Numéro Une, Tonie Marshall

Tout d’abord, il y a le populaire Numéro Une de Tonie Marshall, en salles depuis le 11 octobre. Hasard du calendrier, mais ce film, qui dépeint le parcours d’une femme pour prendre la direction d’une entreprise du CAC 40, intervient alors qu’une effervescence médiatique se joue autour de l’affaire Harvey Weinstein, occasion inespérée pour nos journalistes et experts en tout genre d’ouvrir les yeux sur la Femme. S’il n’est pas question d’agression sexuelle chez Tonie Marshall, on pourra néanmoins aisément y déceler la représentation de quelques remarques sexistes et misogynes dont le naturel laisse supposer qu’il s’agit là d’une coutume bien ancrée dans le monde hyper masculinisé du pouvoir économique.
De manière plus globale, Numéro Une retrace le parcours d’une femme qui, en se réappropriant progressivement le discours féministe produit par le club Olympe (groupe de réseaux de femmes influentes), se révèle être une citoyenne venue défendre une cause jugée légitime. La possibilité de devenir la première femme PDG d’une grande entreprise du CAC 40 devient une occasion pour s’emparer d’un pouvoir certes avant tout économique, mais également politique en forçant à recentrer le débat sur la place des femmes dans la société.
Néanmoins, l’œuvre de Tonie Marshall ne va guère plus loin. Son classicisme formel et son discours ne dépassant pas les limites du consensuel, il en fallait plus pour véritablement provoquer (ma) la réflexion.
C’est alors que deux films — des documentaires cette fois-ci — viennent à mon secours en me poussant à fouiller ma pensée bien plus profondément sur les relations entre citoyenneté et pouvoir.
Des clics de conscience (sorti le 4 octobre 2017) de Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso et Des lois et des hommes (en salles depuis le 11 octobre 2017) de Loïc Jourdain mettent en scène un combat afin de porter une parole citoyenne dans les sphères du pouvoir.
Ces deux démarches partent d’un même point : une injustice — ou du moins vécue comme telle — qui devient une cause à défendre publiquement et de fait un enjeu politique. C’est dans ce basculement que les protagonistes deviennent véritablement des citoyens.
Des clics de conscience, Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso

Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso se battent au départ pour la préservation des semences traditionnelles, autorisées dans un cadre privé, mais interdites dès lors que les fruits de notre potager sont destinés à une vente plus large. L’enjeu est simple : ces semences étant naturellement reproductibles, (c’est-à-dire que la graine produit un fruit ou un légume qui lui-même fournit la graine qui en permettra la reproduction) on comprend aisément le manque-à-gagner que cela peut supposer pour l’industrie agroalimentaires, qui a fait le choix de semences hybrides F1, c’est-à-dire non reproductibles- c’est-à-dire qu’on doit en racheter les graines chaque année. Pourtant, ces semences paysannes assureraient la biodiversité cultivée, et ne suscitent pas de produits chimiques pour un rendement très prometteur. Face à cette absurdité (pas si absurde dans un monde capitaliste vous en conviendrez), nos deux protagonistes prennent l’initiative de lancer une pétition en ligne, #YesWeGraine, qui recueillent plus de 20 000 signatures en l’espace de deux semaines.
Et après ? Que devient cette pétition, porte-parole d’une revendication populaire ? Quelle résonance sa voix a-t-elle au sein de l’espace public, de quelle manière peut-elle influencer les décisions prises à un niveau étatique ? A vrai dire, à pas grand chose. Une pétition n’est pas du tout synonyme de démocratie directe, et l’on aura beau envoyer toutes nos signatures aux différents ministres, cela ne changera rien, car ceux-ci ne sont absolument pas tenus juridiquement d’en tenir compte.
La solution supposerait alors de passer par la démocratie représentative, c’est-à-dire par les parlementaires, qui peuvent relayer la volonté citoyenne au sein de l’Assemblée et du Sénat. Il faut alors trouver un Sénateur qui accepte de relayer nos propositions, et des le réécrire sous forme d’amendements ; technique qui suppose des notions juridictionnelles que nos cours d’éducation civique ne nous ont malheureusement pas fournies. Des clics de conscience met en scène ce labyrinthe kafkaïen et les difficultés auxquelles sont confrontées les citoyens dès lors qu’ils auraient la prétention d’avoir une idée en matière de législation.
Des lois et des hommes, Loïc Jourdain

De la même façon, Des lois et des hommes retrace le parcours de John O’Brien, pêcheur sur l’île irlandaise d’Inishboffin, qui entame un combat de 8 ans pour que la pêche, seule source des revenus des habitants de l’île, ne soit plus interdite. Cette loi instaurée par le gouvernement irlandais avait à l’origine un fondement tout à fait louable, puisqu’il s’agissait de préserver les espèces. Pourtant, la cible n’était peut-être pas la bonne : les pêcheurs des îles irlandaises, forts de leurs traditions ancestrales, se révèlent être les plus fins connaisseurs des cycles des espèces et leur pêche respecte ainsi les saisons de reproduction des poissons, préservant la biodiversité. En revanche, une pêche industrialisée, permettant de se nourrir de saumon à n’importe quelle période de l’année, représente une réelle menace pour ledit saumon qui n’a même pas le temps de se reproduire avant d’être aussitôt englouti.
En souhaitant au départ préserver son emploi, sa famille, et sa vie sur l’île, John O’Brien endosse véritablement le costume du citoyen en décidant de porter sa voix au sein de la sphère publique. Cette fois pourtant, le chemin ne le conduira pas directement au gouvernement de son pays, car celui-ci n’a en réalité que légiféré en fonction d’ingérences venues directement de Bruxelles. C’est donc au sein du Parlement Européen que ce citoyen devra porter sa revendication, et proposer une réforme de lois qui s’appuie bel et bien sur du concret, puisqu’il s’agit de toute sa vie.
Là encore, ce qui se joue véritablement, c’est bien le combat entre les lobbys de l’industrie agroalimentaire et de simples citoyens. Comment peser dans la balance lorsque nos réseaux d’influence sont réduites à peau de chagrin malgré la légitimité de nos revendications ?
La vision des ces trois films, et les réflexions qu’ils ont suscité en moi m’ont mené à ce constat : il y a urgence que nous troquions nos carapaces d’individus pour le costume plus noble de citoyen. Il y a urgence que nous nous emparions véritablement du pouvoir, soit directement, soit indirectement par le biais de représentants effectivement disponibles à nos revendications. Et pour ce faire, une bonne dose d’éducation populaire ne serait pas de trop afin de faire tomber les œillères et nous pousser une fois pour toute à faire entendre une voix d’autant plus légitime que, le plus souvent, elle sait de quoi elle parle.