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Billet de blog 7 octobre 2018

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Le décor, le dé-corps…

Faut-il connaître ton nom pour que tu puisses, devant la mort, exister ?

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Le décor, le dé-corps…

Est-ce du théâtre ? Ces mises en scène, ces mises en vedette, ces funestes et, parfois, rocambolesques mises en bière… Pauvres défunts, pauvres disparus, pauvres mortels, pauvres de nous. N’avaient rien demandé pour être élus devant le grand mystère de la mort et de la vie.

Non. Les aimer davantage devant la mort plutôt que la vie ? Les aimer ou les mal aimer ou les détester pour la mémoire ? Pour ceux qui sont là, en ostentatoire apparat, à qui le tour, inévitablement, viendra ?

Mieux que des médailles. Mieux que des lauriers précipitamment tressés. Il faut inscrire les noms dans l’Histoire. Il faut écrire l’Histoire. Il faut, de ces noms, s’approprier la gloire. C’est inscrit, ad vitam aeternam.

Décence ? Indécence ? Communion populaire ? Tristesse ? Conscience de notre vulnérabilité ? Amours, culpabilités, regrets enfin partagés ?

Le poids des représentations. Le poids des responsabilités évitées, oubliées, corrigées, des non-dits démentis, des souvenirs pour toutes et tous, en belles formules et tournures, élégamment redessinés ?

De l’humain ? Du politique ? De la bienséance ? De l’institutionnelle révérence ?

Sommes-nous si naïfs ? Pourquoi sommes-nous si prompts à la dénonciation de ces injustes sélections, couronnements, absolutions, simplifications,

Que de références il faut taire. Que de références il faut énoncer, rappeler, répéter… Y croire, avec passion, avec compassion.

Des discours. Tant de discours. Les discours font-ils l’Histoire ?

Mais non. Vous n’y étiez pas. Vous ne saviez pas. On vous le dit. A haute et indéfectible conviction.

Communion républicaine. Communion nationale. Communion populaire. Communion spectaculaire. Ensemble, célébrons.

Communion intime ? Plus tard. Sans les regards. Sans les mots. Pour les vivants. Les proches, dit-on. Pour la peine, la vraie. Pour l’émotion sincère. Pour le chagrin. Pour le manque. Pour les souvenirs qui blessent ou qui réconfortent. Pour ceux qui aiment, qui ont aimé, qui font le plein, le trop plein des instants partagés. Dès le rideau tombé. Oui. Ne pas s’en mêler. Ne pas s’emmêler.

Oh ! Mais ça n’est pas juste. Qu’est-ce qui n’est pas juste. Tout ce fatras de sinistres arrangements avec la vie, des autres ? Ceux qui sont élus ? Ceux qui sont oubliés ? Ceux qui ne comptent pas pour le grand théâtre des représentations républicaines ? Un tantinet mensongères ? Ne sont pas comptabilisés les méritants ? Mais qui évalue le mérite ? Mais qui peut bien soupeser les mérites et les démérites d’une vie ? Qui est pris en otage ? Celles et ceux qui n’y croient pas ? Celles et ceux qui n’y sont pas ? Celles et ceux qui jugent et n’ont rien vécu, de ces horreurs, de ces traumatismes, de ces corruptions, de ces tortures, de ces inhumanités… Celles et ceux reconnus coupables – ou pas-, celles et ceux reconnus braves, courageux, vénérables- ou pas.

Evidemment que c’est artificiel. Evidemment. L’apparat d’Etat n’a jamais eu pour but de rendre, sauf exception(s)- que j’ose mettre au pluriel- les honneurs aux communs des mortels. L’apparat d’Etat n’a jamais eu pour but de mettre à l’honneur les évincés de la richesse. Les évincés de la méritocratie, de l’unicité républicaine… L’apparat de l’Etat a besoin de ses dorures, de ses glorieuses sépultures en accord avec sa juste, honorable et incontestable réputation. Il y va de sa survie politique. Il y va de sa réputation de populaire cohésion.

Alors oui. Nous pouvons contester. Nous pouvons réajuster les mémoires. Les historiens sont là. Pour l’envers et le contre.

Nous pouvons établir -ou rétablir- l’ordre des mérites et des disqualifications. Nous pouvons rectifier les récits dithyrambiques de ces élus républicains de la mort. Une légitime récrimination ? Un légitime réajustement de la vérité. La vraie ?

Le temps du vivant n’a pas permis. Faudrait-il, du temps fini, se risquer, avec précipitation et véhémence, oser condamner ?

Ne serait-il pas plus raisonnable, plus humain, plus glorieux, plus respectueux, de penser -et revendiquer- un véritable et sincère hommage à tous ces disparus dont nous ne connaissons pas même le nom, encore moins le prénom ? Là, aujourd’hui. Non. Pas hier, ni demain. Aujourd’hui.

Ce serait, là, un véritable mouvement, populaire et résistant, de consécration ultime, de reconnaissance à tous ces humains perdus, inconnus, désespérément ignorés, de la nation, des nations.

Nous honorons nos artistes – bien trop sélectionnés, là aussi-, nous honorons nos grands scientifiques, nous honorons nos grands résistant, combattants – autant d’injustice, là aussi-, pouvons-nous honorer tous ces « femmes, hommes, enfants », perdus pour toujours, au fond de la mer, sur terre, pour avoir oser la vie ?

C’est hier, c’est aujourd’hui, c’est demain. Oui, l’Aquarius. Oui, les guerres. Oui, les viols, armes de guerre. Oui, les enfants de la guerre, des guerres. Oui, les tortures, encore et encore… Oui, les morts. Plein. De plus en plus. Pas l’ombre d’un hommage, d’une consécration, d’une reconnaissance, d’une humble célébration, d’un recueillement. Non. Ils n’ont pas existé. Ils n’existent pas.

Ils furent artistes, musiciens, chercheurs, scientifiques, poètes, écrivains, ébénistes, apprentis, éleveurs, paysans, enseignants… Rien. Nous ne savons rien. Rien de rien.

Et là, pouvons-nous contester ?

Les dé-corps, ce sont eux. Oui. Et tant d’autres aussi.

Un autre décor, bien plus lugubre. Celui des naufragés, des rescapés, des noyés, des torturés, des…

Mais, ceci est une autre histoire, une Histoire à écrire… Si, si et si…

Désespérément…

Ou alors ?

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