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Billet de blog 7 mai 2024

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Itinéraire pour une révolution I- La Conscience -5-

Où il sera question de la conscience (I) de la nécessité (II) de représenter le désir (III) de ce qu’il est possible de faire jaillir (IV) du réel (V).

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Itinéraire pour une révolution

I- La Conscience -5-

Ami(e), reprenons cette question du consentement à la domination du capital, et posons-là dans l’autre sens : comment cette domination en est-elle venue, dans les sociétés libérales, à ne plus faire l’objet d’une contestation massive et radicale ? Pourquoi n’y trouve-t-on plus de visée révolutionnaire explicite et assumée, ou plus exactement : pourquoi une telle visée n’entraine-t-elle plus l’adhésion des « classes laborieuses », comme on disait jadis ?

Est-ce à dire que la domination du capital a fini par être perçue comme acceptable et légitime par l’ensemble du corps social ? Et comment cela se fait-il ?

Du côté des classes possédantes, il n’y a aucun mystère : ce sont elles qui exercent la domination du capital et qui en tirent bénéfice. Pourquoi donc chercheraient-elles à bouleverser un ordre social qui leur profite et dont elles détiennent les clefs ?

En revanche, la question n’a cessé de se poser pour les classes les plus démunies : comment expliquer qu’elles puissent consentir à la domination qu’elles subissent – si tant est bien sûr qu’elles y consentent ?

Si l’on veut y voir clair, il faut pointer d’emblée ce qui dans la domination du capital a pu faire l’objet d’une contestation de la part des groupes dominés. Après quoi nous chercherons à déterminer ce qui a contribué à désarmer cette contestation, jusqu’à la rendre complètement inoffensive et la faire disparaître – à peu de chose près – du paysage politique et social des sociétés libérales.

*

Ami(e), tu le sais bien : pour qu’un pouvoir puisse s’exercer durablement, il lui faut adjoindre à l’usage occasionnel de la violence physique une coercition plus continue, abstraite et impersonnelle : celle qui s’inscrit dans le droit et se trouve sanctionnée par l’autorité de la loi.

Sans revenir ici aux conditions socio-historiques qui ont permis l’émergence du capitalisme moderne – qu’il nous suffise de renvoyer à l’œuvre du grand sociologue Max Weber, entièrement animée par cette question –, nous devons nous rappeler que le pouvoir du capital consiste essentiellement en une  captation – ou une capture – de la puissance sociale ou collective, qu’il réussit à mettre à son service pour la poursuite de ses propres fins – l’accumulation du capital – et selon des conditions qu’il tâche de se rendre aussi avantageuses que possible.

Or c’est bien parce que cette captation s’opère dans un cadre réglementé et conformément au droit en vigueur qu’elle parvient à se faire méconnaître comme telle. De sorte qu’il nous faut prendre garde de toujours désigner l’appropriation du commun à laquelle se livre le capital – et sur laquelle nous aurons maintes fois l’occasion de revenir – comme relevant d’abord et principalement d’une appropriation de ce qui fait le commun, à savoir : de la puissance collective en tant qu’elle définit ses propres règles et ses propres lois, c’est-à-dire en tant qu’elle est autonome.

Aussi peut-on distinguer deux niveaux de contestation de la domination du capital. Le premier niveau est celui du droit positif et concerne les règlementations en tant que telles, du point de vue de leur effectivité. A ce niveau-là c’est le contenu du droit qui peut poser problème et provoquer une contestation : horaires de travail, montant du salaire, pénibilité, brimades patronales, interdiction de s’organiser et d’exprimer son mécontentement, etc.

A un second niveau, cependant, c’est la source du droit qui devient elle-même objet de contestation : comment se fait-il que de telles réglementations non seulement puissent être appliquées, mais puissent même simplement advenir ? Pourquoi les choses devraient-elles se passer de cette manière, alors qu’on imagine très bien, au fond, qu’elles puissent se passer autrement ? Lorsqu’elle se situe à ce second niveau, la contestation sociale prend rapidement un caractère révolutionnaire : elle vise bientôt l’ordre établi dans son ensemble, jusque à le remettre en cause dans ses principes les plus fondamentaux.

