
Robet Ménard. C'est le candidat à la mairie de Béziers soutenu par l'extrême droite (FN-DLR-MPF-RPF) dont la liste est en tête aux résultats du 1er tour de scrutin. Son programme de 150 propositions, dévoilé depuis le 09 Février 2014 sur son blog de campagne, fait la part belle à la sécurité, avec plus de 20 propositions, contre 9 pour l'emploi qui apparaît pourtant comme un thème essentiel dans une ville où le chômage touche plus du 1/4 de la jeunesse. La sécurité, sujet cher à ses soutiens d'extrême droite, a été brandie comme l'étandard de la campagne de l'ex-directeur de Reporter Sans Frontière. Et c'est sans doute, dans cette ville rongée par la pauvreté et la délinquance qui lui est corrélée, ce qui a séduit 44% des votants dimanche dernier. Se pencher attentivement sur ces propositions sécuritaires soulève cependant un certain nombre de questions importantes, du moins en République :
1- "Développement de l'application « alerte aux quartiers » pour téléphone portable qui permet de signaler pour les inscrits la présence d'individus suspects dans un quartier."
Sur quels critères un citoyen, sans aucune compétence en matière d'investigation policière, peut-il affirmer qu'un autre citoyen est un individu suspect autrement qu'en basant son jugement sur des a priori, des clichés ou tout autres signes empruntés aux processus de stigmatisation et de discrimination qui conduisent, dans ce cas précis, à la calomnie ou à la délation ?
Il convient de rappeler qu'au moment de la Libération de la France et de l'application du programme du Conseil National de la Résistance, la délation était alors considérée comme une des méthodes de collaboration active avec l'ennemi. Les motivations de son interdiction sont explicables par le souvenir de son emploi systématique par les forces d'occupation nazie. Selon de nombreux historiens, il est fort probable que ce soit ce type de pratiques qui valurent son arrestation au célèbre résistant Jean-Moulin, le 21 juin 1943.

Jean Moulin, né le 20 juin 1899 à Béziers (Hérault) et mort sous la torture nazie le 8 juillet 1943 à Metz (Moselle), fut un haut fonctionnaire (préfet de l'Eure-et-Loir) et résistant français.
Une telle mesure, proposée par le candidat Robert Ménard, rappelle bien les méthodes employés par l'occupant durant les plus sombres heures de la France. Mise en pratique dans le contexte actuel, elle conduirait indubitablement à une société de la suspicion et de la délation.
S'agit-il d'une manœuvre purement électoraliste, marquée par la démagogie et le populisme ou bien d'une vraie stratégie visant à instaurer la méfiance et la division, plutôt que la tolérance et la solidarité ? Dans les deux cas, il s'agit bien d'une politique d'extrême droite qui va à l'inverse des principes fondamentaux de la République que sont la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.
2- "Armer les policiers municipaux (doter les agents d’armes de poing et de pistolets à impulsion électrique, type «Taser»)"
La loi autorise en effet le port de ces armes sous condition d'un accord préfectoral. Quels sont les chances pour qu'un Préfet -dont le rôle majeur est d'assurer la sécurité de ses administrés- accorde ce port d'arme de 4ème catégorie à une Police Municipale dirigée par un maire soutenu par l'extrême droite et d'anciens membres de l'O.A.S ? Maigres, sans aucun doute.
Par ailleurs, le Comité de l'ONU contre la torture a réitéré, le 10 mai 2010, sa préoccupation « de ce que l’usage de ces armes peut provoquer une douleur aigüe, constituant une forme de torture, et que dans certains cas, il peut même causer la mort ». Il serait stupéfiant, au regard du profil extrémiste de la liste du candidat, qu'un Préfet ne tienne pas compte de ces recommandations.
Quand bien même, dans les rares cas où le port de cette arme "de torture" est accordée à la Police Municipale, il est préconisé de former de manière intensive et répétée -et par la même coûteuse pour le contribuable- les fonctionnaires municipaux concernés. Cette formation est assurée par l'entreprise américaine TASER. Une partie des impôts locaux finirait donc dans les dividendes distribués par l'entreprise TASER, dont un des actionnaires est la tristement célèbre banque Goldmans Sachs, actrice majeure dans la crise des subprimes de 2008 qui a plongé les U.S.A, l'Europe, la France et ses collectivités territoriales dans l'austérité dont la ville de Béziers est l'une des victimes les plus emblématiques.
