant même la tenue de procès expéditifs, notamment par la pratique massive du lynchage médiatique des opposants comme il sera exposé ci-dessous.
C’est en effet par instructions, qui revêtiront plus tard la forme de circulaires du ministre de la justice, que les décideurs ordonnaient aux juges la marche à suivre. La circulaire du 23 mars 1996 par exemple, adressée aux juges d’instruction, interdisait le bénéfice de la liberté provisoire aux victimes. C’est par le même canal que le ministre de la justice organisait l’impunité. Une autre circulaire du 18 août 1996 interdisait toute poursuite judiciaire contre une certaine « catégorie » de personnes, à moins d’avis conforme de la chancellerie. La justice militaire elle, fonctionnait discrétionnairement sur oukases de la hiérarchie.
La condamnation des adversaires politiques sur la base d’aveux extorqués par la torture se fera d’avance et publiquement. Le lynchage médiatique auquel la presse privée avait pris part fera écrire au juriste El Hadi Chalabi, dans son ouvrage La presse algérienne au-dessus de tout soupçon, que la « chronique judiciaire’’ [est le] (..) moyen de prolonger et d’amplifier unilatéralement l’accusation au lieu de tenter de restituer les faits et déclarations nécessairement contradictoires dans le déroulement du procès. (...) La culture de l’anathème sera le pivot de la presse plurielle. »
Faut-il préciser que ces chroniques rentraient dans le cadre d’une ligne éditoriale constante et globale, qui n’avait même pas besoin de faits véridiques pour fonctionner ?
Citons deux exemples tirés du quotidien privé francophone le plus connu au plan international : El Watan.
« Une victime anonyme, Ishraq, 42 ans, pédiatre » égorgée […] dans le fief islamiste de Bougara, près d’Alger […] tuée en plein jour par un groupe armé […] ». Le mari de ce médecin réagira le jour même, contre cette histoire montée de toutes pièces, disant que l’information est totalement fausse et sans fondement, que le Dr Ishraq est en parfaite santé et qu’elle n’a jamais été menacée.
Deuxième exemple de parti pris pour l’éradication d’une partie de la population civile : à la suite de la réunion des principaux partis représentatifs algériens à Rome, sous l’égide de la Communauté de Saint ‘Egidio en janvier 1995, à la suite de laquelle ils firent leur proposition de sortie de crise basée sur le dialogue politique interne, sans exclusive, El Watan se déchaîna contre eux, y compris par des procédés malhonnêtes. Il utilisa, par exemple, une vieille correspondance (plus de cinq années) adressée par Monseigneur Teissier, archevêque d’Alger, la faisant passer pour un courrier récent, dans laquelle l’Homme d’église aurait « condamné le colloque de Rome et accusé le président de la Communauté de cautionner la violence ». El Watan refusera de publier la mise au point, qui ne sera connue du public que plus tard, grâce à l’hebdomadaire La Nation qui sera suspendu par le gouvernement.
L’état d’urgence a conduit à l’ouverture de camps de concentration pour y parquer durant plusieurs années des milliers de personnes, sans incrimination ni jugement, d’élargir la compétence des juridictions militaires par décrets, de créer également par décrets des juridictions spéciales en septembre 1992, de doter les services répressifs, et particulièrement l’armée ainsi que la police politique, de larges prérogatives, c’est-à-dire d’intervenir sans limites de lieu ou de temps, d’interdire toute voie discordante par les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et la torture, etc.
Les arrestations sont opérées pour de prétendus crimes définis largement par décret, que la presse avait tenté de justifier. Les victimes furent privées, au surplus, du droit à un procès équitable. L’ONDH prétendra que les centres de déportation du Sahara auraient été fermés après deux années de fonctionnement, en 1994. Cet Observatoire signalera dans son rapport de 1994 l’existence d’autres centres clandestins. En tout état de cause, les victimes de déportation en souffriront jusqu'à la fin de 1995, et n’ont pu, après leur libération, obtenir leur réintégration dans leurs emplois. Lorsque quelques juridictions prud’homales ont jugé en leur faveur, l’administration ainsi que la quasi-totalité des entreprises d’Etat n’ont pas accepté de respecter l’autorité de chose déjà jugée. Le ministre de la justice a d’ailleurs ordonné, par circulaires aux juridictions, de refuser ce type de demande.
La dérive de l’imputation de la violence au seul terrorisme « islamiste » est hautement discutable. Elle est infirmée non seulement par les révélations des officiers dissidents algériens mais par de multiples témoignages qu'il serait dangereux d’ignorer. De plus, on a aujourd'hui les moyens de comprendre l’ampleur des manipulations grâce auxquelles cette dérive a pris une telle ampleur.
Un important groupe faisant partie de la population civile est réduit au silence à un moment où c'est sa montée en puissance, et non son recul, ainsi que son légalisme persistant comme l'ont montré les résultats électoraux, et les déclarations du président de la République écarté, qui inquiétaient le clan des généraux.
Sous un titre révélateur « Le Pluralisme trahi… », P.A. Samuelson (Yale Journal of International Law, 1995), distingue le pluralisme comme fait (existence au sein d’une communauté de sous-groupes aux croyances différentes) et commeidéal (à la fois espoir et sentiment qu’en dépit de ces différences peuvent et doivent vivre en paix) pour dire que l’Algérie aurait dû relever le défi de combiner le pluralisme démocratique avec la victoire électorale du FIS. Après avoir rappelé le contexte dans lequel se déroulèrent les élections municipales et le premier tour des élections législatives, l’auteur critique les violations systématiques des droits humains perpétrées par ce qu’il qualifie de "junte" et déplore que les Etats démocratiques n’aient pas été plus critiques envers le régime militaire.
