Depuis combien de temps avons-nous cessé de penser : « Nous pouvons mieux faire. » ? Depuis combien de temps avons-nous cessé d’affirmer : « Devenons meilleurs ! Soyons plus grands ! Changeons le monde ! » ? Depuis combien de temps avons-nous simplement cessé de dire : « Nous » ?
Il est temps de rallumer nos vieux rêves de sociétés utopiques, il est temps de chercher à les faire advenir, il est temps de sortir de la mêlasse de la Vème République.
C’est le premier pas. Celui qui ouvre les perspectives. Ce régime est à l’agonie : métastasé par la verticalité du pouvoir qu’il agence, gangréné par une corruption et des conflits d’intérêts qui sapent toute crédibilité à la parole publique, et, pire encore, nécrosé par le désengagement politique qu’il engendre ; il fait des électeur.rice.s d’un jour les spectateur.rice.s de décisions abstraites et arbitraires le reste du temps. Car tout système politique est également une structure mentale. Et celui de la Vème République est celle du grand manitou qui a raison sur tout ; entretenant le mythe enfantin de l’homme providentiel et organisant l’irresponsabilité citoyenne. Il y a dans ce pays trop de volontés et d’ambitions individuelles alors que nous en manquons cruellement collectivement. Quand choisissons-nous réellement ? Une fois tous les cinq ans. Le reste des élections, c’est les boules de Noël sur le sapin, seule la présidentielle permet de changer d’arbre. Et encore, choisir n’est toujours pas décider. Depuis quand n’y-a-t-il pas eu de Référendum ? 2005. 17 ans. Une paille. Lorsque le pays à dit « Non » à la Constitution Européenne avant que l’on nous la refourgue deux ans plus tard dans le Traité de Lisbonne. Triste trahison du « Nous » citoyen par le « Je » présidentiel. Union Européenne que l’on nous brandit à chaque occasion lors de réformes économiques : libéralisation des services publics, réforme du marché du travail, des retraites...
Dans ce cadre, comment s’intéresser à notre vie démocratique puisque nous y sommes impuissants?Relégués au rôle de simples figurants sur fond de commissions expertes décidant de grands ou petits plans. Nos quotidiens sont devenus des nanards dont il est de plus en plus difficile de rire. À regarder de plus près l’acte de naissance de la Vème République, cet état des choses n’a rien du hasard. Née en pleine guerre d’Algérie dans un pays au bord de la guerre civile, fondée par un homme issu de l’armée - qui n’est pas le corps le plus démocratique qui soit - elle est devenue ce pourquoi elle a été bâtie : un régime vertical et opaque de gestion des urgences. Laissant les citoyen.ne.s au stade d’électeur.rice.s adolescent.e.s, la Vème République est à présent une identité vide fourre-tout que l’on remplie de valeurs confuses pour éviter d’argumenter ces choix ; au point que l’on puisse, par exemple, parler de « tenues républicaines » pour des gamin.e.s se rendant à l’école. Ce régime, c’est la bouillabaisse de Mamie : ça fait 70 ans qu’il mijote et plus personne ne sait avec précision ce qu’il y a dedans. Rien d’étonnant puisque De Gaulle était seul en cuisine au moment de sa préparation. Au moins avait-il le respect de sa recette puisqu’il quitta les fourneaux suite à un Référendum perdu. Autre temps, autre mœurs. Il a fait ses choix, il est temps de faire les nôtres.
Car le temps des urgences est là et cette apoplexie démocratique nous conduit aux désastres. Les services publics pourrissent sur pieds atrophiés par l’hypoxie budgétaire qui leurs est imposé. Dans tous ces services, et dans bien d’autres secteurs, l’augmentation de l’investissement et la revalorisation des salaires sont demandées. Rien ne vient. Pourquoi ? La réponse se trouve dans l’économie, science occulte moderne, régie par quelques Saroumanes en costumes décrétant que l’argent magique n’existe pas avant de le faire apparaître par milliards à chaque crise. Faut-il rappeler que l’argent se constitue de papiers, de chiffres entrés dans des ordinateurs et qu’il est pure création humaine ? C’est sa nature même d’être une fiction partagée et les fictions sont modulables à l’infini. Seul l’imaginaire les limite. Le climat, lui, n’est pas un luxe de l’esprit. S’il fait chaud, je transpire ; s’il fait froid, je grelotte. Nous sommes aujourd’hui embourbés dans une fable d’un progrès sans direction, d’une modernité sans définition, d’une croissance sans fin ; fable qui noie nos conditions de vies terrestres sous le CO2. Nous sommes des croyants qui s’ignorent provoquant leur propre apocalypse. Allons-nous modifier nos récits ou nier le réel ? Il est temps de reprendre le contrôle de notre histoire commune et, plus urgent encore, de la redéfinir. Et à la question « Où voulons-nous aller ? », il faut répondre par une interrogation qui la subordonne « Comment voulons-nous y aller ? ». Réponse radicale : Ensemble.
