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Billet de blog 11 mars 2022

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Education Nationale : les personnels en situation de handicap en détresse

L'Education Nationale donne le mauvais exemple : ses personnels handicapés pâtissent d'un manque criant de dialogue avec les services de leur institution où aucune politique en leur faveur n'est mise en œuvre. Beaucoup sont à bout de souffle. L' Association Nationale des Travailleurs en situation de Handicap de l'Education Nationale) a adressé une lettre ouverte à M. Blanquer.

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« Il va falloir songer à changer de métier, vous ralentissez le service » (IEN)
« Votre handicap complique la gestion de notre établissement madame. Il faut en avoir conscience. » (Chef
d’établissement)
« Pour le concours vous demandez un aménagement des épreuves avec un fauteuil ergonomique… je ne sais
pas si c’est faisable… il faudrait peut-être apporter le vôtre dans le coffre de votre voiture, vous trouverez
bien quelqu’un pour vous aider à le sortir. » (Médecin de prévention).


Monsieur le Ministre,


Tels sont, pour exemple, certains des mots entendus ou lus par des collègues handicapés. Des petites phrases comme celles-ci, notre association en reçoit tous les jours. Bienveillance ? Non. Accompagnement ? Certainement pas. Discrimination ? Difficile de le nier.


Notre Association Nationale des Travailleurs Handicapés de l’Education Nationale, ANTHEN a été créée il y a trois ans et tente depuis de prendre contact avec vous. Les seules réponses obtenues nous ont assurés d’une réponse ultérieure à notre courrier, d’une transmission à untel, mais finalement, rien n’est venu.
Deux ans après sa création, l’association compte aujourd’hui 350 adhérents, tous agents de l’Education Nationale, porteurs de handicap. A l’heure où vos services, à grand renfort d’argent, sortent une campagne de publicité sur le handicap et contre la discrimination, qu’en est-il en interne pour vos agents, Monsieur le Ministre ?
Rien.
En tant que bénéficiaires de l’obligation d’emploi, nous n’avons aucune garantie de reclassement si nous sommes inaptes à occuper notre poste.

Monsieur le Ministre, durant longtemps, l’Education Nationale a été dispensée de compenser le taux dérisoire d’agents en situation de handicap au sein de son ministère, partant du principe que l’aide (insuffisante!) à la scolarisation des enfants en situation de handicap constituait une aide à leur insertion future. Les agents en ont largement fait les frais.
Qu’en est-il maintenant que la fin de l’exonération de la contribution de l’Education nationale au FIPHFP est enfin actée ?
Les personnels handicapés vont-ils pouvoir profiter d’un réel plan d’accueil et demaintien dans l’emploi ? Allons-nous enfin cesser d’entendre que rien n’est possible parce qu’il n’y a "pas de budget" ? 

Aujourd’hui, l’Education Nationale est le plus mauvais élève de France : le taux d’emploi de personnels handicapés, déjà très bas (3.85%) est tombé en 2021 à 3.37 % (source SE-UNSA). Voilà qui devrait aider le FIPHFP à financer l’aide au maintien dans l’emploi des fonctionnaires.
Alors que la loi de 2005 acte l’obligation pour l’employeur de compenser le handicap, on a plutôt l’impression que l’Education Nationale met des "bâtons dans nos roues", à fortiori lorsque les handicaps sont invisibles.
 Trop souvent, pour nos collègues et notre hiérarchie, nos statuts de travailleurs handicapés seraient donc illégitimes, nos handicaps exagérés, voire inventés. Nos arrêts maladies étant perçus comme des « vacances en plus ». De nombreux témoignages recueillis au sein de l'association viennent valider nos propos. Une réalité brutale, vécue par les agents sur le terrain. En effet, nombreuses sont les remarques déplacées et les brimades, qui finissent par culpabiliser et briser.
Pour certains médecins de prévention, la douleur chronique ou les handicaps invisibles ne sont d’ailleurs pas un frein à l’enseignement, ni à l’investissement intellectuel. Etre face à plus de 30 élèves quand on a mal serait même salvateur et stabiliserait notre santé mentale.
Nous, agents de l’Education Nationale et membres d’ANTHEN, avons le sentiment de payer x fois notre peine tant notre entourage professionnel manque de bienveillance et tant nous manquons de soutien.

Les allègements de service pour raison de santé : inadaptés aux handicaps pérennes


D’une part, ces allégements ne sont pas pérennes et au bout de deux ans d'allégement de service, nous sommes censés retourner au plein
emploi. Les maladies chroniques ne sont pas prises en compte.
D’autre part, ils ne sont pas fonction de nos besoins mais de l’argent disponible. Un agent lambda peut se voir refuser un allègement dans une académie qui aurait été accordé dans une autre, parce qu’il n’y a plus de crédit. Tout dépend du nombre d’agents handicapés et donc de demandes.
Mathématiquement, il est donc plus facile d’obtenir un allègement dans l’académie d’Amiens que dans celle de Rennes.
Reste à préciser que les personnels administratifs ne bénéficient pas de la possibilité d’un allégement de service. Ils doivent prendre un temps partiel de droit et se le financer ; et ce temps partiel de droit est calculé sur un temps de travail de 39h et non de 35 comme dans le secteur privé.