C’est dans ce contexte que la junte militaire a volontairement déplacé l’opposition politique en affrontement armé, dans le cadre du tout sécuritaire. De fait, elle a mis en œuvre une doctrine, c’est-à-dire une conception intellectuelle aboutissant à une politique et à une stratégie de l’usage d’une terreur sélective et ciblée. Cette terreur était utilisée dés le début de façon discrète. Cette terreur est « horrible » selon Stathis N. Kalvas. Elle est celle de la guerre sale, spéciale, totale ou encore contre-insurrectionnelle. Dans un article récent, signé par Souad Benhamou, et publié par El Watan du 31 mai 2000, la journaliste rapporte que cette stratégie de lutte est dite « méthode d’asphyxie ».
C’est une guerre totale qui sera annoncée par le chef de gouvernement Belaïd Abdeslam en 1993, car elle utilise tous les moyens publics privatisés pour la cause, et nécessite l’instrumentalisation coordonnée des facteurs militaires, politiques, administratifs, judiciaires et psychologiques. Elle s’étend aux domaines médiatique, économique, social, militaire etc. et impose l’usage de tous les chantages : sécurité, alimentation, logement, salaire, santé et religion notamment. Le plan du mis en cause repose sur une stratégie qui implique la coordination de l’ensemble des efforts civils, judiciaires et militaires, sous un commandement militaire unique.
Cette stratégie est théorisée, enseignée et appliquée contre l’opposition interne. Son objectif est la suppression brutale et sans ménagement de toute forme d’opposition, de dissidence ou de résistance des populations civiles à leur projet.
Nous tenterons de l’expliquer succinctement. Au préalable sa mise en œuvre nécessitera de faire la purge de l’armée, de l’administration, de la justice et des entreprises publiques de tout le personnel soupçonné être en désaccord avec la doctrine de l’éradication.
C’est ainsi que plusieurs officiers de très haut rang et de nombreux officiers subalternes, ainsi que des juges, des administrateurs et des intellectuels ont ainsi été arrêtés, torturés et souvent exécutés. Les plus importants ont été victimes d'assassinats déguisés en "accidents", comme, en 1995 et 1996, les généraux Mohamed Touahri (accident d'hélicoptère), Ali Boutighane (attentat) et Saïdi Fodhil (accident de la circulation). Par exemple, outre les licenciements massifs, les déportations et autres formes de cette grande purge, le 8 janvier 1993, se tient le procès de 79 officiers militaires, accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat, dont 20 seront condamnés à mort. En réalité, leur "crime" était d'avoir été identifiés comme obstacles au complot, et pour certains d’avoir marqué ouvertement leur désaccord avec la politique de l’éradication officiellement déclarée.
Des groupes armés se sont constitués sous différentes obédiences. Certaines personnalités islamistes y étaient depuis longtemps favorables, mais restaient minoritaires et totalement étrangers au FIS comme Chebouti, Azzedine Bâa, Mansouri Miliani etc.
Alors que le Groupe Islamique armé (GIA) est créé en novembre 1991, par le DRS selon le témoignage crédible du colonel Samraoui déjà cité, pour s’opposer à la voie légaliste du FIS, d’autres organisations islamiques de lutte armée, partisanes elles aussi du djihad, émergent en public en 1992, notamment le Mouvement islamique armé (MIA) dirigé par Abdelkader Chebouti et le Takfir wal-Hijra (Excommunication et Hégire) contrôlés par les anciens volontaires d’Afghanistan, dits « Afghans », ou d’anciens militants du groupe de Bouyali qui avait déjà pris les armes dans les années 1970-1980. Un autre groupe vit le jour à la même période, le Mouvement pour l’Etat Islamique (MEA), dirigé par un ancien membre du Conseil de direction du FIS, Said Makhloufi, exclut dudit Conseil lors du deuxième congres du FIS en juillet 1991.
Mais tous les « Afghans » et tous les « Bouyalistes » ne sont pas restés nécessairement partisans du djihad. Certains faisaient partie de la direction du FIS comme Abdelkader Fekih ou Mohamed Kerrar qui, d’ailleurs, vont rejoindre le camp des décideurs en juin 1991. Cette nuance est également valable pour les anciens membres du groupe dit de Bouyali, dont certains membres étaient des agents du DRS, comme l’officier Merah.
Le GIA, le MIA et le MEI contrôlent, en 1994, des secteurs entiers du pays. En juillet de la même année apparaît une nouvelle faction, l'Armée islamique du Salut (AIS) qui regroupera essentiellement des anciens militants du FIS. Des groupes que presque tout oppose, aussi bien la doctrine que les objectifs. Ainsi, les partisans de la Dawla Islamiya (Etat islamique) sont opposés à ceux du califat comme objectif suprême revendiqué, les « salafistes » aux « djaz'aristes » [algérianistes] etc. Tous ont cependant pour point commun de refuser la voie légaliste. Paul-Marie de La Gorce écrit :
Il y a trois ans déjà, dans Al-Ansar, l'organe extérieur des GIA, on pouvait lire ce macabre avertissement : « Les GIA rappellent aux frères [...] qu'anéantir la secte djaz'ariste est un devoir sacré, car elle veut faire régner la loi divine par des voies sacrilèges [démocratie, élections] et s'exclut donc de la communauté des croyants et de la tradition. Elle est sortie du sunnisme et prône l'hérésie, trahit l'orientation salafiste et fomente des scissions au sein des GIA. Comme toute hérésie, il faut donc combattre la djaz'ara et l'exterminer. »
De nouveaux groupes islamistes qui se déclarent opposés aux massacres et tueries de civils apparaissent en 1996 et 1997, comme le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), la Ligue islamique pour la Dawa et le djihad (LIDD), etc.
Nezzar et consorts ont volontairement agi pour renforcer les va-t-en-guerre. Ils ont, en effet, radicalisé les positions et renforcé les partisans de la lutte armée. Ainsi, privés de leurs dirigeants et de directives de nombreux sympathisants du FIS vont rejoindre les différents maquis par réaction, spécialement le maquis de l’AIS et de la LIDD. Lors de l’instruction du dossier d’accusation des dirigeants de ce parti, le procureur militaire avait vainement tenté de faire admettre leur responsabilité dans la constitution et l’entraînement de groupes armés bien avant la grève de juin 1991 et leur arrestation.
