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Billet de blog 12 mars 2020

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Didier Maïsto, un «patron» en gilet jaune

«Passager clandestin» paraîtra jeudi 19 mars. Son auteur, Didier Maïsto, président de Sud Radio, y dévoile une vérité qui dérangera au plus haut point les puissances et les pouvoirs...

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Illustration 1
Passager clandestin / Au Diable Vauvert © DR

Ecce Maïsto !

Préface, par Antoine Peillon [1]

« Je suis là ! »

Ce pourrait être la devise de Didier Maïsto.

Bien sûr, elle serait d’abord l’écho de ce chant qu’il a entendu, depuis décembre 2018, chaque samedi, alors qu’il participait inlassablement aux « Actes » des Gilets jaunes : « On est là, on est là ! / Même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! / Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur ! / Même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! »

Un écho, donc, à cet hymne de résistance des Gilets jaunes face à la violence policière déchaînée contre eux et dont Didier a été le témoin, le rapporteur et le dénonciateur horrifié, révolté, mais rigoureux. A ses risques et périls, physiquement, moralement et socio-professionnellement parlant, ce qui est particulièrement inédit et lui a été reproché. De haut…

Ainsi, début avril 2019, il pouvait lire ces remarques distinguées sur le site de France 3 en Occitanie : « Depuis quelques semaines, le PDG de la radio (Didier est président de Sud Radio) est devenu sur les réseaux sociaux un porte-voix des Gilets jaunes. Sur ses live sur Facebook ou à travers ses tweets, il dénonce tour à tour les violences policières, les chiffres des manifestations minimisés par le ministère de l’Intérieur… Didier Maïsto reconnaît que de la part d’un patron de radio, « ça peut troubler ». On imagine en effet mal Laurence Bloch, la patronne de France Inter ou Laurent Guimier, celui d’Europe 1, prendre autant position et aller dans les manifs, portable en main en « live » au milieu des gaz lacrymogènes. »

Je pourrais multiplier les citations de cet acabit. Mais elles seraient toutes à l’honneur, de son point de vue, du « PDG » qui, le samedi 14 décembre 2018, a laissé sortir une sorte de cri primal : « Mépriser les Gilets jaunes c’est mépriser la France et les Français, c’est se mépriser soi-même. Chaque fois que je vois un Gilet jaune sur un rond-point, j’ai envie de le serrer dans mes bras. J’ai envie de lui dire ’’continue mon gars, je t’aime, je suis avec toi, je suis exactement comme toi, j’ai souffert et si aujourd’hui ça va un peu mieux, je sais d’où je viens et où je ne veux plus être’’. » Car, pour Didier, ce serait se mépriser lui-même que ne pas y être, ne pas en être…

Illustration 2
Didier Maïsto (à gauche), lors de l'acte XXXIII des Gilets jaunes - "Hommage à nos victimes" / Paris, le samedi 29 juin 2019. © Ishta / www.ishta.fr

« Je suis là ! »

Ils vont bien, ces trois mots, pour dire : « Ecce Maïsto ! C’est bien lui, ça. » Lui qui, enfant d’une cité populaire de Toulon, regardait passer les trains, depuis sa fenêtre, et chantait en sicilien ; lui qui chante toujours, d’ailleurs, mais de la pop, du rock, du blues, de la country…, avec une voix qui me fait penser à celle de Mark Knopfler. J’écoute « Why aye man ? », en écrivant ces lignes ; oui, pourquoi, pourquoi es-tu là Didier ? Là où tu vas, là où tu te tiens ? Pourquoi les trains que tu regardais, tout petit, passer au ralenti, vers la gare de Toulon, ont-ils imprimé en toi cette faculté à la présence persévérante, ce besoin de saluer les voyageurs, sans te demander d’où ils viennent (tu laisses cette question aux gardes-frontières), ce sentiment intime d’être toi-même, toujours, un « passager clandestin » ?

Dans une mouture initiale de son livre, que j’ai eu le bonheur de lire, Didier Maïsto répondait à ces questions indiscrètes par un torrent de lave poétique, une libération de la réminiscence, ce « réveil fortuit de traces anciennes dont l'esprit n'a pas (jusqu’alors) la conscience nette et distincte » (Sainte-Beuve). Mais, il était trop tôt, sans doute, pour que le « Ecce Maïsto » s’exprime ainsi ; il fallait encore raison garder, partager faits et commentaires, souvenirs utiles (beau travail de l’éditeur Au Diable Vauvert !), avant d’en venir, une prochaine fois, j’en suis certain, à slamer la vie, à clamer l’odyssée, à chanter le blues radical des rêves et des cauchemars. Ce rendez-vous littéraire est pris. Forcément.