3- "Développer la vidéo protection nomade (caméras «nomades » permettant de « suivre » la délinquance) ; Doter les policiers municipaux de caméras portatives individuelles (Déclenchées à l'initiative des agents, elles leur permettent de filmer leurs interventions, de servir de preuves et d’assurer leur sécurité)"
Les pays qui ont légiféré sur la vidéosurveillance, imposent tous d'aviser les gens de leur entrée sur une zone vidéo-surveillée. Les gens peuvent avoir le choix de refuser d'entrer dans un magasin si les affiches préviennent qu'ils font l'objet d'une surveillance vidéo par exemple. La France fait partie de ces pays. Cependant, en cas de caméras nomades, dont l'enregistrement serait déclenché par les policiers municipaux, à moins de léviter au-dessus de ces policiers, les gens n'ont aucune façon de refuser leur consentement et de se rendre tout de même d'un endroit à l'autre. En France, la circulaire de 1996 précise qu'il y a lieu de faire en sorte que dans tous les cas où une personne peut être filmée, elle soit en situation de s'y attendre et qu'ainsi elle y consente.
Circulaire inapplicable ou transgression des droits et des libertés des citoyens ? On est en droit de se poser la question.
4- "Appliquer la loi aux individus en état d’ébriété qui occupent des trottoirs, qui squattent des emplacements et perturbent la vie des Biterrois."
Il suffit d'assister à quelques uns des rares événements festifs biterrois, tels que "le 20 c'est le vin" ou la "Féria de Béziers" pour se rendre compte à quel point l’alcoolisation de la population est un phénomène qui traverse toutes les couches sociales de la ville. Cette disposition qui viserait donc simplement à "appliquer la loi" concernerait donc une grande partie des habitants sauf si une distinction, là encore stigmatisante, pouvait s'opérer entre les bons citoyens saouls et les mauvais citoyens saouls. Peut-être Robert Ménard compte-il faire appel aux 3 humoristes Les Inconnus, qui ont déjà prouvé leur expertise pour faire la différence entre "un bon et un mauvais chasseur".
5- "Interdire aux enfants de traîner dans les rues le soir (les policiers municipaux les conduiront au commissariat de la police nationale)"
Comment faire la différence entre les enfants qui rentrent de l'école ou de tout autre activité culturelle ou sportive, non accompagnés par un adulte, de ceux qui "trainent dans la rue" sans avoir recours, là encore, aux a priori et aux préjugés?
D'autre part, un commissariat de Police n'est pas un lieu adapté pour l’accueil des enfants, surtout lorsqu'ils sont abandonnés par leurs parents. C'est une compétence qui pourrait être attribuée à un centre social, dans le cadre d'activités périscolaires par exemple, certainement pas à un commissariat de Police Nationale. Il s'agit donc d'une mesure qui relève soit de la rhétorique démagogique purement frontiste, soit d'une politique de stigmatisation sous-jacente, ou pire, d'une incompétence qui devrait alerter les biterrois.
Conclusion :
En 1949, Georges Orwell écrivait son roman cauchemardesque "1984" dans lequel il décrivait une société autoritaire, ultra-sécuritaire, dotée d'un police des mots et de la pensée. En 2014, Robert Ménard, défenseur autoproclamé de la liberté d'expression, décrit sa vision tout aussi cauchemardesque dans son programme pour la ville natale de Jean-Moulin.
Nota Bene : Veuillez excuser ma maladresse d'écriture et l'absence de références citées dans cet article, je laisse le soin au lecteur de recouper les informations et de juger de la véracité de mon propos. Pour ma défense, je ne suis pas journaliste, je suis un simple citoyen qui manque de temps mais qui souhaite malgré tout contribuer à démêler le vrai du faux et à défendre une certaine idée de la République. Suivant avec rigueur la métaphore du colibri, qui, dans le grand incendie de forêt qui menace son habitat, apporte quelques gouttes d'eau pour l'éteindre, moi aussi je fais ma part.