Cependant, par ordonnance prise le 2 mars 1992 sous le numéro 42/91/1983, le juge d’instruction militaire écartera clairement cette accusation en prononçant un non-lieu au profit de l’ensemble des dirigeants du FIS, et le parquet militaire s’est bien gardé d’interjeter appel, faisant acquérir à cette décision l’autorité de la chose définitivement jugée.
Stratégie de la terreur : « On frappe à la porte. Le premier qui ouvre reçoit une balle dans la tête »
Le massacre par tueries collectives commence sporadiquement. Les tueries qui ont commencé dés 1992 ne sont rapportés par la presse locale qu’après l’été 1994, sauf s’il s’agissait de maquiller les exécutions extrajudiciaires en "accrochages" ou en règlement de comptes internes au mouvement islamiste. Les tueries collectives, les enlèvements suivis de torture et souvent de disparitions forcées ont continué crescendo, en ciblant spécialement l’électorat du parti interdit. La presse libre des années 1990-1991 est muselée et interdite, celle qui reste ne rapportera ni leurs cris, ni même leur murmure.
Ainsi, dans ses numéros des 3 et 16 juin 1993, El Watan, manifestement bien renseigné, rapporte que les groupes armés responsables de l’assassinat de Senhadri et de Liabès, ainsi que de la tentative d’assassinat de Benhamouda avaient été anéantis, donnant des noms de disparus forcés, victimes d’exécutions sommaires, comme étant membres de ces groupes, comme Belabraout, Ziane et Issam.
Dans la même logique, ce quotidien explique l’exposition de dizaines de cadavres de citoyens, majoritairement préalablement enlevés et séquestrés, à des règlements de compte entre groupes « islamistes armés qui s’entre-déchirent », annonçant « une logique d’autodestruction au sein de la mouvance intégriste ». Citant des « sources proches des services de sécurité », les journalistes d’El Watan ont expliqué qu’une « violente bataille » aurait opposé au sud de la capitale « des groupes intégristes (…) près de vingt-sept (cadavres] dont certains affreusement mutilés à coup d’épée » ont été trouvés à Cherarba, ajoutant, dans la même édition que trois autres « intégristes sont découverts « égorgés » dans la banlieue d’Alger.
Si l’insurrection armée est vécue au début par la population comme une guerre "pour" le peuple, par l’usage sélectif du sabotage, du harcèlement et des attentats ciblés, la stratégie contre-insurrectionnelle choisie par la junte consiste à détruire ce lien affectif et politique qui unit l’insurrection à la population civile. D’autre part, la crise déborde la frontière en décembre 1994, avec le détournement d'un avion français à Alger. L'enlèvement en mars et l'assassinat en mai 1996 de sept moines trappistes de Tibhérine provoque des remous internationaux et une autre scission des GIA.
Cela mérite explication : plus large est l’assise sociale et politique de l’insurrection armée plus sauvages seront les massacres et plus systématique sera la terreur, qui est le principal moyen de cette stratégie que la propagande justifiera. La peur est considérée, en effet, comme le principal levier de toute stratégie de domination en l’absence de légitimité. Dans l’une de ses nombreuses interviews, le général Nezzar constate que les « terroristes » vivent dans la population comme un poisson dans l’eau, ce qui, dans l’esprit d’un militaire induit l’adoption de la stratégie recommandée.
Les putschistes ont choisi et appliqué cette stratégie selon l’aveu de généraux, dont certains ont préféré le faire dans l’anonymat. Dans une interview, un général algérien qui s’est appelé X a révélé que « la seconde phase a consisté à expulser les terroristes des zones où ils étaient implantés, [nous] avons coupé la plupart de leurs liens avec le reste du pays [...] des dizaines de villages, qui avaient naguère servi de repaire aux terroristes, ont été nettoyés […] nous sommes dans la troisième et - nous l’espérons - dernière phase de notre campagne d’éradication [...] nos hommes manquaient d’entraînement et d’équipement adaptés à ce type de conflit de basse intensité ».
Dans la logique totalitaire de cette stratégie, le spectre de la responsabilité collective fut brandi : les parents, proches ou éloignés, les amis et même les voisins durent subir les perquisitions sauvages, les insultes et les viles atteintes à la dignité de gens sans défense. Le champ des rafles s’est élargi avec celui des dépassements sanglants et celui des arrestations massives.
La population civile ciblée doit, par cette stratégie, vivre la terreur en plusieurs phases. Les survivants de ce régime de terreur doivent s’intégrer à l’objectif du pouvoir. Cette stratégie a pour but de rendre irréversible la contre-mobilisation de la population citadine et rurale qui devra choisir le camp du pouvoir et s’intégrer dans des milices armées supplétives ou les soutenir.
Cette stratégie part de l’idée simple que l’insurrection armée vit dans la population civile comme un poisson dans l’eau, comme le suggérera Nezzar dans ses écrits et interventions publiques, et que confirmera le général X dans l’interview anonyme déjà citée. Pour atteindre le poisson, cette stratégie consiste à faire bouillir l’eau par le massacre afin que la population rejette l’insurrection au lieu de la soutenir.
L’usage de la terreur doit conduire au retournement de la population contre l’insurrection armée, qui sera ainsi détruite. L’objectif est de déstabiliser la population civile, afin de l’amener à changer de camp, et combattre l’insurrection au lieu de la soutenir. Nezzar a voulu transformer le problème politique en problème policier, en occultant l’illégitimité du régime ainsi instauré par la nécessité de combattre un ennemi intérieur, le terrorisme déshumanisé, aveugle et sans but politique. Selon Ahmed Iqbal : « La doctrine de la contre-insurrection permanente présuppose le refus de reconnaître l’absence ou la perte de la légitimité du gouvernement ». Les dépassements deviennent systématiques pour combattre le sentiment de frustration et d’isolement moral des décideurs.
