Rendez-vous à Saint--Denis
Si vous ne savez pas quoi faire de votre hiver, il est fortement conseillé d'aller voir l’exposition "Insurgé-e-s ! Regards sur celles et ceux de la Commune de Paris de 1871" au musée Paul Eluard de Saint-Denis (qui est le musée municipal de la ville). J'ai eu l'honneur d'écrire un texte pour cette expo, mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle je vous la recommande. Saint-Denis et la Commune, c'est une histoire passionnante, presque oubliée. Et pourtant.
Une expo historique
D'abord quelques mots sur cette riche exposition. Celle-ci a été imaginée par l’historienne Laure Godineau et la directrice du musée Anne Yannover avec l’aide de Florence Trovel, Elsa Tilly et Julien Donadille qui sont tous trois au service de conservation des médiathèques de Plaine Commune. Pour traiter de La Commune, le caractère collectif est un prérequis !
D'un côté, elles ont rassemblé documents et objets sur la Commune et sa mémoire, en intégrant y compris reproduction de collages et partis pris engagés récents comme lors des 150 ans.
De l'autres, l'expo est scandé par les textes de 31 contributeurs divers qui éclairent chacun-e une perspective de lecture de la Commune (Sylvie Aprile, Michèle Audin, Ludivine Bantigny, Sylvie Braibant, Marc César, Anouk Colombani, Michel Cordillot, Quentin Deluermoz, Julien Donadille, Jean-François Dupeyron, Jean-Baptiste Epain, Éric Fournier, Emmanuel Fureix, Maxime Jourdan, Jacqueline Lalouette, Mathilde Larrère, Chloé Leprince, David Lescot, Hélène Lewandowski, Raphaël Meyssan, Ernest Pignon-Ernest, Raspouteam, Michèle Riot-Sarcey, Jean-Louis Robert, Anne Roche, Marie Rondou, Matteo Severi, Bertrand Tillier, Éloi Valat, Sergio Vega, Sidonie Verhaeghe et Pierre-Henri Zaidman.) Les textes (assez courts; 1500 signes environ) offrent des points de vue sur les nombreuses questions et thématiques liées à la Commune (le travail, l'éducation, l'anticléricalisme, les femmes en révolution, la république et la démocratie, l'armée...).
Entre les textes des auteurs, on peut ainsi y voir le drapeau du 143e bataillon qui est sur la couverture du roman Comme une rivière bleue de Michèle Audin. On y découvre les journaux dans leur taille originelle ou encore des affiches des mairies d’arrondissement ou de collectifs (quelle émotion de voir l'affiche en taille réelle Appel aux ouvrières de l'Union des femmes). On retrouve bien sûr de nombreuses caricatures. Enfin, des tableaux du peintre Maximilien Luce sont exposés (peintre aussi du travail, qu'on peut retrouver à Orsay), mais aussi les magnifiques croquis d’Édouard Manet de barricades et fusillés. Par ailleurs, a été créé un immense et magnifique plan de Paris en lino, sur lequel on peut marcher, qu'on a envie d'emporter chez soi.
Qu'on arrive avec un bagage ou pas, on ressort de l'exposition avec une lecture plutôt complète de la Commune, mais surtout une lecture qui reste en débat et pleine de questions. La Commune, et la répression qu'elle subit, ne cesseront jamais de nous questionner et le travail des commissaires parvient à nous renvoyer les questions ouvertes lors de cette période et son traitement postérieur.
La Commune à Saint-Denis, quelle bizarrerie ?
Alors vous vous demandez sûrement pourquoi la ville de Saint-Denis détient autant de documents sur la Commune ? Surtout que son musée est installé dans un ancien carmel (ex-couvent de l'ordre des carmélites). Une exposition sur la Commune dans un carmel, qui plus est où a vécu Louise, la fille de Louis XV, a de quoi faire (sou)rire. Mais c'est mal connaitre les malices des municipalités communistes de la banlieue rouge. Sans spoiler la visite guidée que j'anime sur La Commune à Saint-Denis, je peux dire que :
- Saint-Denis, la rouge, ville ouvrière dès les années 1890, est devenue le lieu d’accueil et de recueil de plusieurs communard-es et de leurs descendant-es.
