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Billet de blog 11 novembre 2025

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Mobilisations lycéennes et répression policière à Strasbourg

Préoccupés par la récente gestion des mobilisations lycéennes à Strasbourg, nous parents d’élèves, avons souhaité adresser une lettre ouverte à la communauté éducative mais également, plus largement, à tous ceux que la réponse apportée à ces manifestations lycéennes interroge.

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Rappel des faits 

15 mai 2025 : Manifestation et blocage par des lycéens des lycées strasbourgeois des Pontonniers et de Fustel de Coulanges contre la guerre à Gaza.

Intervention policière au Lycée des Pontonniers : gazage lacrymogène ; plaquages au sol ; coups ; mise en garde à vue d’un lycéen de 15 ans à la suite d’une présentation des forces de l’ordre à son domicile.

10 septembre 2025 : Manifestations et blocages des lycées des Pontonniers, Fustel de Coulanges et Marie Curie en soutien au mouvement « Bloquons tout ». Intervention policière massive.

Au lycée des Pontonniers : gazages lacrymogènes, dont certains à proximité immédiate des élèves, provoquant des séquelles de moyen-terme.

Au lycée Fustel de Coulanges : charge policière doublée de prise à revers par des policiers en civils devant le lycée, plaquages au sol, menottes, sacs déchirés, affaires éparpillées ; mises en garde à vue de quatre lycéens mineurs pendant 24h (nuit au commissariat où l’un des jeunes ne reçoit ni couverture, ni matelas) ; 3 ressortis avec affaire classée sans suite, l’un accusé de rébellion. A noter la mise en garde à vue du même jeune qu’au mois de mai, par le même agent des forces de l’ordre.

11 septembre 2025 : Blocage du lycée Fustel de Coulanges en protestation et soutien aux lycéens toujours en garde à vue.

Intervention policière : charge d’une trentaine de policiers pour une quinzaine de lycéens, arrestation et mise en garde à vue d’une lycéenne (ressortie avec affaire classée « sans suite »). Poursuite des autres lycéens manifestants jusqu’à la gare SNCF où ils sont encerclés, interpellés et fouillés au corps pour certains, avant d’être relâchés. Maintien d’une présence policière à l’entrée du lycée tout au long de la journée.

Pendant la garde à vue : humiliation de la part de policiers et soumission à des invectives sexistes de la part d’autres gardés à vue.

Une réflexion collective s’impose

En France, « l'usage de la force dans le maintien de l’ordre n'est possible qu'en cas d'absolue nécessité ». Cet usage doit être « gradué et toujours réversible » (article de Vie-publique.fr, antenne rattachée aux services du Premier ministre). 

En France, les enfants et adolescents ont le droit de se rassembler et de manifester en paix et en sécurité : ce droit est protégé notamment par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de l’UNICEF ratifiée par la France en 1990. Par son article 15, elle garantit aux enfants et adolescents le droit de se rassembler de façon non violente pour exprimer leurs opinions, à travers des manifestations, des défilés, des sit-in, des grèves, des veillées… 

Quelle est donc la logique qui justifie cette répression brutale et ces mesures de privation de liberté à l’encontre de lycéens qui n’exercent aucune violence, qui s’expriment en suivant un mode de protestation conventionnel ? Comment l’institution éducative réagit-elle face au molestage de ses élèves devant les lycées ? A quelle place se trouve-t-elle ? 

Du point de vue des lycéens mobilisés, le blocus du lycée constitue un moyen d’alerter leurs camarades et leurs enseignants au sujet d’un enjeu qu’ils jugent prioritaire. Du point de vue de l’institution éducative, il est important de permettre la tenue des enseignements et d’amener les lycéens mobilisés à réintégrer les cours. 

Si les initiatives visant à la levée des blocus sont légitimes, la question se pose néanmoins : à quel moment l’usage de la violence répond-t-il à une « absolue nécessité » ? Face à des personnes mineures rassemblées pacifiquement, est-il proportionné et adéquat de charger, gazer, plaquer violemment au sol, garder à vue… ? 

On le sait, en France, le droit à manifester pacifiquement (garanti par l’article 20 de la Convention universelle des droits de l’homme) doit respecter l’ordre public (décret-loi du 23 octobre 1935). Le bon équilibre entre ces deux nécessités exige du doigté et une bonne connaissance du terrain de la part des équipes (manifestantes et policières) chargées du maintien de l’ordre. A fortiori lorsqu’il s’agit de personnes mineures, il importe, pour garantir à la fois le droit de manifester et l’ordre public, de s’appuyer sur le dialogue et l’écoute. 

A Strasbourg, le 15 mai comme les 10 et 11 septembre, aux lycées Fustel de Coulanges, Pontonniers et Marie Curie, les charges policières n’ont été précédées d’aucune tentative sérieuse de dialogue avec les lycéens mobilisés, que ce soit de la part de la police ou – ce qui aurait été pleinement leur rôle - de la part des équipes de direction des lycées concernés. Les charges policières et les attaques qui s’en sont suivies ont été décidées alors que les élèves n’exerçaient aucune violence, qu’ils ne commettaient aucune dégradation et ne mettaient personne en danger. L’absence de proportionnalité apparaît donc avérée. 