Etre handicapé et moins payé : la double peine


Dans le cadre de l’attribution d’un temps partiel de droit pour handicap, le fonctionnaire handicapé perd une part de son salaire au pro rata de son taux d’activité. Or, il n’existe rien dans la fonction publique qui permette de compenser au moins partiellement cette perte, contrairement au secteur privé. Pas de pension d’invalidité qui s’ajouterait à notre traitement . Rien. Il faut ajouter que le fait de travailler à temps partiel pénalise le fonctionnaire en situation de handicap pour ce qui concerne sa retraite. Un personnel touché par le handicap avance moins vite qu’un personnel lambda dans sa carrière, du fait des arrêts maladie qu’il a dû subir, ou des fonctions qu’il ne peut tenir du fait de sa situation de santé (ex : professeur principal dans le secondaire). 

Il faut préciser également que l’administration incite les agents en situation de handicap à demander des temps partiels de droit, c’est-à-dire qu’au lieu de trouver des solutions à un handicap, on nous demande de financer notre handicap.
Les différentes circulaires des académies permettent à l’administration de se dédouaner de son obligation d’emploi en interprétant les textes de lois en sa faveur et au détriment du personnel en situation de handicap. C’est ainsi que le caractère « exceptionnel » des aides susceptibles d’être
apportées est toujours fortement appuyé.


La médecine de prévention : peu réactive et parfois même inexistante


Nombre d’entre nous se plaignent d’être reçus avec froideur, par les médecins de prévention, ces derniers mettant systématiquement en avant le fait que nos demandes ne peuvent pas aboutir, non qu’elles ne soient pas fondées mais que les moyens manquent. Ou que nous sommes rudement chanceux d’y avoir droit. Qui pourrait supporter d’entendre de telles aberrations ?
Il ne faut enfin pas oublier le fait qu’un médecin de prévention est amené à suivre bien trop de personnels, quand il existe...car dans certaines académies il n’y en a pas ! A quand de véritables moyens pour cette médecine de prévention qui n’en porte que le nom ?


La retraite anticipée pour handicap : rarement possible


Il est prévu qu’un fonctionnaire de l’Education nationale qui a un handicap reconnu puisse partir en retraite anticipée. Cependant, pour certains le taux de handicap attendu est trop important, ce qui fait que cette mesure, juste, ne peut s’appliquer bien souvent qu’à des personnels touchés par le handicap dès leur entrée dans l’E.N, ce qui est rare. Impossible de prendre une retraite anticipée lorsqu’on devient subitement handicapé, parce qu’on n’a pas été handicapé pendant 25 ans. Toutes nos excuses…


Continuer à travailler: le parcours du combattant.


Evidemment, lorsque se déclarent un handicap, une maladie chronique, que les difficultés s'accentuent,  être face à des élèves est parfois très compliqué et la seule solution qui s’impose à nous est la reconversion. Là encore, quel parcours du combattant ! Alors que nous devrions être aidés et soutenus pour faire le point sur ce que nous pouvons faire, ne plus faire, les cadres des rectorats nous renvoient une culpabilité à peine déguisée, pour masquer simplement le fait que les secondes carrières n’existent pas. Le bilan de compétences, par exemple, organisé et intégralement pris en charge dans d’autres fonctions publiques, reste en grande partie à notre charge même si nous mobilisons notre compte personnel de formation. Or, rappelons que souvent nous travaillons à temps partiel et n’avons pas les moyens de financer un bilan ou une
formation, alors que notre CPF pourrait le faire ! Nous avons joint à ce propos la caisse des dépôts et consignations qui gère le CPF et qui s’étonne d’une telle mesure, propre selon elle à l’Education Nationale. Encore !
Alors, pour changer de fonction publique il faut repasser des concours. Travailler encore plus alors que nous sommes à bout de force. On peut entrer dans la Fonction publique en étant bénéficiaire de l’obligation d’emploi sans passer de concours, mais pas y rester ! La loi et les circulaires ministérielles prévoient pourtant la possibilité accrue pour les personnes handicapées d’accéder à d’autres postes par le biais des postes adaptés, dans ou hors EN. Pour autant, les cas de reconversion sont extrêmement rares. Dixit le référent handicap d’une académie, le ministère déconseille même d’accorder le poste adapté si l’agent a trouvé à se reconvertir dans une autre fonction publique ! 

"Voyons les personnes avant le handicap" ?


Si cette volonté de ne plus voir une personne handicapée uniquement par le prisme de son handicap est louable et nécessaire, il ne faudrait toutefois pas oublier que ces personnes nécessitent des besoins particuliers, qu'il convient de prendre en compte, y compris dans leur travail. Ne pas répondre à ces besoins constitue un préjudice, une discrimination.
Il nous apparaît de plus en plus urgent d’avoir un entretien avec l’un de vos collaborateurs afin de mettre en place, ensemble, une véritable politique sur le handicap et de mettre en adéquation les belles paroles de vos spots publicitaires, qui coûtent si cher alors que nous avons tant de besoins.

Le Bureau de l’Association Nationale des Travailleurs Handicapés de l’Education Nationale 

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