Au début de l’application de la stratégie contre-insurrectionnelle, la terreur gouvernementale commence par des représailles sélectives ; elle va se transformer peu à peu pour devenir massive et non discriminatoire. L’escalade de la violence dépend de la nature, de la force et de l’ampleur des liens sociaux, politiques et économiques que l’insurrection armée entretient avec la population civile : aux assassinats ciblés vont donc succéder les massacres de masse. Hichem Aboud expliquait à des journalistes que « En général, des commandos se rendent au domicile de terroristes présumés, le soir. Ils frappent à la porte. Et le premier qui ouvre reçoit une balle dans la tête. C'est une stratégie - que je ne justifie pas mais que j'explique parce que je la connais - qui vise à isoler les terroristes de leur milieu ».
Ces attentats visent parfois des personnalités critiques à l’égard de la junte. Les forces de sécurité ont souvent appréhendé rapidement et tué les membres des groupes tenus officiellement pour responsables d'homicides de civils, mais n'ont jamais été en mesure de fournir la moindre preuve de l'imputation de ces crimes à ces groupes.
Le cas du poète Tahar Djaout est parfaitement illustratif : « (…) Les agresseurs jettent le corps encore agité de soubresauts sur le sol, montent dans le véhicule [de la victime] et démarrent en trombe. Du balcon qui surplombe le parking, des voisines qui ont vu toute la scène donnent l'alerte. Tahar Djaout rendra l'âme une semaine plus tard.
Le 1er juin 1993, au journal de 20 heures de la télévision algérienne, un jeune homme de 28 ans, Belabassi Abdellah, passe aux aveux (et) donne les noms de ses complices : Boubekeur Ras-Leghrab, marchand de bonbons et chef du groupe ; Brahimi Mohamed dit Toufik ; Ahmed Benderka et Abdelkrim Aït-Ouméziane. (…) Ultime révélation, il serait l'unique survivant du commando, ses complices ayant tous été abattus lors d'accrochages avec les forces de l'ordre.
Saïd Mekbel, le billettiste du journal Le Matin écrit le lendemain : « On nous annonce que quatre des assassins de Tahar Djaout ont été tués (…) Qu'on me pardonne de le dire si brutalement : l'annonce a été reçue comme un gros gag, elle a même fait rire certains de désespoir. C'est qu'on ne croit plus rien, on ne croit plus personne. »
En retrouvant, quelques heures après l'attentat, le véhicule de Djaout utilisé par les assassins pour leur fuite, la police s'est empressée de le restituer à la famille, sans procéder aux expertises d'usage. Les voisines qui, de leur balcon, ont vu les assassins, n'ont pas été convoquées pour éventuellement les identifier.
Au lendemain de l'enterrement, une vingtaine d'artistes et d'intellectuels décident de créer un ”Comité vérité Tahar Djaout”. Dans un communiqué publié le 7 juin 1993, ils appellent l'opinion publique à les soutenir dans leur quête, car, écrivent-ils, « trop de crimes politiques restent impunis dans notre pays. Les images de lampistes exhibées à la télé ne pourront masquer les commanditaires de l'ombre ». Parmi les signataires, le professeur en psychiatrie Mahfoud Boucebsi. Saïd Mekbel, coordinateur du comité, explique ses objectifs : ”Nous sommes résolus à lancer une tradition pour connaître les vrais auteurs et commanditaires de ces crimes.”
Le lendemain vers 11 heures 30, le Pr. Boucebsi est assassiné de plusieurs coups de couteau devant l'entrée de l'hôpital Drid-Hocine, où il était chef de service. ”L'assassinat du professeur Boucebsi est la preuve que nous avons mis le doigt sur un point sensible », confie Saïd Mekbel à des amis. Le 3 décembre 1994, il est abattu à son tour, en plein jour, dans un restaurant d'Alger.”
Le colonel Mohamed Samraoui dit 'Habib', interviewé par la chaîne de télévision Qatari Al-Jazira, le premier août 2001, a mis en lumière la stratégie adoptée par la hiérarchie militaire en vue d'incriminer le FIS et le présenter aux yeux de l'opinion publique comme une organisation terroriste. Selon cet officier dissident, les assassinats de militaires, de policiers, d'intellectuels et de femmes avaient pour but de réaliser l'union sacrée autour d’un pouvoir dépourvu de légitimité populaire. Toujours selon ce témoignage, ce serait le commandant Guettouchi Amar qui aurait créé en 1991, de son bureau du DRS, le fameux GIA.
A cette phase succédera celle des massacres de grande ampleur. Plusieurs sources impliquent le régime algérien dans les massacres GIA interposés. Les milices créées participent, également, de cette stratégie de la terreur. Selon l’hebdomadaire Courrier International du 2 octobre 1997, un rapport interne de la sécurité militaire évalue« à 50% les ”faux barrages” établis par les miliciens se faisant passer pour de présumés islamistes ». De fait, les milices continuent d’œuvrer de concert avec la gendarmerie. Alors que l’ex-chef de gouvernement Ouyahia Ahmed présentait ces hommes armés comme des volontaires, le budget alloué à leur gestion dépassant celui des collectivités locales.