De toute évidence, c’est surtout lorsque la contestation s’élève à ce deuxième degré – celui de la constitution du droit et de la puissance publique – qu’elle devient dangereuse pour les classes dominantes. Car si l’on peut bien s’accommoder de verser au bas peuple quelques miettes supplémentaires quand la manifestation de sa colère se fait plus pressante et insistante qu’à l’ordinaire – et non sans se flatter alors de favoriser le « dialogue social » et la prospérité générale –, il serait par contre tout à fait déraisonnable de le laisser questionner sérieusement les modalités de partage du gâteau.

Allons, qui ne le sait ? La paix civile exige que l’on se dispense d’interroger collectivement ce qui motive et justifie la division entre les classes au sein de la société.

Les uns sont riches et vivent dans le luxe et l’oisiveté ; les autres demeurent indigents et misérables, en dépit de leur labeur continuel. Mais quoi : s’aviserait-on de demander à ceux qui ne peuvent pas s’offrir du pain, pourquoi ils ne mangent pas de la brioche ?

*

Maintenant, comment expliquer la disparition progressive de l’horizon révolutionnaire dans les sociétés occidentales ? Que s’est-il donc passé ? Que nous dit cette disparition, quand on la met en regard de l’essor du mouvement ouvrier, de la diffusion des idées socialistes et des différentes percées insurrectionnelles qui ont eu lieu tout au long du XIXème siècle ?

Tu ne t’étonneras pas, ami(e), si les trois premiers éléments de réponse que nous allons considérer s’articulent autour de cet événement majeur qu’est la Première Guerre mondiale. Car vois-tu : du fait qu’un événement d’une telle ampleur précipite la rencontre des principales lignes de force qui structurent l’évolution de l’histoire humaine, il apparaît comme étant vis-à-vis d’elle aussi bien « surdéterminé » que « surdéterminant ». Et bien entendu, c’est dans ce genre de moments que les choses se donnent à voir en pleine lumière et, si j’ose dire, dans toute leur crudité.

Suis-moi donc, ami(e), dans ce rapide examen historique.

*

Voici : notre premier élément de réponse s’inscrit à la fois dans ce qui prépare et ce qui découle de l’assassinat de Jean Jaurès, à la fin du mois de juillet 1914, quelques jours avant que l’embrasement ne se généralise.

Comme on le sait, le déclenchement de la Première Guerre mondiale ne procède pas simplement d’une logique d’escalade militaire suite à la mise en place d’une opposition circonstancielle d’alliances défensives entre nations européennes ; c’est un enchaînement qui s’enracine dans un mouvement beaucoup plus profond et structurel : la colonisation pluriséculaire de l’ensemble de la planète par différentes puissances nationales en compétition les unes avec les autres, et obéissant chacune à une sorte d’association de fait entre des intérêts d’ordre capitalistique et des intérêts d’ordre géopolitique – ce que nous avons appelé tantôt la jonction entre le capitalisme et l’impérialisme.

On a beaucoup parlé d’ « aveuglement nationaliste » à propos de la Première Guerre mondiale, dont un des facteurs principaux aurait été « l’esprit revanchard » – dans le cas de la France – suite à la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1871, et autres choses de ce genre. Mais l’autrichien Karl Kraus – l’un des témoins les plus lucides de l’époque – l’a magistralement montré dans sa pièce de théâtre intitulée Les derniers jours de l’humanité : l’espèce d’emballement hystérique qui a lieu à ce moment précis, dans toutes les capitales européennes, ne concerne que le petit gratin de la sphère politico-médiatique qui, précisément, a partie liée avec les intérêts économiques sous-jacents au conflit militaire qui se prépare. Car pour le reste de la population, non seulement il n’y pas grand-monde qui soit enthousiasmé par l’ordre de mobilisation générale que l’on sent venir, mais surtout : une autre ligne de force émerge et se structure depuis plusieurs décennies, qui vient contredire la « vérité » du discours officiel que l’on entretient et que l’on projette sur la population depuis le sommet de l’Etat.

Cette autre ligne de force, c’est celle qui oppose le travail au capital, c’est celle qui conteste le vol de la propriété sociale par l’entreprise capitaliste, et qui dénonce dans l’attitude belliqueuse des nations européennes un subterfuge visant à dresser les travailleurs les uns contre les autres, au moment même où ils sont en train de s’organiser et de subvertir massivement un ordre patronal qui, bien souvent, ne trouve plus à se maintenir qu’avec l’envoi de la troupe – et de fait, on ne compte plus à l’époque le nombre de victimes de la répression policière des manifestations ouvrières lors des conflits sociaux.

