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Anthony Smith député européen LFI

Député européen La France Insoumise, groupe The left, Inspecteur du travail, CGT, Docteur en Science Politique, auteur "918 jours le combat d'un Inspecteur du travail"

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Billet de blog 2 mars 2022

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Anciens Inspecteurs du travail : ils témoignent sur l'état du Ministère du travail

À quelques jours d'une mobilisation intersyndicale le 15 mars et alors que l'ex ministre du travail est candidate à la Direction de l'OIT, 2 anciens Inspecteurs du travail de la CGT et de la FSU prennent la parole pour porter un regard acéré sur l'état actuel de leur Ministère. Ce sont leurs témoignages précieux qui sont à découvrir ci-dessous. Un grand merci à Alain Dougy et Dominique Maréchau.

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Quelques mots sur ton parcours au sein du Ministère ?

Alain Dougy (CGT) : Après une année de pionicat, j’ai effectué mes 40 ans de vie professionnelle au ministère du travail, en occupant de 1968 à 2009 les fonctions de contrôleur, inspecteur, directeur adjoint et directeur départemental, le tout dans le Loiret, la Nièvre, la Côte d’Or, les Ardennes, le Jura et le Doubs.Syndiqué à la CGT depuis 1971, j’ai été membre de la CE nationale pendant une dizaine d’années à partir de 1976 ainsi que, représentant CGT à la CAP de l’inspection du travail pendant 2 mandats.

Dominique Maréchau (FSU) : Apres des études de droit, j'ai intégré le ministère du Travail en 1980, comme contrôleur du travail, à Aubervilliers. En 81, je passe le  concours  interne d'inspecteur, suis affecté à Paris 8° et en 1985, je deviens quasi-permanent au syndicat CFDT du Ministère du travail. Il faut dire que j’étais à la CFDT, dans l’Éducation nationale, depuis les années 70. J’intègre le secrétariat national du syndicat avec une équipe peu appréciée de la confédération (celle-ci nous appelait les « moutons noirs »). En 1994, je réintègre les services comme inspecteur à plein-temps à Toulouse. En 2001, je suis promu directeur adjoint à Auch. En 2004, je quitte la CFDT, avec une majorité d’adhérents du syndicat, suite à la signature par la confédération de l'accord sur les retraites, et rejoins le syndicat FSU SNUTEFE créé peu avant. Je deviens membre du BN, suis élu à la CAP du corps de l'inspection du travail et représente le syndicat en CTM. En 2010, je suis promu directeur (un des derniers dont le poste passe en CAP) et dirige l’unité territoriale du Tarn. J'ai fait valoir mes droits à la retraite en 2016, mais reste membre du BN du syndicat, pour accompagner le renouvellement générationnel. J'ai exercé également,  ces dernières années,  des responsabilités fédérales à la FSU, où je représentais le SNUTEFE

Quel regard portes-tu aujourd’hui sur le Ministère du travail et son cours actuel ? Vois-tu des moments de ruptures entre le ministère que tu as rejoins et celui que tu as quitté ? 

Dominique Marechau : J'ai intégré le ministère à une époque où montait fortement, parmi les agents, la conscience d’être là pour défendre, au nom de la société, les droits des travailleurs (il y avait eu un article d'une revue de juristes engagés qui parlait des inspecteurs du travail comme des « shérifs en 2 CV »). D'ailleurs, dans la foulée de Mai 68, les nouveaux inspecteurs et contrôleurs se syndiquaient massivement à la CFDT et à la CGT et non plus au syndicat corpo. Cette ambiance générale est entrée un moment en résonance avec le contexte politique de l’arrivée de la gauche au pouvoir, qui avait doublé le nombre de postes ouverts au concours ; nous étions un peu les propagandistes des Lois Auroux et des droits nouveaux. Cela a duré quelques années, avec des hauts et des bas : même si on pouvait avoir un langage commun avec la ministre Martine Aubry, la gauche avait bien pris le tournant  de la rigueur et les postes n'ont plus augmenté. Ainsi, la fusion des 3 inspections, promise par Mitterrand en 1993, pour le centenaire de l’inspection, n'a été réalisée qu'en 2008, par la droite, et pas dans les meilleures conditions. Pour tenter de rester sur une trajectoire de progrès,  nous avons été 5 agents de contrôle  représentatifs de différentes tendances de la gauche : PCF,PS, LCR, Verts, MRC, qui avons élaboré, en 1997, un projet de loi pour les 35 h. Malheureusement ,  M. Aubry ne l'a pas retenu et préféré un autre, qui a largement joué le jeu de la flexibilisation. Puis, avec le PMDIT, mais  surtout le projet porté par Y. Calvez, recyclé dans le plan « Ministère  fort » de M. Sapin, c'est une nouvelle période qui s'est ouverte: une vaste entreprise de corsetage et de mise au pas de l'inspection du travail, à travers le plan national d'actions prioritaires. Cette entreprise s'est perfectionnée, notamment grâce au numérique et aux objectifs chiffrés individuels qui tendent à ne plus laisser aucune place à l’initiative des agents, et trouve maintenant de nouveaux outils potentiels avec la mise sous tutelle préfectorale de nos services.