Ahmed Ouyahia est bien un des piliers du vrai pouvoir dans sa version civile, ayant sans doute bien plus d'influence sur l'exécutif que le président de la République, Bouteflika, qu’il est chargé de tenir à l’œil. Il est recruté en 1974 par la sécurité militaire « dès sa première année à l'Ecole nationale d'administration, un peu dans la tradition des Kadrovie, ces cadres civils que le KGB formait dans la perspective d'occuper de hautes fonctions de l'Etat » (dixit le journaliste Mustapha Bey). Sous son gouvernement, la pratique de la torture est devenue industrielle, ainsi que celle généralisée des exécutions extrajudiciaires. Il est aussi responsable de la pratique à grande échelle des enlèvements suivis de disparition comme de la politique des massacres collectifs des villageois. Doué d’une grande capacité à remplir avec cynisme les missions qui lui sont confiées, il couvrira tous les crimes commis en développant le déni de droit à la vie et à l’intégrité physique et mentale des victimes et en mettant en pratique des stratégies de réponse du régime – en associant appareil diplomatique et services de renseignement de l’armée - visant à couvrir le génocide et les crimes contre l’humanité. Ajoutons à son « brillant » palmarès les fraudes massives aux élections législatives et municipales, le cortège des protestations sociales contre la dissolution d'entreprises publiques, les opérations d’épuration de nature stalinienne qu’il a entrepris dans le secteur économique pour y placer ses hommes. Les rapports accablants des ONG des droits de l'homme sur la situation en Algérie n'ont pas eu raison de son magistère.
En octobre 1993, la création de la Commission de dialogue national (CDN) composée de trois généraux et de deux civils avait un objectif tactique. La caste militaire désigne trois de ses généraux, dûment mandatés. Il s’agira de Touati Mohamed, conseiller au ministère de la Défense, de Derradji Tayeb, Inspecteur général des forces terrestres, et de Sanhadji Ahmed, directeur central des infrastructures militaires. Le dimanche 16 janvier 1994, Zeroual Liamine alors ministre de la défense critiquera lors d’un discours télévisé le « système en place, qui a permis l’émergence d’un courant idéologique parasitaire ». Il venait d’accorder un entretien au journal gouvernemental El Moudjahid pour affirmer « il n’y a pas de divergences au sein de l’état-major ».
Pourquoi dialoguer alors, et avec qui ?
Luis Martinez, auteur de La Guerre civile en Algérie. 1990-1998, avait noté que toutes les pseudo-tentatives de négociation et discussion auxquelles un certain nombre d’observateurs ont cru, ne sont que des leurres destinés à détourner l’attention de la véritable guerre civile qui s’installe. Le politologue Alain Rouquié, fin observateur des juntes militaires d'Amérique latine, est plus explicite en liant le dialogue politique à la stratégie de guerre adoptée : « davantage encore que les élections, le dialogue, ses promesses et ses aléas font partie intégrante de la guerre […] un bon usage des pourparlers aussi biaisés que populaires est indispensable à la conduite d’une stratégie globale ».
C’est pourquoi, après leur réunion du 13 janvier 1995, les huit représentants des plus grands partis algériens ont vu leur proposition dite du contrat de Rome rejetée par les putschistes « globalement et dans le détail », alors que cette proposition voulait asseoir le dialogue sans exclusive dans un but de paix. Il ne fallait à aucun prix que le problème apparaisse dans sa nature politique, ni que le parti FIS puisse accepter la démocratie et le pluralisme. Pourtant, la réunion de Rome regroupait des partis d’horizons politiques très divers, comme le FLN sous la direction de son secrétaire-général Abdelhamid Mehri, le FFS sous celle de son leader Ait Ahmed, le FIS, ainsi que d’autres partis comme celui de la trotskiste Louisa Hanoune, de l'islamiste Djaballah etc. Par contre, les partisans du rejet de cette proposition sont minoritaires.
Ainsi, les hommes prônant la paix seront également liquidés par les services de sécurité. Abdelkader Hachani, qui venait de sortir de prison après plus de cinq années de détention préventive, déclarait le 13 janvier 1998 « le FIS condamne sans réserves les massacres de civils ». Il sera assassiné plus tard, le 22 novembre 1999, à Alger, une semaine après avoir dénoncé publiquement par lettre adressée au ministre de l’intérieur les persécutions suivies de menaces de policiers qui le suivaient régulièrement. Son assassinat intervenait la veille de son témoignage, jugé crucial, au procès dit de la "mutinerie de Serkaji".
L’État français soutient la junte algérienne
Les tueries collectives, et d’autres formes de violence aveugle contre une importante majorité de la population, laissent l’opinion officielle internationale indifférente. La variable internationale est devenue avec le temps assez ambiguë face aux crimes de masse commis en Algérie. L’opinion internationale ne s’est alarmée qu’à partir de 1997.
Dans son rapport annuel 2002 portant sur la situation des droits de l’Homme couvrant l’année 2001, Amnesty International signale que « le nombre d’homicides est resté élevé et que le recours à la torture est très répandu. […] De plus, le gouvernement n’a fourni aucune information au sujet des enquêtes qui, selon les autorités, ont été conduites sur les atteintes massives aux droits humains commises depuis 1992, et notamment sur des milliers d’exécutions extrajudiciaires délibérées et arbitraires de civils, de cas de torture et de mauvais traitement ainsi que de disparition. »
Le soutien des Etats occidentaux aux éradicateurs d’Alger est multiforme : militaire, financier, diplomatique et politique. Il est le fait du gouvernement français. « C’est un secret de polichinelle, par la vente d’armes et d’équipements la France a choisi d’épauler coûte que coûte le pouvoir algérien, ou plutôt sa composante militaire la plus éradicatrice » déclarait en décembre 1994 Rémy Leveau, dans une interview accordée à Sylvaine Pasquier, parue dans L’Express sous le titre « Paris a fait son choix », ce que confirmera Gilles Kepel un an plus tard.
Cette aide directe n’est pas démentie par les militaires algériens. Un général de l’armée algérienne a déclaré que les aides ont pris diverses formes « sous la forme de savoir-faire technique, d’entraînement et de formation à l’emploi d’équipements spéciaux tels que les dispositifs de vision nocturne et les détecteurs thermiques ». Lors de la crise algéro-française consécutive au détournement de l’Airbus d’Air France, le premier ministre français, Balladur, avait décidé de geler les fournitures d’armes et la livraison des hélicoptères Ecureuil, payés.