Or vois-tu, ami(e) : l’homme que l’on assassine quelques jours avant le début des hostilités, c’est précisément l’un des rares dirigeants politiques qui a non seulement l’intention, mais la stature et la capacité de contrecarrer l’enchainement mortifère qui va se dérouler, et c’est d’ailleurs l’un des seuls qui a déjà commencé à le faire concrètement en prêchant la résistance passive et la solidarité dans le pacifisme et l’internationalisme à des masses de travailleurs européens au sein desquelles il sait pouvoir obtenir une large audience et de nombreux relais. Mais il n’est pas le seul à le savoir…

Jaurès est donc assassiné. Mais qu’est-ce qui découle de cet assassinat ? Sa conséquence immédiate – celle précisément qui était recherchée par les milieux nationalistes d’extrême-droite qui l’ont fomenté – c’est la participation de la quasi-totalité du mouvement socialiste révolutionnaire à l’ « union sacrée », en France comme dans les autres pays européens, ou autrement dit : son rangement en ordre de bataille derrière des chefs de guerre nationalistes et belliqueux. Ce qui signifie peu ou prou l’acceptation par l’internationale révolutionnaire du sacrifice de plusieurs générations humaines sur l’autel de la raison impérialiste/capitaliste.

Or quelles que soient les motivations de cette adhésion précipitée, et malgré les revirements qu’elle connaîtra par la suite, il s’agit là incontestablement d’une authentique trahison du mouvement socialiste à l’égard des « travailleurs de tous les pays » et du projet révolutionnaire internationaliste à l’horizon duquel il prétendait les unir.

*

Le deuxième élément de réponse est symétrique au premier, mais se situe quant à lui de l’autre côté de l’invraisemblable boucherie que fut la « Grande Guerre », juste après que ce « laboratoire de la destruction à grande échelle » eût épuisé ses dernières ressources.

Si tu ne le sais, ami(e), tu peux très bien l’imaginer : au sortir de la Première Guerre mondiale, on assiste à la plus grande flambée révolutionnaire qui ait jamais eu lieu en Europe. Partout le pouvoir chancelle sous la pression de grèves générales aussi massives que spontanées, partout se lèvent des conseils ouvriers, des « soviets », des rassemblements de travailleurs qui débordent soudainement des cadres de la social-démocratie, et le plus gros de ces effectifs révolutionnaires est constitué, bien sûr, de soldats tout juste démobilisés et rentrés du front.

Ces soldats reviennent de l’outre-tombe : il leur est devenu impensable que la société puisse continuer à fonctionner comme avant, qu’elle puisse un jour à nouveau réunir les conditions qui ont donné lieu à l’effroyable épreuve qu’ils viennent de traverser.

Et voici donc une deuxième « trahison » historique des cadres du mouvement révolutionnaire. Ce qu’il faut avoir en tête, c’est qu’il y avait déjà depuis plusieurs décennies une forte tension, au sein des organisations révolutionnaires, entre les tenants de ce qu’on appelait un « spontanéisme » des masses, une capacité d’auto-organisation des collectifs dans le feu de l’action révolutionnaire – comme on avait pu le voir et l’expérimenter durant la Commune de Paris, par exemple –, et de l’autre côté, les partisans d’un dirigisme ferme et efficace de la part des « experts » de la révolution, les cadres du parti, ceux qui ont étudié la théorie et qui savent de quoi il retourne dans la lutte contre la « classe bourgeoise » et contre l’ « Etat bourgeois ». Cette tension apparaît dès la Première Internationale entre Marx et Bakounine, mais elle ne cessera jamais d’exister par la suite – et d’ailleurs elle existe encore de nos jours, sous une forme plus vague et de façon beaucoup moins explicite, mais tout aussi décisive, comme nous le verrons. Et cette tension se cristallise notamment autour de la question de la délégation du pouvoir, dans le cadre d’une éventuelle participation des organisations révolutionnaires aux institutions politiques de la société « bourgeoise », et notamment à ce que l’on appelle les organes de la « représentation » du peuple, c’est-à-dire en premier lieu le Parlement.

