Préambule - 2
Ami(e), nous n’allons pas commencer notre marche sans nous être présentés l’un(e) à l’autre.
Car d’abord il te faut savoir d’où je parle
Et j’ai besoin de définir à qui je m’adresse.
*
Voici : je m’appelle Antoine
Je suis un homme de quarante et un ans issu, disons, des classes moyennes inférieures
J’ai grandi dans une région rurale du Sud-Ouest de la France
Bonne scolarité – études supérieures de philosophie et de sciences sociales
Puis je décide un jour de devenir chansonnier et musicien – autodidacte – comme un refus prolongé de toute assignation sociale
Refus de m’intégrer à un monde que je refuse – d’après le constat de son absurde injustice et, rapidement, de sa trajectoire catastrophique
Longtemps j’ai cherché à découvrir les conditions d’un changement radical de paradigme
Penser ce qui pourrait nous permettre de commencer à établir collectivement
Rigoureusement
Continuellement
Les conditions d’un plein exercice – et réel – de notre autonomie collective
Cela fait peut-être vingt ans que je parcours en tous sens l’itinéraire où je t’invite à me suivre
J’en connais chaque détour, chaque difficulté
Or il est temps maintenant – après maints essais infructueux – que je m’applique une bonne fois à en dessiner consciencieusement le trajet
Et sans plus me perdre dans le désir de paraître – à tes yeux – maîtriser mon sujet
Car je ne le maîtrise pas
Je le connais – voilà tout
Et certainement j’ai vocation à le connaître et le reconnaître indéfiniment et à tenter de transmettre ce que j’en comprends
Aussi longtemps que nous resterons inertes
Aussi longtemps que nous nous montrerons incapables de nous hisser à la hauteur des enjeux immenses qui s’imposent à nous
Me voilà donc avec mon histoire et mon désir et mes propres difficultés
Intellectuel précaire et sans le sou
Intermittent du spectacle avec deux enfants en bas âge
Pauvre parmi les riches et riche parmi les pauvres
Et je prétends que nous pouvons déterminer une voie qui nous permettrait d’abolir la domination universelle des riches sur les pauvres
Avec tout ce que cela pourrait signifier, impliquer, rendre possible
Et je vais me tenir au désir de la découvrir – cette voie
D’en dévoiler la puissance
D’en partager la force, la beauté, la fécondité
A présent et aussi longtemps que nécessaire
Aussi longtemps du moins que je sentirai en moi
Force vitale suffisante
Pour continuer à persévérer dans cet effort infini
*
Ami(e), à toi maintenant.
Dis-moi : qui es-tu ?
Ombre silencieuse et sans visage
Présence constante et indéfinie
Sans parole ou du moins sans initiative – dans le commerce qui nous lie
Mais non pas sans attente
Ami(e), je m’en remets à toi – c’est-à-dire : à ton écoute
Je veux croire que tu entendras ce qui m’anime
Je veux croire que tu m’accorderas la chance
De laisser en toi résonner le sens de mon appel
Ami(e), je m’en remets à ton désir de clairvoyance
Je veux croire que tu seras sensible à l’état de vérité où je m’efforce de me situer
Je veux croire que tu feras toi-même le partage entre l’esprit et la lettre
Je veux croire que tu tâcheras de passer outre les constantes insuffisances de ma parole
Pour suivre l’élan qu’elle peut te donner
Et chercher – par toi-même – à le prolonger
A y répondre
*
Ami(e), tu comprends bien
Il ne s’agit pas simplement de mettre tes pas dans les miens
Ni d’observer scrupuleusement ce que je désigne à ton attention
Je te l’ai dit
Tu connais déjà tout ce dont je vais te parler
Non – ce dont il s’agit c’est de changer de regard sur ces vérités que tu connais bien
Les laisser t’apparaître sous un jour différent
Les laisser te dévoiler le sens profond qu’elles composent
Si tu les ressaisis à la lumière de ton propre désir
Si tu les appelles à ta rencontre
Sur ton propre chemin
*
Un dernier mot, ami(e), avant de commencer notre longue route.
Il faut que je te dise – mais certainement tu t’en doutes
Je n’ai pas beaucoup de temps pour t’écrire
Tu t’en doutes – je ne suis pas payé pour frayer la voie de la révolution à venir
Maigres aventuriers de l’espérance
Nous ne sommes jamais là que bénévolement
Face aux légions d’employés du capital – juristes, lobbyistes, consultants
Professionnels de la justification de l’ordre établi – grassement rémunérés
Professionnels de la traque et de la destruction des autres mondes possibles - trompant l’ennui dans l’ancrage de leurs privilèges
Quant à nous – maigres aventuriers
Qui donc nous paie
Pour tenter de mettre au jour les conditions d’une lutte enfin victorieuse contre la domination pluriséculaire du capital
Et l’extermination du vivant qu’elle provoque
Allons, tu t’en doutes – je n’ai pour t’écrire que quelques heures dérobées ici et là
Aux multiples exigences de la réalité
Ces mêmes exigences auxquelles tu te soustrais toi-même ici et là, ami(e)
Pour m’accompagner en cette échappée
*
Eh bien : autant assumer ces contraintes et nous en faire une méthode
Clarté et concision de l’expression – je m’en remets à ton intelligence
Efficacité dans l’écriture – puisque le temps nous manque
Aussi ne t’étonne pas des variations de style selon les étapes, ami(e)
Car je vais écrire au jour le jour et quand le temps s’y prêtera
Le plus souvent au gré de la plume et dans la spontanéité de l’instant
Mais tu peux me faire confiance
Quelle que soit la manière je ferai toujours en sorte
D’aller à l’essentiel
*
Ami(e), si tu veux bien, faisons-nous donc simplement promesse réciproque
Offre-moi bienveillance et générosité dans notre commune recherche
De la vérité
Ô bénévole – je m’engage pour ma part à ce que tu ne dépenses jamais à mes côtés
Plus de temps que nécessaire
*
Et si tu joues le jeu de m’accompagner jusqu’au bout de ce cheminement
Écoute bien, ami(e) : je te mets au défi
De finalement refuser de souscrire – par et pour toi-même
A l’élancement collectif auquel il appelle – et prépare
Je te mets au défi de refuser de contribuer – ne serait-ce que symboliquement
À le provoquer
*
Maintenant, ami(e), il faut prendre ton bagage
Et partir avec moi
Le temps presse – car la révolution n’attend pas
Et tu le sais bien : celle qui vient
Ne se fera pas sans toi.