Alain Dougy : J’ai toujours connu un ministère du travail très ambigu puisque censé être le garant des droits des salariés et étant en fait d’abord à la disposition des entreprises comme peuvent l’être les ministères de l’industrie, du commerce et de l’économie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard qu’il ait été rattaché au ministère de l’économie sous la présidence Sarkozy ce qui constituait en quelque sorte un révélateur retour aux origines d’avant 1906. Ce positionnement de fait s’est toujours manifesté par un soutien très relatif de l’inspection du travail quand ce n’était pas une opposition proclamée, à l’instar par exemple du ministre Christian Beullac condamnant publiquement «les inspecteurs du travail à lunettes roses». Sur les dossiers «chauds», à fort enjeu politique, sur des licenciements, des conflits, j’ai toujours vu le ministère pencher du côté des intérêts patronaux et ne l’ai jamais vu soutenir les collègues concernés. Parmi tous les exemples qui me viennent à l’esprit, je peux évoquer une collègue, inspectrice à Aulnay, dont la légitimité était refusée par Citroën, malmenée physiquement un jour des années 70 dans une cour déserte à l’intérieur de l’usine par des nervis de la CFT évidemment couverts par leur encadrement. Qu’aucune suite n’ait alors été donnée par la hiérarchie signifie bien sûr un désaveu de l’action de l’inspectrice. Et cet exemple, le plus spectaculaire, n’est pas un cas isolé. Les actions volontaristes et répressives de l’inspection du travail non seulement n’étaient pas soutenues mais étaient généralement désavouées. J’ai hélas toujours eu l’impression d’être un fonctionnaire appartenant à un corps greffé sur un organisme le tolérant à regret, le traitant parfois comme un ennemi, et à la merci d’une réaction de rejet. Etant trop jeune pour avoir œuvré sous Ambroise Croizat, je n’ai eu le sentiment d’appartenir à un service reconnu et soutenu que lors des ministères Auroux, Aubry et Guigou. A propos de la situation actuelle, je ne parlerai donc pas de rupture mais d’accentuation et de volonté de répression plus affirmée

Peux-tu évoquer un ou deux faits marquants de ta carrière en termes de violation de ton indépendance, d’influence extérieure indue et de soutien ou pas de ta hiérarchie ? 