Voici donc qu’au sortir de la guerre les organisations révolutionnaires se trouvent dépassées par une immense explosion sociale, qu’elles ne parviennent pas à canaliser – et pour cause : elles viennent elles-mêmes de prendre le parti de la guerre impérialiste et capitaliste, au lieu de s’en tenir à la proclamation d’un pacifisme internationaliste qui eût été en phase avec leurs valeurs et leurs idéaux. Mais surtout : les professionnels de la révolution se méfient de l’auto-organisation ouvrière, ils ne supportent pas l’idée que la révolution puisse se passer autrement qu’ils le disent et le théorisent, ce sont eux l’avant-garde de la révolution populaire, ils entendent bien qu’on le reconnaisse, et surtout : qu’on leur laisse prendre les commandes des opérations.

Or la condition pour que l’explosion révolutionnaire, à cet instant décisif, puisse déboulonner les pouvoirs en place – lesquels étaient déjà sérieusement ébranlés par ce qui venait de se passer, on le comprend bien – c’eût été que les organisations révolutionnaires se mettent au service de cet immense soulèvement spontané, plutôt que de prétendre le diriger – ou pire : le réprimer. Au lieu de cela, pour le dire rapidement, elles ont préféré attendre que le soufflet retombe – en accord avec la classe dominante –, pour reprendre par la suite le rôle qu’elles connaissaient et affectionnaient depuis longtemps : promouvoir le catéchisme révolutionnaire auprès de travailleurs réputés incapables de comprendre par eux-mêmes les tenants et aboutissants de l’exploitation dont ils faisaient l’objet.

Une sublime exception vient confirmer le tableau d’ensemble : il s’agit de la célèbre Rosa Luxemburg, figure de proue du SPD allemand, et dont il faut saluer l’admirable lucidité tout au long de son parcours de militante révolutionnaire. En particulier, elle a souvent insisté sur la nécessité du caractère démocratique de la révolution socialiste, à une époque où ils n’étaient pas nombreux à entrevoir non seulement la justesse de la chose, mais son intérêt stratégique – naturellement nous aurons ample occasion de revenir sur ce point, car il s’agit là d’un des éléments fondamentaux du projet proposé dans cet itinéraire.

Rosa Luxemburg est l’une des rares figures parmi les dirigeants des organisations révolutionnaires à faire le choix – à peine sortie de prison où elle a été enfermée durant toute la durée de la guerre – de se mettre au service des conseils ouvriers et des piquets de grève qui se multiplient un peu partout en Allemagne. Cela donne ce que l’on a appelé « la révolution spartakiste », qui n’est pas loin de triompher en Allemagne suite à l’effondrement du pouvoir impérial, mais dont l’échec est en grande partie imputable à l’attitude de la fraction majoritaire du SPD restée favorable à une entente avec le « bloc bourgeois » au sein d’un régime parlementaire. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont sauvagement assassinés à la fin du mois de janvier 1919 par des mercenaires à la solde de ses anciens camarades de parti. C’est alors la république de Weimar qui commence et qui va mener, à peine une dizaine d’années plus tard, à la prise de pouvoir d’Adolf Hitler et du « national-socialisme ».

*

Ami(e), venons-en maintenant au troisième élément de réponse.

Comme chacun sait, parmi toutes ces flambées révolutionnaires qui se déclenchent à l’issue de la Première Guerre mondiale, il en est une qui a « réussi » : la révolution russe de 1917. Et cela certes n’a pas manqué d’attiser aussitôt la ferveur insurrectionnelle de l’ensemble des « conseils » ouvriers et populaires qui se lèvent un peu partout en Europe à l’instar des soviets de Russie. Mais comme nous l’avons vu, il a suffi de quelques mois pour que le soufflet retombe : les partis socialistes révolutionnaires européens n’ont pas voulu saisir leur chance, ils ont laissé passer le train de l’Histoire.

Or à partir de là, la dégénérescence rapide de la révolution soviétique entraine celle des différents mouvements révolutionnaires internationalistes. Car en Russie, dès le départ, le ver était dans le fruit. Dès lors en effet que le parti bolchévique met la main sur le processus révolutionnaire – en octobre 1917 – l’avenir de ce processus paraît gravement compromis. Ainsi, à peine élue, l’assemblée constituante est aussitôt dissoute par les bolchéviques – car ils y sont minoritaires, et cela ne leur convient pas du tout. Commence alors le règne du « parti unique », censé correspondre à la fameuse – et ô combien funeste – conception marxiste de la « dictature du prolétariat ».