Mais ce soutien devient embarrassant lors de la perpétration des massacres. On observe, dans le cas algérien, un silence contrasté dans les positions officielles affirmées par rapport à la lutte contre l’impunité de crimes semblables commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie.
Seuls des ONG de défense des droits humains et quelques intellectuels français ont pu briser le silence imposé par les mis en cause autour des crimes commis à grande échelle. Un groupe d’intellectuels français a lancé un appel public publié par Le Monde du 8 février 2001 pour la cessation de l’aide aux éradicateurs. C’est ainsi que selon une dépêche de l’AFP, du 10 février 2001, des intellectuels et défenseurs des droits de l’Homme, parmi lesquels Pierre Vidal-Naquet et feu Pierre Bourdieu, accusent le gouvernement français de « complicité de crimes contre l'humanité ». Ces intellectuels s’interrogent à juste titre « Le gouvernement français n'a-t-il pas trop longtemps soutenu la politique algérienne, qui, sous couvert de lutte antiterroriste, n'est rien d'autre que l'éradication, tant politique que physique de toute opposition ? ». Ils affirment que « des matériels de guerre ou susceptibles de servir à la répression intérieure aient été livrés récemment à l'Algérie et que l'armée française ait formé des troupes d'élite pour les interventions rapides anti-guérilla. Des officiers algériens ont participé à des stages ou des cours en France » ... et encore que « la France a empêché l'envoi de rapporteurs spéciaux de l'ONU en Algérie dans le cadre d'une enquête internationale sur les disparus ».
Néanmoins, Kofi Annan, alors Secrétaire-général des Nations-Unies publie, le 30 août 1997, un appel public pour trouver « une solution urgente », ajoutant encore « alors que les massacres se poursuivent et que le nombre des victimes augmente, il est extrêmement difficile pour nous de prétendre que rien ne se passe, que nous ne sommes pas au courant, et abandonner ainsi le peuple algérien à son sort. On ne peut pas abandonner le peuple algérien à son sort. » Dans la même semaine, le quotidien Le Monde du 7 septembre 1997 rapportera la décision de Kofi Annan de briser le silence de l’Organisation sur l’Algérie.
Une dépêche AFP du lundi 11 mai 1998 rapporte que les ministres des affaires étrangères du G8 ont, pour la première fois, exhorté Alger à autoriser la venue d’une mission des Nations Unies. Ils estimaient que « des visites de rapporteurs spéciaux des Nations-Unies ainsi qu’un meilleur accès pour les journalistes et les ONG permettraient plus de transparence et d’ouverture ».
Les décideurs, paniqués par les réactions internationales devant l’ampleur des massacres et l’absence de protection par l’Etat des populations sans défense, tentent de réagir : au plan intérieur, ils décident d’interdire à Abassi Madani, favorable à l’appel de Kofi Annan, de s’exprimer et l’assignent à résidence. Au plan extérieur, ils négocient la composition d’une commission de l’ONU chargée de s’enquérir de la tragique situation algérienne et balisent son champ d’action. Composée de politiques, elle ne sera pas une commission d’enquête mais d’information.
Alors que le consensus universel est réitéré dans divers documents internationaux comme la Déclaration du millénaire de l’Assemblée générale de l’ONU, du 8 septembre 2000, qui met l’accent sur la responsabilité collective des Etats en matière de défense « des principes de la dignité humaine, de l’égalité et de l’équité », sur l’engagement à assurer « le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le respect des droits de tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion », les conclusions du rapport de cette commission, en deçà des réalités tragiques et amplement favorables aux mis en cause, seront unanimement critiquées par toutes les ONG internationales des droits de l’Homme. On peut légitimement penser que la bonne foi de cette commission d’information a été abusée par les manœuvres des mis en cause.

« Soulier s'est déshonoré, c'est un acte de mépris envers le peuple algérien », affirme Ali Yahia, alors président de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l'Homme après la scandaleuse déclaration d'André Soulier : "l'armée algérienne n'était impliquée ni directement ni indirectement dans les massacres." Les putschistes recevront également le soutien de la France par les voix de Jack Lang, ministre de la Culture, et d’Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères. S’ajouteront les voix des « philosophes », démocrates à géométrie variable, entre autres, Bernard-Henry Levy et André Glucksmann, mus par leur islamophobie maladive et qui, à coups de conférences et d’articles, ne cesseront d’encenser le régime algérien.
En effet, citons à titre d’exemple de l’usage du mensonge et de la manipulation, ce qu’en écrit le quotidien El Watan : « les pouvoirs publics ont même créé des fichiers fictifs de suivi psychologique à la polyclinique de Larbaa - Wilaya de Blida - pour les enfants victimes du terrorisme afin de faire croire au panel onusien à une prise en charge psychologique des enfants. »
Le président de cette commission, le portugais Mario Soarès. n’hésitera pas à déclarer, le 26 septembre 1998, à la radio portugaise RDP - antena 1 et, en contradiction avec son propre rapport : « La mission a constaté des cas de mauvais traitements, de torture et de mort infligés par le pouvoir établi à Alger », ajoutant qu’il y a eu des cas où le pouvoir en Algérie « a fait disparaître des gens, certains chez eux, d’autres dans leur lieu de travail et d’autres dans la rue ».
La position des gouvernements occidentaux et notamment de la France est incompréhensible.
Le rapport du 2 mars 1998 de la délégation ad hoc du Parlement européen, présidée par André Soulier, accorde aux putschites un brevet de démocratie, alors même que deux membres de la mission dépêchée à Alger, Daniel Cohn-Bendit et Mychelle Rieu, signent, le 3 mars 1998, un Rapport de mission plus élaboré et qui adopte une position critique. La journaliste Salima Ghezali qui venait de recevoir du Parlement européen le Prix Shakarov des droits de l’Homme 1997 dira « l'Europe continue, sans surprise, à ne pas se définir et, en fait, à soutenir le régime algérien à l'instigation de Paris ».