Il y sera à nouveau question de trains. Parce que l’hymne des Gilets jaunes, « On est là, on est là ! », leur vient des cheminots lyonnais (collectif Intergare) qui chantaient, au printemps 2018 : « On est là, on est là ! Même si vous ne le voulez pas nous on est là, pour l’honneur des cheminots et l’avenir de nos marmots, même si vous ne le voulez pas, nous on est là ! » Parce que lorsque tu étais marmot, Didier, l’ombre de « l’ancêtre » Dominique Maïsto planait dans la mémoire familiale, lui qui fut un militant communiste et cégétiste (métallurgie, puis transports !), à la fin des années 1930, dans les Bouches-du-Rhône, un maquisard FTP (sous le pseudonyme de « Remember » !), assassiné par les nazis le 26 juillet 1944…

Oui, il y aura encore et toujours des trains dans ton histoire, Didier, toi qui navigues si souvent à grande vitesse entre Paris et Lyon : parce que le rail et la résistance sont liés par l’Histoire ! Un jour de juin 2019, tu as répondu, sur Twitter (dont tu abuses), à un accusateur superficiel : « Ma famille a été victime du fascisme en Italie et a résisté en France. » En faisant référence à Dominique Maïsto. Ne cites-tu pas, en exergue de ton livre, Cesare Pavese, l’immense écrivain et résistant italien ? Et n’aimes-tu pas aussi Elio Vittorini, cet autre extraordinaire écrivain et résistant italien, originaire de Syracuse, dont le chef-d’œuvre Conversation en Sicile, publié dans la clandestinité, en 1943, est un pèlerinage ferroviaire jusqu’aux sources ?

Côté rail, cet émerveillement - où tout est symbole - du passager clandestin qu’était alors Elio Vittorini : « A trois heures, dans le soleil de décembre, le petit train tournant le dos à la mer qui crépitait, invisible, entrait, petits wagons verts, dans une gorge rocheuse et puis dans la forêt de figuiers de Barbarie. »

Et côté Résistance, cette gravité du clairvoyant : « J’étais, cet hiver-là, en proie à d’abstraites fureurs (…) ; des fureurs, en quelque sorte, causées par la perte du genre humain. »[2] L’auteur de Conversation en Sicile écrivait ces lignes entre 1937 et 1938…

Or, il paraît qu’il y a un écho de la fin des années 1930 dans celles que nous traversons aujourd’hui[3]. C’est une des discussions que j’ai, parfois, avec Didier Maïsto.

Illustration 3
Didier Maîsto, avec Yvan Le Bolloc'h, lors de l'acte XXXIII des Gilets jaunes - "Hommage à nos victimes" / Paris, le samedi 29 juin 2019. © Ishta / www.ishta.fr

La première fois que nous nous sommes rencontrés, Didier, c’était le 14 mai 2019, à Sud Radio, où André Bercoff et toi-même m’aviez invité, avec l’avocat Philippe de Veulle, à parler de Christophe Dettinger, de mon livre Cœur de boxeur, des violences policières, du régime Macron… Je me souviens d’une conversation pleine d’intelligence, de respect et de sensibilité. Ton émotion, à propos des Gilets jaunes blessés, estropiés, éborgnés était palpable. Un communicant m’avait pourtant prévenu : « Sud Radio ? C’est pinard-saucisson ! » « Mais, plus précisément ? », m’étais-je inquiété. « Populisme », « bruns-rouges », avais-je récolté, sans plus d’arguments…

Cette bêtise bobo, Didier Maïsto la connaît trop bien. Et il sait comment elle a partie liée, en tant que servitude volontaire post-moderne, avec la domination oligarchique dont Emmanuel Macron, comme Nicolas Sarkozy et François Hollande avant lui, est un champion monstrueux. Lors de l’émission d’André Bercoff, la médisance de Cour qui m’avait été assénée fut balayée par les paroles humanistes du « patron » de Sud Radio.

***

« Patron » : c’est le mot que Jérôme Rodrigues, une « figure » majeure du mouvement des Gilets jaunes, ne pouvait s’empêcher de répéter, lors de votre première rencontre, à Paris, le samedi 19 janvier 2019 (Acte X). Ton récit, Didier, de ce beau moment dit beaucoup de ton ouverture d’esprit :

« Il est onze heures, je tombe sur Jérôme Rodrigues, qui a été attaqué quelques jours plus tôt de façon bête et méchante par une journaliste de Sud Radio, sur un plateau télévisé.

- Bonjour Jérôme Rodrigues, je suis le patron de Sud Radio.

- Hein ? Quoi ? Le patron ?!

