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Billet de blog 21 janvier 2019

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Versailles, "Bon appétit messieurs!"

Tout débat engagé sans que les populations soient rétablies dans leur souveraineté face à des acteurs du monde économique qui échappent à tout contrôle, est nul et non avenu.

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M. Macron

 Supposons que votre démarche soit sincère.

 C’est à dire acceptons, ou choisissons d’ignorer, que l’espace du débat que vous nous proposez est circonscrit au cap général des politiques que vous appliquez depuis 18 mois et que par exemple il faille renoncer au rétablissement de l’ISF, entre autres.

 Acceptons de ne pas voir dans votre insistance sur « l’effort » ou « le fruit du travail » ou dans le surgissement des questions de l’immigration, de l’intégration ou de la laïcité, l’intention implicite d’opposer entre eux les plus modestes d’entre nous sur des arguments « d’assistanat » ou « d’identité ».

 Ignorons également la première règle évoquée par votre gouvernement en 2019 qui concerne le contrôle, la répression, des chômeurs. À savoir que le refus de deux offres « raisonnables » d’emploi entrainera des sanctions ; et que la définition de l’ « offre raisonnable » ne tiendra pas compte du salaire précédent. Évitons donc de conclure qu’une personne perdant son emploi devra s’attendre nécessairement à voir son salaire baisser lors du retour à l’emploi (belle conception de la mobilité !) et que l’objectif réel de cette mesure est bien la modération salariale et la précarisation de tous.

 Supposons enfin que la désignation de membres du gouvernement pour l’organisation du débat que vous proposez n’affecte pas sa transparence et l’honnêteté de ses conclusions.

Bref soyons positifs, imaginons que vous ne soyez pas si loin dans le cynisme, et examinons ce que vous nous proposez, ici sur les questions fiscales.

 Vous posez votre équation préférée, impôts, dépenses publiques, dette publique.

 À propos des impôts, vous indiquez que vous n’envisagez pas d’en prélever plus auprès de ceux qui ont la mission de tirer la cordée vers le haut parce que vous croyez au ruissellement. Bien qu’on ait pu constater depuis longtemps que la coupe de champagne du haut, selon l’image consacrée, est en réalité un préservatif qui gonfle, qui gonfle, et cycliquement explose, comme en 2008.

Quand aux impôts des autres, auprès de qui vous savez les prélever, notre mouvement des gilets jaunes montre que les marges de manœuvres pour les modifier sont faibles.

À propos de la dette, vous semblez dire que « la dette c’est la dette », alors qu’il pourrait être tout à fait légitime de répondre « et pourquoi donc ? » et d’où provient-elle ? N’est-ce pas une dette en grande partie héritée de cette crise bancaire de 2008 ? Ne serait-on pas en droit d’exiger qu’on en annule une partie ?

Enfin, si on suit un peu votre proposition, vous semblez très demandeur d’idées pour réduire les dépenses publiques.

Soit, si je comprends bien, vous attendez du débat qu’il légitime les politiques que vous avez engagées alors qu’il s’organise pour résoudre une crise déclenchée sur l’argument qu’elles sont fortement rejetées ?

Mais restons positifs.

J’ai pris soin, en parlant des impôts, de préciser que le périmètre des impôts dont nous parlions est celui des impôts que vous pouvez ou voulez prélever.

Mais quid des impôts que vous semblez incapable de prélever ? De l’optimisation, de l’évasion fiscale ? De l’argent des paradis fiscaux ? Des impôts des multinationales ?

Comment même engager un débat sur la fiscalité quand les plus gros contributeurs potentiels se sont extraits du champ de la fiscalité commune, avec la complicité que l’on rechigne à comprendre de nos responsables politiques qui par là, amoindrissent leur capacité à gouverner ?

Pourtant je vois, je fais semblant de voir, dans les multiples occurrences du mot Europe dans votre lettre, la possibilité que vous puissiez entendre ceci :

  • Reprenons à notre compte la proposition de Thomas Picketty pour la démocratie et la justice fiscale en Europe. À savoir la création d’une assemblée européenne souveraine dédiée au vote d’un budget européen à vocation sociale et écologique, un budget qui serait abondé par la définition de 4 impôts : l’impôt sur les grandes entreprises, l’impôt sur les gros patrimoines, l’impôt sur les hauts revenus et la taxe carbone. Cette proposition a le mérite de désigner l’Europe comme l’échelon pertinent quand à la possibilité d’agir sur des politiques fiscales justes, sur la législation visant les paradis fiscaux et sur le traitement des dettes publiques.

Une fois cette réforme réalisée et par ce qu’elle rétablira de justice élémentaire et dégagera de recettes, nous aurons en main les éléments objectifs pour penser toutes les questions que vous nous posez quand au modèle de société que nous voulons. De quels services publiques, de quelles protections sociales avons-nous besoin ? Comment chacun y contribue ?

Une société qui j’en suis sûr, sera bien loin du monde que vous nous proposez.

Dans une Europe où les états qui le voudront pourront « s’harmoniser » au lieu d’être sempiternellement obligés de « s’aligner ».

Une société où l’impunité des acteurs économiques dominants sera effectivement combattue par des actes, où le « tout profit » cessera d’être la règle structurante et où il sera possible de contraindre à des comportements écologiquement et socialement vertueux.

Une société aussi, je le souhaite, où l’immense travail gratuit, hors emploi productif, ou sous payé dans des services publics asphyxiés, le travail de tous ceux qui dans les associations sportives, culturelles ou à vocation sociale, ou dans nos écoles, nos hôpitaux et autres, ce travail du quotidien, sera reconnu comme le ciment qui fait effectivement tenir debout, avec les dents, des corps sociaux maltraités par la cupidité d’un petit nombre et les prétendues logiques comptables de ceux qui les servent.

Je pense même que tout débat engagé sans que les populations soient rétablies dans leur souveraineté face à des acteurs du monde économique qui échappent à tout contrôle, est nul et non avenu.

Ceci n’est donc pas une proposition dans le cadre du débat, mais bien une proposition comme préalable à tout débat.

Souhaitons qu’à Versailles où vous leur offrez à manger, vous puissiez en avertir les premiers concernés.

Bon appétit messieurs !

Antoine Mathieu

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