Le juge italien Ferdinando Imposimato a pu écrire, en préfaçant La Sale guerre de Habib Souaïdia qu’il est regrettable que l’Union européenne n’ait pas conditionné par le respect des droits de l’Homme l’attribution, en janvier 2001, d’une aide de 8 millions d’euros au régime d’Alger dans le cadre de la coopération internationale pour la lutte antiterroriste, aide accordée « presque à la sauvette, sans aucune condition de ce type ». Bien que figurant sur l’appel des intellectuels français, la revendication d’un tribunal pénal international ad hoc pour l’Algérie fera l’objet d’une proposition au Parlement belge, ce qui manifeste une prise de conscience plus juste de la situation.
Il y a au moins deux raisons complémentaires à ce soutien, le choix stratégique de la junte et l’existence d’énormes intérêts :
La première raison est expliquée par le journaliste Djallal Malti qui évoque les attentats de 1995 sur le sol français dans un livre : « [...] à ce jour, de sérieux doutes subsistent sur l'identité réelle des commanditaires de cette vague de violence. Les enquêteurs français n'ont en effet pas réuni les preuves formelles que ces attentats ont été commandités par la Sécurité militaire algérienne, mais les services de renseignement, et en particulier la DST, en sont convaincus : Alger a commandité ces explosions afin de contraindre Paris de s'impliquer dans la lutte contre les islamistes. [...] "Otages" du conflit, les autorités françaises sont aussi "contraintes dans leur expression" par ce chantage. Or, sans le soutien de Paris, aucune initiative internationale en faveur d'une solution politique du conflit ne peut être envisagée. Le régime algérien le sait bien, et c'est pourquoi toute sa stratégie de survie est fondée sur un soutien inconditionnel de la France. »
Alors que l’information sécuritaire est soumise au monopole de droit des services spécialisés du ministère de l'Intérieur, mais en fait à ceux du DRS, interdisant toute publication sans son accord, un quotidien algérois, La Tribune des 30 juin-1er juillet 1995, évoquera la présence sur le sol français d’un groupe de « cinq terroristes » muni d’une liste de dirigeants du FIS « condamnés à mort » par le GIA, dont l’imam Sahraoui de la Mosquée de la rue Myrrha, à Paris, qui sera effectivement abattu, le 11 juillet.
Dans son édition du 15 juillet, le même quotidien révélera une identité, disant qu’il s’agissait du dirigeant du groupe du GIA, et certifiera l’imminence d’autres attentats en France. Les bombes du 25 juillet dans le RER Saint-Michel et du 17 août dans l’avenue Friedland le confirmeront. Des informations ont été alors transmises par le DRS à la police nationale française pour la conduire sur de fausses pistes.
Cette explication n’est pas dénuée de fondement, la France avait timidement exprimé une position favorable au contrat de Rome, portant proposition de sortie de crise, signé par les plus importants partis de l’opposition algérienne. Il est donc plus que possible que l’opinion en faveur du Contrat de Rome exprimée par le chef du gouvernement français de l’époque, Alain Juppé, fut perçue comme une menace par le DRS nécessitant une riposte à la mesure du danger.
Une année auparavant, lors d'une visite secrète en France, certains des chefs militaires algériens avait rencontré les principaux responsables gouvernementaux français et leur ont déclaré : « Si vous voulez nous aider, faites en sorte que l'on parle le moins possible de la situation en Algérie. Parce que nous allons frapper fort, liquider, éradiquer. Nous avons besoin de temps, de votre aide, mais aussi du silence ». La déclaration en faveur du contrat de Rome aura été perçue comme une trahison.
Une fonctionnaire française qui a écrit un essai, en 1996, sous le pseudonyme de Lucile Provost explique la seconde raison : « C'est en premier lieu par rapport à la France, aux firmes françaises, aux intermédiaires qui travaillent avec elles, que le pouvoir algérien organise la mise sous contrôle de l'économie. C'est le plus naturel. Les entreprises françaises sont sur place, les hommes se connaissent. Ce sont donc de véritables réseaux d'influence politico-économiques qui se sont mis en place avec l'ancienne métropole et existent encore aujourd'hui. Les Français ont d'ailleurs bénéficié, comme les Algériens, des retombées de cette économie de la dépendance. Les contrats sur l'Algérie étaient réputés particulièrement rentables, la surfacturation étant couramment de l'ordre de 30 à 40 %. (...) Les liens entre affaires et politique ne se sont jamais démentis, que ce soit à droite ou à gauche. »
Par conséquent, l’incompréhension des pays occidentaux ne peut résulter de l’ignorance de ces luttes. L'importance quantitative des courants islamistes et leur positionnement dans le spectre des oppositions arabes ne sont plus guère discutées.
« En l'espace de deux décennies, la contestation politique à fondement religieux s'est imposée comme l'unique langage de la protestation sociale et de l'opposition aux pouvoirs en place dans la majeure partie du monde arabo-musulman ». « La question de l'islam comme force politique est une question essentielle pour notre époque et pour plusieurs années à venir. La première condition pour en traiter avec un minimum d'intelligence c'est de ne pas commencer par y mettre de la haine ».
Les dynamiques de “ré-islamisation“ et de modernisation ne sont pas nécessairement antinomiques. Les germes de cette modernité étaient perceptibles et attestés de longue date par une large fraction des observateurs des observateurs de renom comme le philosophe Michel Foucault. Seules des ouvertures démocratiques effectives permettront sans doute d'ancrer ce large mouvement social dans le giron légaliste et institutionnel où une large majorité est prête à évoluer.
Les putschistes et leurs affidés ont donc prôné la doctrine politique de l’éradication d’une partie de la population civile, encouragé sa mise en œuvre et ordonné les crimes de masse qu’elle implique. Outre les crimes proprement dits, cette politique a eu d’autres conséquences terribles.