Alain Dougy : Comme tous les collègues j’ai eu à connaitre des pressions indirectes passant par l’intermédiaire du directeur départemental lui-même saisi par le préfet. Le plus souvent c’était sur fond de chantage à l’emploi comme notamment lors du second choc pétrolier à propos d’une vieille fonderie de centre-ville à Nevers dans lesquelles une cinquantaine de salariés travaillaient dans des conditions de sécurité épouvantables. Sans zèle particulier et en me limitant au plus urgent, j’avais notifié plusieurs mises en demeure. Mais c’était trop pour le chef d’entreprise qui était allé déclarer au préfet, en présence de mon directeur, que l’inspecteur du travail le contraignait à fermer ... J’avais dû expliquer à mon directeur que la situation était si grave que nous risquions des ennuis en cas d’accident maintenant que j’avais fait le constat catastrophique. Entre la peur du préfet et celle du tribunal, il m’avait laissé faire. Peu de temps après, lors d’une nuit sans présence de salariés, la toiture s’était effondrée ... Ce même préfet était allé jusqu’à m’inviter à lui expliquer un refus de dérogation à l’emploi de jeunes filles de moins de 18 ans dans une usine de confection occupant 400 personnes (95% de femmes) et connue comme un haut-lieu d’exploitation avec bas salaires, cadences infernales, harcèlement, droit de cuissage et tout ce que l’on peut imaginer. Une pétition contre ma décision, évidemment à l’instigation du patron, avait été signée par la totalité du personnel ! J’aurais sans doute pu refuser de déférer en me retranchant derrière la convention 81 mais m’étant rendu à «l’invitation» j’expliquai au préfet que cette boîte était un bagne. Réponse stupéfiante, «je n’ai jamais vu des bagnards signer une lettre en faveur de leurs garde-chiourmes !». Je m’en étais sorti en disant à ce haut-fonctionnaire que j’avais entendu son avis mais que je n’étais pas tenu de le suivre … Ce n’est pas un acte d’héroïsme de ma part mais lorsqu’on a 28 ans ce n’est pas spécialement facile.

Dominique Marechau : Je n'ai pas d’exemple en tête de violation de mon indépendance en tant qu'inspecteur, même quand j'ai été en charge d’Airbus et que j'ai dressé Procès verbal à l'entreprise. Pour autant, je n'ai jamais su quel avait été le sort réservé par la justice à  mes PV. Sauf pour le plus important (fausse sous-traitance), dont j’ai su, par hasard, 6 ans après, que l’instruction avait débouché sur un non-lieu. Par contre, j'ai vu concrètement, dans mon poste de directeur d’UD DIRECCTE, comment un préfet peut chercher à instrumentaliser l'inspection du travail pour lui faire exercer des contrôles étrangers à ses missions, et comment un directeur peut s'y opposer en s’appuyant sur le statut de l’inspection  du travail et les conventions internationales. Mais encore faut-il qu'il le veuille, évidemment ! Qu'en sera-t-il maintenant, avec les DDETS, qui sont à la main des préfets  ?

La retraite c’est aussi retrouver une parole libre, à quelques dizaines de jours d’échéances politiques majeures quel chemin prendre pour rebâtir un Code du travail, des Lois du travail protectrices des droits des salarié.es ? 

Dominique Marechau : Il me paraît primordial, pour une candidature de gauche conséquente à la magistrature suprême, de chercher à sortir de cette spirale régressive qui s'est illustrée avec les 3 derniers quinquennats : un droit du travail abîmé, une inspection du travail empêchée. Il faut renouer avec le progrès social. Abroger les ordonnances Macron et la loi El Khomri, développer de nouveaux droits pour la citoyenneté dans l’entreprise, le pouvoir d'intervention des institutions représentatives, reprendre la réduction du temps de travail, combattre la précarité, donner des pouvoirs et des moyens accrus à l’inspection du travail (en commençant par doubler ses effectifs). Ces orientations, je les ai retrouvées dans le programme de l'Union Populaire, l'Avenir en commun. C'est pourquoi je collabore à l’actualisation du livret spécifique «Droit du travail » de ce programme et milite pour l’élection de celui qui le porte devant les électeurs, Jean-Luc Mélenchon. 

Alain Dougy : L’histoire nous a montré que les lois progressistes ne sont intervenues qu’après de grands mouvements populaires (1884, 1906, 1919, 1936, 1945, 1968). Je pense qu’une victoire politique ne pourrait entraîner des changements positifs que si elle était relayée par un mouvement populaire.

Question -pas si- subsidiaire : Muriel Pénicaud à l'OIT ? 

Alain Dougy : Muriel Pénicaud à l’OIT c’est le renard dans le poulailler

Dominique Marechau : Muriel Penicaud  à l'OIT, ce serait un scandale absolu. Celle qui a été le fossoyeur de l’indépendance de l'inspection du travail en France et n'a pas su défendre l’intégrité de son ministère face à la préfectoralisation ne peut pas siéger à la tête de cet organisme, sauf à lui faire perdre toute crédibilité. 

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