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Billet de blog 19 avril 2022

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S’abstenir pour le climat ?

Macron ou Le Pen, pareils sur le climat ? Réponse, non bien sûr. Donner sa « demi-voix » à Le Pen via l’abstention ou le vote blanc ? Difficile à défendre, d’autant plus au nom de la radicalité de la lutte contre les changements climatique.

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C’est entendu, les ONG ont été très critiques à raison, contre Macron et son attitude désinvolte vis-à-vis du climat, contre ses doubles discours ou de sa soumission éhontée aux lobbys pour limiter toute mesure sérieuse issue de la Convention Climat (exemples de la taxation des SUV, des vols intérieurs, des engrais, de la rénovation des logements…). Le quinquennat a été de ce point de vue similaire à ceux de Sarkozy puis de Hollande, alors que la situation du climat se dégrade. Circonstance aggravante, la présence accrue des lobbys symbolisée par la responsabilité des transports confiée… à un pilote de jets privés.

Mais de là à prôner l’abstention ou le vote nul, c’est aller un peu vite, tant une victoire de Marine Le Pen[1] représenterait le contraire de ce pour quoi nous nous battons, et à très grande échelle. Ici on parle d’une sortie de facto de l’Accord de Paris, des politiques européennes de développement technique, d’une grande partie de la coopération. Même si MLP n’obtenait pas ensuite de majorité parlementaire cohérente (ce qui n’a rien d’évident), le chaos délétère, jeté dans la machine bruxelloise de l’UE serait en particulier très supérieur à celui du Brexit.

 2°C mieux que 2,5°C, mieux que 3°C…

Pour ceux qui désespèrent, « écoutons la science » comme nous enjoint Greta Thunberg. Le rapport spécial 1,5°C du GIEC avait un message central : chaque dixième de degré compte. Chaque fois qu’un cran est franchi, c’est une terre moins confortable voire moins habitable pour les humains et pour la nature, c’est un chaos géopolitique accentué, d’abord pour nous mais aussi et surtout pour ceux qui vivront d’ici la fin du siècle. Le compromis de l’Accord de Paris vise à rester le plus possible sous les 2°C, avec un objectif de ne pas dépasser 1,5°C. De plus en plus, et notamment à l’occasion du nouveau rapport 6 du GIEC, nous réalisons l’impératif de rester le plus bas possible de cette fourchette, de peur de déborder les capacités de résilience de la nature et des sociétés humaines.

 Le chemin vers les 4°C

L’idée de « démontage des éoliennes » portée peu ou prou par l’équipe de Le Pen, n’est pas qu’anecdotique. Ce type de régression (dans l’investissement, dans la réglementation, dans les politiques fiscales) est précisément ce qui nous amènerait vers les +4°C et une catastrophe climatique générale. Cette politique interviendrait activement contre la transition -notamment dans le domaine de l’énergie- alors même que le monde a entamé le virage nécessaire sur une partie des dossiers climatiques.

En effet, il faut insister ici, la négociation climatique internationale -avec plein de défauts et de trous- sur ce plan essentiel fonctionne plutôt bien mieux que le protocole de Kyoto. L’Accord de Paris a précisément une structure qui lui permet de « cranter » les engagements des pays et de se resserrer au fil du temps. Ce mécanisme est bien décrit par le nouveau rapport 6 du GIEC [chapitre 14 sur les coopérations]. C’est ce qui s’est passé depuis un an avec le processus de la COP26, avec une somme d’engagements abaissée de près de 1°C, désormais vers les 2°C… si les gouvernements font leur travail. La situation est nettement plus saine par rapport à la situation précédente qui nous amenait aux environs de 3°C. Un autre article scientifique vient aussi de reconnaître que les 2°C ne sont pas hors de portée[2] de l’Humanité, celui de l’équipe[3] de Malte Meinshausen.

 Cela se passe en Europe

Autre point essentiel pour le climat, les politiques sont ici particulièrement dépendantes de l’Union Européenne, à qui les états-membres ont délégué l’essentiel de la négociation et une grande partie des attributions sur les politiques climatiques. Ici aussi, on peut rouspéter sur tel ou tel aspect de l’UE, mais il faut voir les choses en face : c’est l’Europe qui nous a entraîné plus que l’inverse : énergies renouvelables, politiques d’efficacité, programmes de recherche, coopérations avec les autres continents.