Notamment un mouvement humain d’une ampleur gigantesque pour échapper à la terreur. Plus du dixième de la population se déplacera à l’intérieur des frontières auxquels on doit ajouter des centaines de milliers de personnes contraintes à l’exil. Selon l’étude réalisée par le Centre national d’études et d’analyses pour la population et le développement (Ceneap), une forte mobilité de la population tant en milieu rural qu’en milieu urbain marque la décennie noire. Les chercheurs du Ceneap algérien ont utilisé la notion de “recherche d’un refuge” pour expliquer que 10,10 % de la population a subi un déplacement forcé. « Cette forme d’expression souligne le caractère d’urgence en matière de besoin […] au plan sécuritaire qui peut s’expliquer par des situations difficiles, voire insoutenables à l’origine de la prise de décision de départ dans le cadre de l’urgence. »
La majorité de la population bascule dans la pauvreté et la misère, alors qu’une minorité s’enrichit scandaleusement
Parmi les autres conséquences, le chômage, l’appauvrissement et la mortalité infantile. Le chômage atteint plus du tiers de la population active, et presque la moitié de la population vit au-dessous du seuil de la pauvreté. La classe moyenne a pratiquement disparu du tissu social. La mortalité infantile est, selon l'annuaire L'état du monde de 55 pour mille pour la période 1990-1995 ; par comparaison, elle était de 7 pour mille en France.
Selon le rapport 2001 du Programme des nations-unies pour le développement (PNUD) portant sur le développement humain et la pauvreté, les conditions de vie des ménages se sont altérées depuis 1990. La consommation à prix constants par habitant est passée de 1.118,8 FF en 1990 à 164,9 en 2000 (-0,4 % par an).
Ainsi « Les catégories les plus démunies se sont davantage appauvries et le niveau de prise en charge reste insuffisant » et «la phase de post-ajustement structurel se caractérise par […] une concentration des hauts revenus ».
Il convient de noter que, bien que le régime obtienne, en 1991, un moratoire sur sa dette par un consortium de banques internationales et un crédit de 3 milliards de Francs du gouvernement français, il est au bord de la faillite. Le régime mène en 1994 des négociations avec le FMI et le milieu financier international pour se renflouer. En 1995, le FMI met 3 milliards de $ à la disposition d'Alger, la Banque mondiale 2 milliards. Le Club de Paris (consortium de banques publiques) donne un moratoire pour 12 milliards de $, la France alloue des crédits de 6 milliards de Francs.
Pourtant, le PNB par habitant passe de 2722 $ en 1987 à 1506 $ en 1994. La production industrielle chute de 9%, la croissance annuelle est de 0% ou négative. Le service de la dette extérieure prendra pendant longtemps 90% de la valeur des exportations.
L’intervention des institutions financières internationales s’est faite contre une promesse de libéralisation. Cependant cette libéralisation économique consolide surtout les alliés du régime - une mafia selon la presse - qui profitent de la mise en place de la déréglementation et d'une économie de marché pour entrer dans le pillage systématique et des activités de nature illégale.
Parlant de corruption, le président Bouteflika avait déclaré, lors d’un meeting tenu en août 1999, qu’il existe quinze généraux corrompus. On peut légitimement penser qu’il s’agit de ceux-la même qui avaient écarté le président Chadli Bendjedid, particulièrement eu égard aux récentes déclarations de ce dernier. Garder le pouvoir et ses privilèges par la force est très vraisemblablement le mobile du « coup d’État » et des crimes qui s’ensuivirent.
L’usage des guillemets entre les termes du ”coup d'Etat” du 11 janvier 1992, se justifie car la prise de pouvoir ne s’est pas faite par un groupe de conjurés qui en étaient auparavant exclus, mais plutôt par un clan contre un autre, un coup de force de l'intérieur du pouvoir, commis sur le dos des électeurs et du président de la République dont les choix ne sont plus tolérés.
Nezzar et ses co-décideurs ont, en effet, écarté le président, l’APN et la Constitution et « instauré - sans pour autant abroger la Constitution antérieure - un régime de fait hybride né de ce que l’on peut considérer comme un coup d’Etat », provoquant donc la guerre civile considérée comme une conséquence acceptable de sa décision.
Le pouvoir en Algérie : une véritable association de malfaiteurs
L’organisation des décideurs en clans est une véritable association de malfaiteurs, se dotant d’attributions extra-constitutionnelles pour utiliser les moyens de l’Etat dans le but privé de maintenir leur monopole sur les décisions, sur l’argent public et sur les hommes. Ils ont interdit, de fait et avant même la dissolution du FIS, aux élus d’exercer leur mandat et activités politiques et les ont déportés, arrêtés et emprisonnés sans mandat de justice. De ce fait, ils ont violé le pouvoir souverain de l’électorat. De plus, ils ont tenté, par l’usage illégitime de la violence, de modifier la carte sociale et politique du pays.
Devant l’échec de leur stratégie, ils en adoptent une autre qui leur éviterait d’être jugés et condamnés. Faire des concessions par exemple sur le Sahara occidental en échange d’un blanc seing que leur donnerait la communauté internationale au plan interne. Sous le titre « L'armée rêve de “dissoudre tous les partis - Un document confidentiel expose les projets du pouvoir” », E.L. écrit dans Libération du 1er juin 2001, qu’un groupe d'officiers travaillant autour du général Touati Mohamed a élaboré un document confidentiel, que certaines chancelleries étrangères ont pu obtenir, envisageant une solution aux antipodes des libertés et la démocratie revendiquées par la rue.
Le journaliste note en citant le document que ces militaires envisagent de « changer radicalement de stratégie sans que cela soit perçu [...] comme une perte de maîtrise et de contrôle de la situation par l'Etat [...] reconstruire le paysage politique ». Et Libération de conclure : « Pas une seule fois, ils ne font référence à la société ou n'analysent les origines de la crise. Une seule préoccupation semble les animer : perpétuer le système en reconstituant un paysage politique à leur convenance. »