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Billet de blog 27 avril 2023

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Température maximale au travail : l’urgence d’une loi

A la veille de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail le 28 avril, la récente signature d’un ANI sur la transition écologique et l'adoption par le CESE d’un avis sur le même sujet sont décevants. Il faut mieux protéger les travailleurs face aux canicules en créant un dispositif d'arrêt des activités professionnelles mis en œuvre par les Inspecteurs du travail

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Illustration 1

[Le texte ci-dessous est une reprise actualisée et augmentée d'une tribune publiée sur le site de regards.fr le 3 août 2022]

Le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) vient, le 25 avril 2023, de rendre à l'unanimité un avis "Dérèglements climatiques et santé au travail". Les 17 préconisations du CESE reposent encore et toujours sur la prévention des risques. C'est bien, mais tellement insuffisant.

La proposition la plus avancée du CESE en la matière nous semble être celle consistant à lier la mise en oeuvre du Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) à l'attribution et au maintien des aides publiques. Nous verrons si le gouvernement y donne suite, mais en arriver à cette proposition est un aveu d'échec de la politique de prévention. Faut-il rappeler que l’Evaluation des Risques Professionnels en entreprise est obligatoire depuis 1992, soit plus de 30 ans et que le DUERP l'est depuis fin 2001, 22 ans !

L'autre mesure phare du CESE consiste à "limiter l'exposition des travailleurs à des températures extérieures élevées en faisant reconnaitre le risque canicule en intempérie" et donc, en toute logique, à faire inscrire les fortes chaleurs sur la liste des critères qui permettent de faire indemniser les arrêts de chantier par les caisses intempéries sans perte de salaire pour les travailleurs concernés. c'est une bonne mesure, mais dont la mise en oeuvre "après une négociation cadre entre les partenaires sociaux du BTP", nous dit l'avis du CESE, risque d'être longue ! Nous verrons si le gouvernement entend, là encore, lui donner une transcription règlementaire effective avant la prochaine vague de chaleur. 

Toutefois cette proposition connait au moins trois limites : elle ne dit pas ce qu'est une température "élevée" ; elle reste non contraignante face aux employeurs qui décideront "quoi qu'il en coûte" de poursuivre l'activité ; elle ne vise qu'une partie des travailleurs exposés au risques climatiques : ceux du secteur du BTP.

Quant au nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur la transition écologique et le dialogue social ouvert à la signature des organisations syndicales jusqu'au 24 avril 2023 il reste évidemment "non prescriptif et non normatif" (ne créant ni droits nouveaux pour les salariés, ni obligations nouvelles pour les employeurs) et se contente de rappeler les quelques dispositions légales existantes comme par exemple la possibilité pour le Comité Social et Economique (CSE) de rendre un avis un avis prenant en compte les enjeux environnementaux articulés avec ceux d’ordre économique et social (article L.2312-8 du Code du travail) ou la possibilité de recourir au Droit d'alerte en matière de santé publique et d'environnement (article L.4133-1 et suivants du Code du travail)...

Ces mesures sont insufisantes. La probabilité est grande que sur le terrain, rien ne change réelement et que les prochaines vagues caniculaires de 2023 s'accompagnent de leurs funèbres cortèges de morts au travail.

Pourtant les canicules du siècle illustrent à quel point les questions sociales et écologiques sont totalement imbriquées. Entre 2022 et 2050, 70 vagues de chaleurs sont attendues contre 37 survenues entre 1989 et 2022 (source CESE).

Les effets du changement climatique au travail imposent notamment de repenser une règlementation protectrice des droits des travailleurs afin de permettre réellement « d’adapter le travail à l’homme » comme le prévoient les principes généraux de prévention (notamment ceux de l’article L.4121-2 du Code du travail).

Mais les morts de la chaleur au travail (47 décomptés en France sur la période 2017-2022 mais dont un récent article de Médiapart https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/250423/au-travail-la-chaleur-tue-en-silence interroge "la manière de compter et la difficulté à estimer les conséquences des températures extrêmes" qui "laissent penser que ce chiffre est sous-estimé") pèsent peu lorsqu’il s’agit de limiter un tant soit peu les excès de l’accumulation capitaliste. Aucune des exhortations à agir des organisations syndicales, dont récemment celles de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) en direction de la Commission Européenne, n’auront eu, pour l’instant, d’effets - et encore moins en France.

Un vide législatif

Pourtant, en Europe (source Eurofond), 23 % des actifs sont exposés à des températures élevées durant au moins un quart de leur temps de travail et plus de 35% dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et de la construction.

Or, en France, la réglementation ne prévoit rien à l’exception de quelques dispositions du Code du travail sur le renouvellement de l’air (article R4222-1), la mise à disposition d’« eau potable et fraîche » (article R4225-2) ou l’aménagement « dans la mesure du possible » des postes de travail extérieurs (article R4225-1). Sur les chantiers du bâtiment, la mise à disposition d’un local ou d’aménagements de chantier (article R. 4534-142-1) et la fourniture d’au moins 3 litres d’eau par travailleur (article R. 4534-143) complètent ce dispositif minimaliste et malheureusement couramment absent sur le terrain.

Pourtant, les effets de la chaleur sur les risques d’accidents au travail sont connus, notamment parce qu’ils entrainent une baisse de la vigilance, une augmentation des temps de réaction, etc. Ces risques s’accroissent en fonction de la difficulté de la tâche à réaliser ou, par exemple, de la nécessité de porter des équipements de protection individuelle (masque, combinaison, etc.).

Prendre en considération le risque

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) évalue la température optimale au travail entre 16°C et 24°C en fonction de la nature des tâches réalisées. C’est bien pour ces raisons que l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS) estime que, « au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et de 28°C pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. »

Evidemment, avant même d’atteindre ces températures, il appartient à l’employeur de prendre des mesures limitant l’exposition à la chaleur des travailleurs et avant tout des mesures collectives et organisationnelles (limitation du travail physique, salle de repos climatisée et/ou ventilée, augmentation de la fréquence des pauses etc.).

Vers un arrêt des activités professionnelles en cas de fortes chaleurs

Mais il est nécessaire de compléter ces dispositions basées sur le volontarisme par une loi créant, pour ne prendre qu’une proposition, un dispositif d’arrêt immédiat de l’activité auquel il serait possible de recourir dans toutes les situations de travail -en entreprise ou sur un chantier- où l’employeur n’agirait pas, ou insuffisamment, pour protéger les travailleurs face à des températures dépassant les 28° C.

Cette extension du champ de l’arrêt d’activité - qui existe déjà notamment en cas de risque de chute de hauteur dans le secteur du BTP ou en cas d’équipement de travail non-conforme - entrainerait le retrait, sans perte de salaire, des travailleurs de leur poste de travail dans l’attente de la mise en œuvre de mesures correctives efficaces par l’employeur ou d’une redescente des températures afin de supprimer ou de réduire l’exposition au risque.

Cet arrêt d’activité (qui devrait aussi s’appliquer par cohérence aux situations de grand froid) relèverait d’une décision administrative dont les Inspectrices et Inspecteurs du travail auraient la compétence exclusive.

Il serait évidemment nécessaire pour que cette prérogative soit effectivement mise en oeuvre que les effectifs de l'Inspection du travail soient largement revus à la hausse alors qu'il ne reste acutellement qu'environ 1750 Inspectrices et Inspecteurs affectés au contrôle pour près de 2 millions d'entreprises et plus de 20 millions de salariés, leurs effectifs ayant diminués de 20% en 10 ans !

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