L'annonce par Bruno Retailleau de vouloir dissoudre Urgence Palestine et la Jeune Garde s'inscrit dans une dérive autoritaire amorcée de longue date, notamment par Gérald Darmanin avec la tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre en mars 2023.
Elle s'insère aussi dans une stratégie inquiétante de criminalisation et d'invisibilisation des voix solidaires du peuple palestinien, alors même que des crimes contre l’humanité innommables sont en cours à Gaza.
Enfin, elle traduit une atteinte toujours plus autoritaire et grave à nos libertés démocratiques, et plus particulièrement à la liberté d'expression. S’y opposer est nécessaire. Mais cela ne doit pas nous aveugler sur ce que représente réellement Urgence Palestine.
La gravité de la situation en Palestine exige que nous restions vigilant·es et que nous résistions aux réflexes binaires : on peut, et on doit, dénoncer les atrocités commises par le gouvernement israélien sans pour autant fermer les yeux sur d’autres formes de dérives.
De plus, l’histoire récente montre que dissoudre un collectif ne fait souvent que renforcer sa présence médiatique et nourrir une posture de victimisation, sans jamais répondre aux problèmes de fond.
Urgence Palestine est un collectif militant créé en 2023 après l'attaque terroriste du 7 octobre perpétrée par le Hamas en Israël. Ce collectif s'est rapidement fait connaître par un positionnement radical et une lecture trop unilatérale du conflit.
Un exutoire idéologique masquant parfois une haine persistante
-(Je choisirais délibérément d’éviter les mots « sionisme » ou « antisionisme ». Ces termes sont devenus si polysémiques qu’ils semblent avoir autant de significations que d’usages. Cette ambiguïté rend le terrain d’autant plus glissant).-
Pour beaucoup, Urgence Palestine incarne avant tout un engagement militant en faveur de la cause palestinienne, déterminé, frontal, éminemment politique et qui, à ce titre, serait parfaitement nécessaire, louable et justifié.
Certain·es objecteront également qu’Urgence Palestine n’a jamais été condamné pour antisémitisme, et qu’il n’y aurait donc pas lieu de le critiquer. Mais l’absence de condamnation judiciaire ne vaut ni absolution morale ni politique (Marine Le Pen non plus n’a jamais été condamnée pour racisme, islamophobie ou antisémitisme, ce qui n’empêche personne de juger ses propos profondément problématiques) .
Critiquer Urgence Palestine, ce n’est évidemment pas céder à l’amalgame. La tendance que je questionne ici reste marginale dans le mouvement de solidarité avec la Palestine. Mais elle mérite d’être interrogée lorsqu’elle s’exprime, ne serait-ce que pour éviter qu’elle ne devienne une arme pour nos adversaires, ou un repoussoir pour celleux qui pourraient être nos allié·es.
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Si j’écris sur Urgence Palestine, c’est parce que je suis de plus en plus persuadée que quelque chose a changé. Aujourd’hui, certain·es, consciemment ou non savent évacuer leur hostilité aux Juif·ves sans même avoir à la nommer.
Un soutien affiché au peuple palestinien, associé à une attaque virulente et incohérente d’Israël et des Israélien·nes, jusqu’à défendre l’indéfendable et et s’en prendre à des personnes ou des positions qui ne devraient en aucun cas être visées, leur suffit désormais comme exutoire, au mépris de tout principe antiraciste et humaniste.
L’antisémitisme se dissimule alors derrière une fumée trouble, prenant la forme d’une hostilité jugée «moralement acceptable», mais qui, au fond, reste et reflète une haine des Juif·ves.
C’est pour moi précisément sur cette ligne de crête que se positionne souvent Urgence Palestine.
Le soutien assumé d'Urgence Palestine à des groupes comme le Hamas, voire la justification implicite ou explicite des attaques du 7 octobre, n’est peut-être pas perçu comme de l’antisémitisme explicite par tous·tes, ce qui me semble être déjà très questionnable.
Mais cela n'est qu'un exemple qui s'inscrit dans leur rhétorique, leurs alliances et leurs discours qui dessinent, au mieux, une organisation profondément trouble sur le plan idéologique. Au pire, une structure traversée par des dérives essentialisantes, ou tout simplement antisémites.
Il est alors légitime de se demander : ces prises de position servent-elles vraiment la cause palestinienne ?
C’est précisément dans ces situation qu’il faut prendre du recul, remettre en question ses réflexes et ses certitudes, pour construire une position à la fois claire et juste.
Et une chose me alors semble évidente : au vu de ses choix, de ses discours et de ses alliances, Urgence Palestine ne peut pas être considérée comme une organisation antiraciste.
Je sais que ma position sur Urgence Palestine est sensible et clivante, et qu’elle pourra sembler subjective, voire déplacée. Surtout en ce moment.
Certain·es y verront surement une conviction personnelle, subjective, impossible à démontrer. Mais c’est pour moi une inquiétude sincère, née d’observations précises, de signaux inquiétants, et d’un malaise profond face à une situation complexe.