Donc, nos politiques se dégraderaient d’autant plus qu’on affaiblit le pilier européen ;   mais, au-delà, on doit aussi rappeler que la majorité des réductions d’émissions, ainsi que les actions d’adaptation face aux conséquences des changements climatiques se passent ailleurs qu’en France[4]. Coaliser les pays les plus volontaires, créer des politiques climatiques de voisinage avec les pays émergents voisins de l’Europe, étendre l’influence des normes et des choix d’efficacité plus avancés dans l’UE qu’à l’extérieur, tout cela serait bloqué en cas d’élection de Marine Le Pen.

Il faudra analyser les arguments et les propositions récentes de Macron sur le climat. Certaines sont nulles et ridicules (une journée annuelle de fête de l’environnement !) mais d’autres nous ouvrent des leviers d’action, même sans trop croire à la sincérité du président. Ainsi, l’apparition de la « transition dans les territoires » en tant que ministère, associée à une mission centrale du Premier Ministre de sortie des hydrocarbures[5], constitue un possible point de départ pour un prochain bras de fer des mouvements climats et de leurs alliés (syndicats, villes, associations…)[6].

Comme observateurs des politiques climatiques et aussi comme participants au processus du GIEC, nous ne pouvons donc pas rester indifférents au vote de dimanche prochain. Pas d’abstention au nom du climat !

Antoine Bonduelle, relecteur GIEC et membre du bureau du RAC

[1] Les probabilités estimées par deux fois avant et après le premier tour par The Economist et son think tank Intelligence Unit sont de 20% de chances pour Marine Le Pen d’être élue, en partant de la compilation des sondages, soit un risque similaire aux exemples de l’élection de Donald Trump ou du Brexit.

[2] https://reporterre.net/Le-rechauffement-climatique-peut-etre-limite-a-2-oC-si-les-Etats-tiennent-leurs?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

[3] Meinshausen, M., Lewis, J., McGlade, C. et al. Realization of Paris Agreement pledges may limit warming just below 2 °C. Nature 604, 304–309 (2022). https://www.nature.com/articles/s41586-022-04553-z. Malte Meinshausen avait fait partie de l’équipe de ETH Zürich qui avait élaboré la notion très influente de Budget Carbone Mondial, adopté lors du rapport 5 du GIEC.

[4] «La part juste de La France dans la réduction d’émissions des gaz à effet de serre, Réseau Action Climat https://reseauactionclimat.org/la-france-devrait-reduire-ses-emissions-de-168-dici-2030-selon-le-principe-dequite/

[5] La sortie des hydrocarbures comme objectif de la France, en les citant nommément (gaz, pétrole, charbon) n’est pas anodine. Elle est centrale dans les derniers rapports du GIEC, et a souvent été interprétée comme une politique d’augmentation des énergies renouvelables ou du nucléaire sans expliciter qu’il s’agit d’éradiquer les hydrocarbures. Cette déclaration en dernière minute de Macron n’est donc pas ridicule. Elle est bienvenue -à condition de créer par ailleurs un rapport de forces- pour l’élaboration en cours des plans climats et des dispositifs légaux sur l’énergie.

[6] En première approche et de façon provisoire, l’analyse du discours de Marseille de Emmanuel Macron suggère les points suivants :

  1. Gadget sans intérêt et daté (le Jour de la Terre c'est 1971) : fête de l'environnement
  2. Petits trucs: proposition pour l’enseignement du développement durable systématique dans le supérieur; intégration des associations dans le haut conseil du climat
  3. Plus sérieux mais déjà promis: rénovation de 700k logements ; leasing à 100€ pour une auto électrique (positif en complément des Zones de Faibles Emissions pour accélérer la sortie du diésel) mais sans précision sur la progressivité ou les seuils de revenus
  4. Deux déclarations "plus importantes", intéressantes mais visiblement improvisées...

- i. Relance de la décarbonation "deux fois plus vite" et être la première grande nation à sortir du pétrole, du charbon et du gaz. C'est pas mal comme point de départ pour le cycle PPE/plan climat qui démarre, parce qu'il manquait une impulsion politique (de même que le paquet législatif européen dit "fit for 55" a besoin de soutien politique).

- ii. Structure du gouvernement proposée par Macron (?) c'est sans doute le truc le plus gros, impossible à analyser en si peu de temps, mais important pour les leviers d’action des mouvements climat

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