Cet usage de la violence constitue un risque majeur au plan démocratique, celui de rompre la confiance des jeunes dans les institutions. Or, deux institutions nationales fondamentales sont ici en jeu : la Police et l’Education nationale. 

Les policiers savent que l’ordre et la paix ne sont pas équivalents. Les forces de l’ordre peuvent être des gardiennes de la paix, à condition d’en prendre le temps et les moyens. On peut obtenir l’ordre par la menace et la peur ; on obtient la paix par le dialogue et le consentement et moins par l’intervention réactive. 

Or,les représentants de Education nationale sont, ces temps-ci, singulièrement silencieux, au point de laisser penser qu’ils se déchargent sur la police du soin de gérer les perturbations occasionnées par l’engagement politique et social des élèves dont ils ont la responsabilité de la sécurité. S’il se confirme, ce que nous ne souhaitons pas, cet état de fait est problématique. Il y a en effet un continuum entre l’instruction qui a cours dans les salles de classes (où on valorise l’échange contradictoire respectueux et le calme) et la façon dont l’institution Education nationale défend (ou ne défend pas) la place de cette mission dans la Cité. La protection de la réputation de l’établissement, les inquiétudes concernant les apprentissages des enfants, sont des enjeux réels. Cela justifie-t-il de soumettre la logique éducative au maintien de l’ordre public, une hypothèse qui semble s’imposer à l’analyse du déroulement des faits ? Ne peut-on attendre de l’Education nationale qu’elle protège, face aux problématiques sécuritaires dont le ministère de l’Intérieur a la responsabilité, l’enjeu tout aussi important de la formation intellectuelle et morale des futurs citoyens ?      

Qu’on soit ou non en accord avec eux, ces jeunes réfléchissent, habitent notre monde, tentent d’agir. Ne pas les entendre, ne pas chercher à dialoguer avec eux, discréditer leur engagement, les traiter en gamins irresponsables, voire en criminels, et non en futurs citoyens, est contre-productif et risqué. Quel modèle de société leur offrons-nous en soutenant l’interdiction plutôt que le dialogue et l’échange d’arguments, l’attention, la réflexion et l’écoute ? Le risque est grand d’effrayer les lycéens plutôt que de les convaincre, de les renvoyer à leur impuissance et à leur découragement, au lieu d’accueillir leur investissement, quitte à entrer en débat avec lui.

L’Etat prétend se préoccuper « en priorité » de la santé mentale des adolescents. N’aurait-il pas, dans cette optique, à prendre en compte ce qui s’exprime par la révolte et l’opposition à certains aspects des modèles qu’on leur propose ? Il existe plusieurs façons de lutter contre le risque majeur de dépression chez l’adolescent. Et il serait terriblement naïf de croire que l’on peut, par la contrainte, faire ce choix à leur place. Or, l’action citoyenne ou militante est une façon (parmi d’autres) de prendre en main son existence. 

Le sentiment d’injustice, la sidération face à la violence que les enfants ne peuvent pas ne pas ressentir face à la prédominance de la réponse répressive, sont porteurs de dangers (repli sur soi, défiance) et non de confiance et de construction. Si nous écoutons ces jeunes, ne peut-on pas reconnaitre que leur démarche consistant à se battre, même maladroitement parfois, pour un monde meilleur, est une façon plutôt constructive de faire face à un pessimisme ambiant, particulièrement anxiogène pour leur construction personnelle ? 

Nous parents, avons à charge de les éduquer ; la communauté éducative a la charge de les former et les instruire. Ne pouvons-nous pas leur donner ensemble les moyens de penser le monde dans lequel ils vivent en les soutenant dans leur quête d’en faire partie ? Acceptons qu’à 15, 16, 17 ans, ils aspirent à « jouer dans la cour des grands », à prendre la parole, à être écoutés, considérés comme ayant la capacité de participer à la vie publique. Sinon, nous risquons de les perdre : dans l’apathie, le désespoir ou le cynisme, comme l’on perd le contact avec ceux qui s’enferment dans certains réseaux sociaux en ligne (où la violence n’est pas moins réelle). Les lycéens ont besoin de cette reconnaissance et de cette tolérance bienveillante. Ils ont besoin qu’on leur fasse, peu à peu, une place dans un monde commun. 

Et nous, adultes, nous avons besoin d’une jeunesse qui pense et qui agit pour garder confiance dans une société qui reste démocratique et apaisée. Cet apprentissage ne commence pas, soudainement, à 18 ans. Il s’ébauche progressivement, sous des formes tâtonnantes, souvent maladroites, à chaque génération. Soyons attentifs à ce que l’Education nationale n’oublie pas sa première raison d’être.

Magdalena Hadjiisky, Gildas Renou, Anouk Hoffet, Emmanuel Roquet, 

Parents d’élèves, enseignants-chercheurs en sciences sociales et science politique, psychologue-psychanalyste et psychiatre.

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