J’écris cela avec trouble et sans légèreté, parce que je redoute une dérive grave et dangereuse pour nos principes, nos luttes, pour les Palestinien·nes, et enfin pour les Juif·ves.
Voici quelques éléments illustrant les dérives hautement problématiques du collectif
Urgence Palestine :
- Le 16 mai 2025, Omar Alsoumi, porte-parole du collectif, a salué publiquement les actions des Houthis, un groupe dont la devise appelle à « maudire les Juifs ». [1]
-Le 3 novembre 2024, lors d'une manifestation, depuis le char d'Urgence Palestine, Omar Alsoumi déclarait : « Est-ce qu'on est d'accord pour continuer à être ce déluge d'Al-Aqsa (...) ? » Le déluge d'Al Aqsa, c'est l'attaque terroriste du 7 octobre, marquée par des assassinats de civils, des viols, des tortures, et des prises d’otages. [2]
-Le 8 février 2025, toujours depuis le char d'Urgence Palestine, un militant de la Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire lançait à la foule : «Quel révolutionnaire n'a pas pleuré de joie le 7 octobre ?» [3]
-Le 10 mai 2025, sur Mizane TV (un média aux accointances soraliennes et négationnistes) Omar Alsoumi affirmait : « De Tel Aviv, l'islamophobie a été construite comme une stratégie pour nous paralyser. » [4]
-Le 1er mars 2024, dans un texte coécrit avec Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah (dont les positions antisémites ne sont plus à prouver), Omar Alsoumi suggérait que les accusations contre le Hamas, notamment les viols et les meurtres d'enfants seraient exagérées ou infondées, dénonçant un « matraquage des médias sionistes ». [5]
Plus largement, Urgence Palestine affiche un soutien sans réserve à des groupes comme le Hamas, le Hezbollah ou les Houthis.
En août 2024, le collectif rendait hommage à Ismaël Haniyeh, ancien chef du Hamas qu'il qualifiait de «martyr». [6]
Le 30 avril 2024, il relayait un communiqué officiel du Hamas. [7]
Le 8 février 2025, lors d'une prise de parole publique, un militant soutenu par Urgence Palestine saluait «l'invincible et glorieuse résistance palestinienne (...) à leur tête les brigades Al-Qassam, les milices irakiennes, les frères du Hezbollah, le grand et fier Yémen et les milices Houthis ». [8]
À aucun moment, Urgence Palestine n'a évoqué les Gazaoui·es opposé·es au Hamas, ni les manifestations qu'iels ont eu le courage d'organiser, alors même que militer pour la paix à Gaza peut exposer à la torture ou à la mort.
Essayons de refuser la facilité et d'affronter la nuance !!!
Je sais qu'il semble facile, ou même présomptueux, de donner ainsi mon avis sur ce que serait, selon moi, la meilleure façon de faire entendre les voix pour Gaza, surtout depuis l'endroit où je me trouve : en sécurité, loin de la guerre.
Bien qu'opposée à sa dissolution, je reste convaincue qu’Urgence Palestine ne constitue pas un appui fiable pour entrevoir une sortie à ce cauchemar. Bien au contraire.
Leur confusionnisme dangereux alimente violences et amalgames jusque sur le sol français, où le conflit s’importe parfois de la pire des façons.
Dénoncer les prises de position inacceptables et dangereuses d'Urgence Palestine est une tâche délicate, face à l'horreur que nous voyons se dérouler.
Mais rejeter l’antisémitisme et les idées réactionnaires que propage ce collectif, ce n’est pas trahir la cause palestinienne.
C’est, au contraire, la défendre avec clarté, dignité et cohérence. Par conviction antifasciste, d'abord, mais aussi pour éviter de fragmenter la lutte pour la Palestine, déjà trop divisée.
Je persiste ainsi à penser que cela est nécessaire, pour préserver une réflexion complexe et empêcher que les nuances ne soient entièrement étouffées par une logique binaire et un campisme aveugle. Ce qui, je le crains, serait désastreux.
Ansa Bedinger
[1] "DE LA NAKBA À GAZA : LE PLAN COLONIAL ISRAÉLIEN DÉVOILÉ" - Youtube BLAST
[2] "En Palestine et au Liban, nous sommes tous des résistants !" - Youtube Parti des Indigènes de la République.
[3] Vidéo sur X - No Pasaran
[4] "Omar Alsoumi : Israël propage l'islamophobie" - Youtube Mizane TV
[5] "Lettre ouverte aux sionistes (de gauche) qui convergent à Mediapart" - S.Sbeih, O.Alsoumi, Y.Boussoumah, H.Bouteldja
[6] Post sur X - Raphaël Assouline
[7] Instagram Urgence Palestine
[8] Vidéo sur X - No Pasaran
Je vous renvoie également à ce texte d’Action Solidaire Antiraciste Partisane, très bien documenté et sourcé, qui traite en profondeur du cas d’Urgence Palestine : Urgence Palestine : ni dissolution, ni confusion

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