Toute radicalité porte en elle une métamorphose. Il faut dissoudre l’individualisme de la Vème République pour le refondre dans une espérance collective. Le pays se désagrège, les gens ne sont plus d’accord sur rien ; c’est le moment idéal pour engager le processus. S’il faut retenir une chose du capitalisme, c’est que c’est dans les crises que se trouvent les opportunités. Le geste n’est pas suicidaire. Combien de citoyen.ne.s s’investissent dans des associations de toutes sortes ? 13 millions. Combien de semaines a-t-il fallu aux Gilets Jaunes avant de transformer la question du prix de l’essence en celle de la constitution ? 3 semaines. De combien de temps a eu besoin la Convention citoyenne pour le climat pour rédiger les 149 propositions les plus ambitieuses et construites sur l’environnement de notre pays ? À peine un an. Avant de voir à nouveau ce « Nous » citoyens balayé par le «Je » du pouvoir. Mais cet exemple a fait la démonstration que des sujets éminemment techniques et complexes peuvent être portés conjointement par des expert.e.s et des citoyen.ne.s de tous les jours. Sans compter les mouvements de fond qui traversent le pays : féminisme et violences policières en tête. Il ne faut rien céder à l’exigence de ce « Nous » : nucléaire, agriculture, transport, Europe... La réponse doit toujours être « NOUS ».
Bien sûr, se pose la question de ce « Nous ». Qui est-il ? Comment le construire ? On peut déjà dire que ce « Nous » à ces adversaires. Ce sont tous les gagnants du « Je » ; ceux qui s’appuient, pressent, écrasent le « Nous » pour le disloquer et en tirer parti. Ils ne sont pas nombreux mais ils sont puissants, soudés et rodés à la lutte lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts. Sur la façon de faire naître le « Nous », convoquer une Assemblé Constituante semble être le meilleur moyen d’accoucher d’un collectif uni portant un horizon commun. La France Insoumise propose cette démarche, ce qui constitue un argument de poids pour tous ceux et celles ayant intégré.e.s l’urgence d’une transformation. Mais, même en cas d’élection de Jean-Luc Mélenchon, rien ne se fera sans un élan populaire. Aucun mouvement d’ampleur n’a jamais eu lieu sans la force motrice du nombre. Et sans sa vigilance aussi. Surtout, dire oui à un programme ne signifie pas qu’il ne soit pas négociable; en particulier lorsque ce programme promet une nouvelle organisation du pouvoir. On pourrait, par exemple, remettre en question la décision de stopper le nucléaire. Pourquoi la politique énergétique des trente prochaines années se ferait-elle sans consultation citoyenne ?
Concernant le nouveau système politique, il reste entièrement à dessiner. C’est ça, ouvrir des perspectives. Mais on peut d’ores et déjà tirer une leçon de nos précédentes républiques : le suffrage universel n’est pas une condition suffisante pour être pleinement citoyen.ne. Malgré celui-ci, le pouvoir descend toujours du haut vers le bas et non, comme il le devrait, du bas vers le haut. Changer d’Etat, c’est aussi changer d’état d’esprit, de rapport à nous-mêmes dans la manière d’aborder les défis qui nous attendent. Soyons exigeants avec nous-mêmes. Qu’on ne s’y trompe pas, repenser du commun n’est pas une théorie, c’est une nécessité. C’est le seul moyen de créer à nouveau du consensus ; sans cela, chacun perdra. Personne n’est à l’abri de la déroute qui nous guette. L’écologie, par essence, est une pensée collective : qualité de l’air, utilisation des terres, gestion de l’eau, préservation de la biodiversité... Elle impose la discussion. Sans décision collective, il n’y aura pas de consentement ; sans consentement, pas de cohésion ; sans cohésion, ce sera le chaos. Rien ne pourra se faire sans « Nous ».
Alors c’est vrai, on peut toujours avoir peur de se perdre une fois la métamorphose engagée, être effrayé face à un changement qui nous paraît trop vaste, trop imposant, trop incertain. Personne ne niera que toute transformation a ses dangers et convoque un futur en pointillé. Le risque de la chute existe mais la stabilité de la Vème République est un leurre. C’est une autoroute menant au crépuscule ; là où le « Nous » est en sentier sinueux, pavé de milles bifurcations, débouchant sur un aurore pluriel. Que penser d’un peuple qui préfère le confort d’une chute certaine à l’angoisse d’une tentative de changement ? Nous sommes notre propre limite car nous désespérons de nous-mêmes. Pourquoi craindre d’avantage nos erreurs collectives que les errances d’un pouvoir individuel ? Sommes-nous si petits que nous pensons l’être ? Si nous ne croyons pas en nous, qui le fera ? Nous avons simplement perdu l’habitude de nous faire confiance ou, plus exactement, on ne nous a pas appris à le faire. La Vème République a enfanté d’une idée rabougrie de nous-mêmes au lieu de faire naître une collectivité citoyenne confiante en sa capacité à décider. Nous sommes la génération la plus éduquée de l’Histoire même si, là encore, on ne cesse de nous projeter l’image inverse. Il n’y a rien qui soit hors de notre portée. Et même si nous ne l’étions pas, une génération abandonnant l’idée d’améliorer - ne serait-ce qu’un peu - l’ordre du monde, n’est vraiment bonne à rien. Il vaut mieux périr dans la tentative que mourir dans l’inertie. Au moins la tentative préserve-t-elle l’espoir. Nous avons besoin d’un « Nous » proportionné à l’époque. Alors grandissons. Devenons meilleurs. Changeons le monde.