Lumière trop agressive et chaleur accablante dès l’entrebâillement de ma porte d’entrée me soulignent d’une manière un peu trop appuyée que la journée a commencé depuis longtemps pour le monde civilisé. Je courre de manière erratique vers l’arrêt de bus… non le taxi… non l’arrêt de bus. Indécision. Je suis en retard.
Je finis par empoigner la portière d’une vieille Lincoln beige, révise mentalement ce qui se trouve dans mon sac – est-ce que j’ai pris les documents dont j’ai besoin aujourd’hui ?– tout en criant l’adresse de mon bureau à un chauffeur encore invisible et m’affale finalement sur la banquette en cuir tanné.
Fermeture des portières sur le trafic. Le calme se fait. L’air conditionné attenue mon humeur de chien comme un sac de glaçons annihile la douleur d’un choc. Une odeur de havane gagne mes narines. Une conduite souple, presque langoureuse, me berce. Il ne dit rien, mais ses yeux en disent long dans le rétroviseur. Des yeux plissés, des yeux moqueurs. Des yeux sincères, des yeux joueurs.
Dans le temps infini qui a suivi – 10 minutes dans notre espace-temps mais certainement plus dans le sien - j’ai appris d’où il venait, le nom de ses enfants, son bonheur d’être taxi indépendant, son ascendance grecque, l’âge de son premier flirt et la marque de ses cigares. J’ai du deviner son âge et sa ville d’origine. On a ri de son accent sudiste et de son nom de plante aromatique.
C’est peut-être la première fois que j’ai quitté l’habitacle enfumé d’un taxi à contrecœur. La première fois que j’y trouvais tant de bonheur.