Le 10 décembre 2023, un convoi du Comité International de la Croix Rouge (CICR) a été attaqué près de Khartoum, faisant deux morts et sept blessés. Cette attaque est la dernière d’une longue liste d’attaques contre des organisations humanitaires. Mais, le CICR est aussi la cible d’un autre type d’attaque : la désinformation.
La désinformation est un ensemble d’information fausse ou inexacte délibérément diffusé dans le but de tromper ou manipuler l’opinion publique, semer la division ou pour servir un intérêt particulier. Le film Avant que les flammes ne s’éteignent de Mehdi Fikir en est un exemple en France, lui qui a reçu de la part de groupes extrémistes des avis négatifs sur Allo Ciné avant sa sortie en salle.
La désinformation se propage via divers canaux, tels les réseaux sociaux, les médias et les sites gouvernementaux, soit par des individus soit par des bots (programmes automatisés). Les usagers de réseaux sociaux postant des commentaires ou des postes de désinformation ne sont pas nécessairement idéologiquement radicales, et il ne faut pas sous-estimer la valeur émotionnelle d’un post. Il y aussi les trolls, qui publient ou partagent délibérément du contenu incendiaire ou offensant afin de provoquer une réaction de colère ou d'émotion, et ceux qui ne postent que pour des likes.
Les victimes de désinformation sont des gouvernements et leurs institutions, des associations, des mouvements ou des personnes qui sont perçus comme poussant un agenda contraire à la société qu’ils envisageaient.
Le cas du CICR à Gaza
Depuis le 7 octobre, le CICR est ciblé sur les réseaux sociaux, notamment X (Twitter) pour son soi-disant manque d’action auprès des otages Israéliens. Les comptes X pro-Israéliens qui critiquent le CICR sont souvent des comptes partisans qui diffusent de la désinformation et il est difficile de savoir à qu’ils appartiennent.
Chaque poste du compte officiel du CICR, qu’il soit sur le conflit HAMAS-Israël ou non, est commenté par des comptes supportant Israël accusant le CICR de collaborateur du HAMAS et inactif envers les otages Israéliens. Le commentaire le plus récurrent est « avaient vous visiter les otages ? ». Lors de la libération d’une part des otages, les commentaires envers le CICR comparaient le rôle de l’organisation à rien de plus qu’Uber. Suite à l’attaque du 10 décembre, les commentaires négatifs ont continué, certains félicitant l’attaque et d’autres blaguant sur le fait que « l’Uber CICR sera en retard ».
Le cas de Gaza n’est pas le seul. Après l’invasion Russe en Ukraine, beaucoup de comptes supportant l’Ukraine ont aussi négativement commenté les postes du CICR. Une part se sont focalisés sur le soi-disant manque d’action en Ukraine et demandant au CICR « pourquoi n'ouvrez-vous pas des couloirs humanitaires pour les civils ukrainiens ? Vous êtes complices de la Russie ! » Lorsque le CICR a ouvert un bureau en Russie, les comptes supportant l’Ukraine se sont enragés et ont accuser le CICR d’être collaborateur avec la Russie. Dans d’autres cas, les commentaires ont critiqué le CICR pour ne pas avoir arrêter la guerre.
Horrible mais licite
Dans les deux cas, le CICR a tenté de raisonner logiquement avec ses commentaires. Plusieurs postes ont été publiés pour démontrer les activités de soutien aux victimes. La directrice du CICR, Marijana Spoljaric a écrit une tribune dans le New York Times pour expliquer le rôle important de la neutralité du CICR, l’ouverture du bureau en Russie et les difficultés à ouvrir des couloirs humanitaires. Malheureusement, les participants à la désinformation ne lisent pas le New York Times et la désinformation a continué, surtout les postes critiquant la neutralité du CICR.
Les 11 et 12 décembre, le CICR a fait deux vidéos postées sur X tentant de démontrer que la désinformation envers l’organisation nuit à ses opérations en mettant ses collaborateurs sur le terrain en danger. Les commentaires ne sont pas convaincus car les postes négatifs continuent, soit en demander si le CICR a visité les otages, soit en demandant le numéro du CICR en Israel pour appel un Uber.
Tous ces commentaires rentrent dans la sphère de l’horrible mais licite. Il est donc impossible de supprimer ses commentaires car ils ne violent pas les règles d’utilisation des réseaux sociaux. Pire encore, les auteurs de commentaires reportés se défendent prétendent faire de l’humour, ce qui rend la tâche bien plus complexe.
Le problème fondamental est I’impossibilité de combattre la désinformation avec les faits. En vue au volume massif des commentaires, il est impossible pour les équipes de communications des réseaux sociaux de vérifier tous les commentaires. Bien que l’intelligence artificielle fasse des progrès, l’identification de poste illicite reste complexe. Par exemple, les AI ne peuvent pas identifier les emojis, souvent utilisés par des groupes extrémistes pour contourner les vérifications automatiques de contenus. De plus, entre le temps qu’un poste illicite soit posté puis supprimé, des centaines, voire des milliers d’utilisateurs ont lu le poste et le dommage est fait.
Puisque parmi tous ces commentaires il existe un manque de compréhension du CICR, l’organisation doit continuer à éduquer sur son rôle dans les conflits. De manière plus large, outre la responsabilité des grands réseaux sociaux Américains, il est nécessaire de mener plus de campagnes d’éducation aux médias et au numérique. La société elle-même, que ce soit les parents, les éducateurs et bien d’autres, doivent apprendre et enseigner à reconnaître ce qu’est la désinformation, dans toutes ses formes variées, et à identifier ses sources. La désinformation ne peut ni être résolue du jour au lendemain, ni résolue par une seule solution.
Antoine Baudon
Antoine Baudon est le Directeur adjoint du International Centre for Counter-Terrorism (ICCT) basé à La Haye. Titulaire d’un doctorat et l’auteur de l’ouvrage Les enjeux du désengagement des jihadistes (L’Harmattan).