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Professeur des universités, ancien chargé d’enseignement à l’Université française du Pacifique et à l’Université de la Nouvelle-Calédonie

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Billet de blog 16 septembre 2024

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Kanaky-Nouvelle-Calédonie : l’État rétablit la responsabilité pénale collective pour intimider les Kanak

Ces méthodes d’un autre temps sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française. Voilà maintenant qu’elles ont été rétablies sans texte en Nouvelle-Calédonie : la population de Saint-Louis est parquée et bouclée dans sa réserve comme avant 1946. C’est là le premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage.

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Vingt-neuf escadrons de gendarmerie quadrillent la Grande Terre (quatre avant les événements), environ 6000 hommes en armes avec des blindés Centaure. Un potentiel énorme (la France ne compte que 119 escadrons pour tout le territoire national). On dénombre déjà onze morts, près de 3000 Kanak interpellés.

Sept prévenus ont été incarcérés en Métropole et répartis entre les prisons de Dijon, Mulhouse, Bourges, Blois, Nevers, Villefranche et Riom, afin de les éloigner de leurs avocats et de les isoler au mépris des droits de la défense. Parmi eux Christian Tein, le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) en Nouvelle-Calédonie, traitée d’« organisation criminelle » par Yves Dupas, procureur de la République. Le groupe compte aussi une jeune mère de famille : Brenda Wanabo, responsable de la communication de la CCAT. Comme Christian Tein elle a maintenue menottée pendant les trente heures de vol avant d’être incarcérée à la maison d’arrêt pour femme de Dijon.

Et visiblement cela ne suffit pas. Ainsi, malgré ce déploiement de force, quelques dizaines d’hommes en armes tiennent toujours la route de Nouméa au Mont-Dore. Celle-ci traverse le territoire coutumier de la tribu de Saint-Louis, bloquant 15.000 résidents d’une commune à majorité blanche.

La population kanak de la Nouvelle Calédonie est regroupée, depuis la colonisation en 1853 dans des districts lesquels sont composés de tribus qui disposent de la personnalité morale depuis 1867. La tribu de Saint-Louis (environ 1500 âmes) est connue pour être l’une des plus remuante. Pour contourner le blocus, la province Sud (loyaliste) a mis en place un coûteux système de navette maritime : moyennant 5 M. de FCP par jour, 300 rotations quotidiennes transportent près de 4000 personnes chaque jour entre le Mont-Dore et Nouméa. Mais surtout l’Etat a décidé du bouclage intégral de la tribu de Saint-Louis.

Depuis le 20 juillet 2024, la population kanak est empêchée  d’entrer et de sortir de la tribu sans autorisation car les forces de gendarmerie bloquent jour et nuit ses accès. La circulation automobile est interdite. Pas de navette bien-sur. Les habitants de la tribu ne peuvent y entrer et sortir qu’à pied. En voulant se rendre dans un centre de soins situé à plus de 15 km  de la tribu,  une jeune mère s’est fait arrêter au barrage de gendarmerie du thabor. Et pour être autorisée à le franchir les gendarmes lui ont demandé de présenter le cordon ombilical de son nouveau né comme preuve de son accouchement récent. 

Il ne s’agit pas d’une mesure préventive destinée à dégager la route territoriale, mais de punir collectivement les habitants de Saint-Louis parce qu’ils constituent une tribu « coupable » d’abriter en son sein des jeunes qui ont opté pour l’action armée sans relever d’aucune structure identifiée.

Il n’est pas question une seule seconde de légitimer celle-ci. La violence révolutionnaire n’est pas admissible. Mais il faut hélas observer qu’en riposte, le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, et l’Etat ont fait le choix, lui-même inexcusable, de rétablir outre-mer le principe de la responsabilité pénale collective abolie en France en 1789.

C’est ce qu’on a vu après qu’à la fin du mois d’août quand - chose injustifiable naturellement - deux élues loyalistes ont été molestées à l’Ile des Pins (commune ayant voté à près de 70% en faveur de l’indépendance en 2020): les services de la province Sud ont répliqués en bloquant l’île quatre jours à titre de rétorsion: ni dispensaire, ni avion, ni service de l’emploi du jeudi 5 septembre au lundi 9 septembre. Les habitants du district coutumier de Kwényï (nom autochtone de l'île des Pins) ont été punis collectivement.

Un juriste républicain ne peut pas admettre ce retour à l’Ancien Régime. Dans son ouvrage Institutions au droit criminel (1757), Muyart de Vouglans, 1757) avait justifié la répression pénale collective en ces termes : « La communauté est un corps…Si le crime a pu naître (en son sein), c'est que celle-ci n'a pas pris les mesures pour l'empêcher, et ainsi elle doit en répondre devant la justice ».

Ces méthodes d’un autre temps sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française. Voilà maintenant qu’elles ont été rétablies sans texte en Nouvelle-Calédonie : la population de Saint-Louis est parquée et bouclée dans sa réserve comme avant 1946. C’est là le premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage.

Antoine Leca
Professeur des universités, ancien chargé d’enseignement à l’Université française du Pacifique et à l’Université de la Nouvelle-Calédonie

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