Ami(e), tu peux m’en croire : nous reviendrons sur ce dévoiement complet de la dynamique révolutionnaire à travers la formation d’une classe de technocrates recrutés parmi les cadres d’un parti unique ayant la mainmise sur l’ensemble des leviers de l’Etat. Car dans la perspective qui est la nôtre, il est évident qu’on ne peut se dispenser de comprendre en profondeur ce qui se joue dans ce processus – que l’on a vu se répéter un peu partout dans les pays « communistes » au cours du XXème siècle et qui a conduit à certaines des pires monstruosités de l’Histoire.

Mais pour ce qui nous intéresse actuellement, il nous suffira de relever que le devenir de la révolution soviétique, en ces années cruciales, a « cristallisé » le destin de l’ensemble des mouvements révolutionnaires partout dans le monde durant le siècle dernier – au moment donc où il aurait fallu que le développement du capitalisme rencontre une contestation rigoureuse et déterminée.

Ami(e), rappelle-toi : il y a ces fameuses « vingt-et-une conditions » imposées par Lénine pour l’adhésion des partis révolutionnaires européens à l’Internationale communiste, auxquelles la plupart s’empressent aussitôt de souscrire – sans prendre garde que ces conditions impliquent expressément une soumission inconditionnelle aux visées du pouvoir soviétique. De sorte que, dès les années 1920, l’organisation et la stratégie des partis communistes d’Europe de l’Ouest se trouvent entièrement pilotées par des agents du Komintern formés et diligentés par Moscou – avec les résultats que l’on sait.

Il y a dans la foulée l’irréprochable alignement de l’ensemble des partis communistes sur cette curieuse pratique soviétique du « centralisme démocratique » au sein du parti unique, suivant laquelle les opinions minoritaires sont autorisées dans la mesure où elles se taisent ; car sitôt qu’elles s’expriment, elles paraissent autant de menées dissidentes et « contre-révolutionnaires » qui conduisent sans délai au goulag ou à l’échafaud.

Si bien que l’essentiel des forces vives du mouvement socialiste révolutionnaire se retrouve bientôt à devoir justifier sans cesse – et d’abord pour soi-même – les décisions absurdes et les revirements erratiques d’un seul et unique dirigeant paranoïaque retranché dans son palais du Kremlin, ce brave « petit père des peuples » dont on sait qu’il aimait à présenter le pacte secrètement conclu en 1938 avec Adolf Hitler comme l’une des plus pures manifestations de son « génie » tacticien – l’opération « Barbarossa » de 1941 ne l’ayant pas même conduit à se raviser sur ce point.

Au fond, si l’on y réfléchit, la malédiction du communisme héritée du XXème siècle tient tout entière dans ce perpétuel déni de démocratie, que plusieurs générations de militants auront successivement accepté de valider et d’entretenir en leur sein, en France comme ailleurs, jusqu’à finir le plus souvent par « jeter l’éponge » et « rendre sa carte » à l’occasion d’un événement plus difficile à avaler que les autres : révolution hongroise de 1956, printemps de Prague en 1968, etc.

Or à présent, nous qui sommes contraints d’hériter de la catastrophe globale provoquée par le triomphe aveugle du système capitaliste, nous pouvons enfin mesurer la portée réelle de cet avilissement collectif si longtemps maintenu, qui conduisit tant d’êtres humains à formuler leur désir d’un monde meilleur et de « lendemains qui chantent » – et sans doute, hélas, sous un quelconque prétexte d’efficacité – dans les termes prescrits par un soutien sans réserve à un régime politique parfaitement aberrant qui, dans les faits, n’a jamais cessé de dévoyer le sens de la révolution sociale qu’il prétendait servir et propager.

*

Voilà donc une triple trahison du mouvement révolutionnaire international à l’égard de sa vocation première et profonde, à un moment décisif où il avait la possibilité de renverser le capitalisme et de changer radicalement le cours de l’histoire mondiale.

Ami(e), qu’en penses-tu ? N’a-t-on pas eu le temps, depuis lors, de s’accoutumer tranquillement à la domination du capital ?

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