- En 1935, y fut organisée la première exposition sur la Commune. Certes dans des conditions particulières, puisque le maire de la ville est alors Jacques Doriot, récemment exclu du PCF et en voie de créer un parti fasciste. Cela permet aussi de réfléchir aux récupérations d'extrême-droite de la Commune, qui sont réelles, et reposent sur des lectures que nous devons contester de l'événement.
Quoiqu'il en soit, cette exposition offrit l'occasion à de nombreux descendants de donner des documents et objets, dont le manuscrit de l'Insurgé de Jules Vallès. Forte de sa légitimité, la ville a poursuivi ses acquisitions durant presque un siècle. 15 000 « pages » sont ainsi détenues par les médiathèques de Plaine Commune (via le fond de la médiathèque du centre ville de Saint-Denis), dont une partie sont numérisés sur Commun patrimoine, et des centaines d’objets sont dans les fonds du musée, cohabitant ainsi avec les souvenirs des carmélites.
Longtemps situé sur la place centrale de la ville, le musée municipal, fut installé dans ce carmel en 1981 grâce au travail de l’adjoint à la culture Maurice Soucheyre et du maire Marcelin Berthelot. C’est d’ailleurs le même duo, qui est à l’origine d'une autre tradition. Le carillon de la mairie joue 7 fois par jour Le bon roi Dagobert (oui celui qui a mis sa culotte à l'envers) et Le temps des cerises de Jean Baptiste Clément (et A. Renard, bien plus connu que Clément à l'époque, mais complètement oublié depuis). Improbable cohabitation qui semble être mise en œuvre vers 1987. Rappelons que Jean Baptiste Clément fut employé municipal de la mairie de Saint-Denis à la fin des années 1897. Cet emploi a d'ailleurs donné lieu à des articles de la presse anti-ouvrière, comme le Journal de Saint-Denis, qui crièrent à l'emploi fictif. En 1936, une exposition lui est consacré au musée municipal en présence de sa veuve. La ville lui est par la suite toujours restée attachée, usant du Temps des cerises à toute occasion et même comme répondeur téléphonique.
Les dyonisien-nes, dont la ville était occupée par les Prussiens pendant la Commune, porte donc une lourde partie de la mémoire des communard-es. Connaissant la ville, où j’ai moi-même de nombreuses attaches, nul doute que cela ne peut que leur plaire. Demandez à n'importe quel-le dyonisien-ne, il vous dira que Saint-Denis est capitale du monde (cf. la candidature pour être capitale européenne de la culture Périféérie 2028) mais surtout capitale de l'audace politique émancipatrice.
Si on fait preuve d'honnêteté, il faut admettre que Saint-Denis possède donc le Stade de France et le plus grand fond sur la Commune, comment lutter ?
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Terminons en signalant que le dessin de l’affiche a été créé par le dessinateur Eloi Valat, qui a fait plusieurs ouvrages sur la Commune autour de la figure de Jules Vallès, de la Semaine Sanglante ou des communardes et le catalogue de l’exposition est édité par les éditions Libertalia , qui ne vont pas tarder à détrôner les éditions sociales quant au nombre de livres sur la Commune qu'ils publient.
Par ailleurs, il y a des visites de l'expo temporaire comme des expos permanentes, une rencontre avec Michèle Audin en janvier et une avec Anne Yannover et Laure Godineau, en février toutes disponibles sur Explore Paris
Et bien évidemment, la visite sur j'anime dans Saint-Denis, le 4 mars, qui raconte toute cette histoire plus celle d'une occupation douloureuse de la ville. Et sans lien avec l'expo, celle sur les Communardes dans le Xe.