(…)

Jérôme me fixe, interdit, répétant sans cesse, ’’le patron ? le patron ?’’. Je réalise une brève interview. Jérôme y est mesuré, expliquant que le mouvement n'est pas exactement ce qu'on en relate (…). On échange nos coordonnées, je lui promets une invitation sur Sud Radio. Il deviendra, au fil des Actes, un ami solide. »

Un « ami solide » qui sera éborgné, une semaine plus tard, par un tir de LBD 40… Ce samedi 26 janvier, Didier Maïsto est à nouveau dans la rue, parmi les Gilets jaunes, smartphone tenu au bout de sa poignée-stabilisateur à cardan pour la réalisation de Facebook Lives qui sont suivis, en direct, par des milliers de personnes. Pris dans un déchaînement soudain de violences policières, il perd le contact avec Jérôme Rodrigues qui était à ses côtés. Quelques minutes plus tard, lorsqu’il apprend que son nouvel ami a été gravement blessé, le « patron » de Sud Radio ne peut résister à la peine : « Je craque et fonds en larmes. - Pas Jérôme ! Pas Jérôme ! Le type le plus pacifique que je connaisse. Les salauds ! »

Cet évènement traumatisant est sans doute l’instant du basculement de Didier Maïsto dans une nouvelle lucidité vis-à-vis du dévoiement du régime Macron et de sa police hors des règles fondamentales de la République. Le sujet sera, dès lors, au cœur de la plupart de nos conversations. Comme lors de l’Acte XXXIII des Gilets jaunes, un « Hommage à nos victimes » organisé à Paris, le samedi 29 juin. Ce jour de grand beau temps, alors que les milliers de manifestants qui défilent dans le nord de la capitale sont plus débonnaires et joyeux que jamais, nous sommes nassés, gazés et menacés, dès 16 heures, par des policiers dont beaucoup ont des tenues civiles et des postures de voyous. En témoigne un Facebook Live que nous enregistrons, ensemble, et qui sera saboté dans les minutes qui suivent sa diffusion en direct…

***

Car ce n’est pas la moindre vertu du « Je suis là ! » de Didier Maïsto que celle de révéler la vérité sublunaire de notre monde, un monde où n’entrera jamais le moindre Gilet jaune. Fort de ce principe éminemment journalistique (« J’y vais, je vois, je rapporte… »), le reporter en chef de Sud Radio dévoile, dans de nombreuses pages qui suivent, une vérité qui dérangera au plus haut point les puissances et les pouvoirs, les autres « patrons » médiatiques et les politiciens comptables de l’effondrement démocratique actuel. Surtout ceux, malheureusement trop nombreux, qui sont liés par des pactes plus ou moins explicites de corruption, des arrangements convenus en des lieux mondains et administratifs où le PDG de Sud Radio a joué le rôle du loup dans un jeu de quilles.[4]

Le livre que j’ai l’honneur de préfacer montre combien le « passager clandestin » n’est pas aveugle, ni muet, car il navigue depuis longtemps sur la passerelle de commandement, sans jamais négliger pour autant de visiter fraternellement la salle des machines, où se joue souvent la sûreté de la traversée. Sans s’épargner d’inspecter les soutes, où grouillent les rats. Lorsque j’ai parlé avec Didier Maïsto de la corruption, de l’évasion fiscale, des barbouzes qui continuent de faire la loi et d’assurer le financement de la vie politique française, en circulant librement entre l’Afrique noire, la Corse, Londres, Genève et Paris, il m’a semblé qu’il connaissait cette quatrième dimension de notre univers aussi bien que les meilleurs enquêteurs de la police judiciaire, du renseignement intérieur ou du parquet national financier.

Dans ces ténèbres poisseuses, où se trame l’effondrement machiavélique de la planète Terre et de l’humanité, le « passager clandestin » est resté incorruptible. Mieux, républicain pur jus, il me semble que Didier Maïsto n’est plus réfractaire, face à la décadence autoritaire du gouvernement de la France[5], à la franche discussion sur la résistance et la révolution. C’est un horizon que nous regardons ensemble, avec d’autres qui partagent, premièrement, cette éthique très politique chantée par les Gilets jaunes, après les cheminots d’Intergare : « On est là, on est là ! »

Oui, nous sommes là où nous devons être, sur le terrain, avec nos « frères humains » (Villon), même si le roi ne le veut pas, même si sa Cour s’en offusque, même si ses nervis et ses lèches-bottes enragent… Même si les nouveaux Ponce Pilate nous traînent un jour sur le parvis du palais pour clamer : « Ecce Maïsto ! », « Ecce… »

Adeptes de « l’invincible espoir »[6], nous ne nous laisserons pas devenir les proies des « fureurs causées par la perte du genre humain », pour citer une dernière fois notre cher Vittorini. Et par ces quelques lignes, j’ai souhaité d’abord t’exprimer mon amitié et mon admiration, Didier, capitaine courageux des passagers clandestins. Ton livre est passionnant et si bien écrit.

Alors, je te dis, moi aussi : « Je suis là ! »

***

[1] Cette préface a été donnée à Didier Maïsto et à son éditeur, Le Diable Vauvert, à titre entièrement gracieux et amical.

[2] Elio Vittorini, Conversation en Sicile, Gallimard, 1948 ; en collection « L’Imaginaire », 2002.

[3] Entre autres : Michaël Fœssel, Récidive. 1938, PUF, 2018.

[4] Déjà, en 2016 : « Hé ho, on est chez nous ! » La télé française, entre no man's land et mafia d'Etat, Les enquêtes Lyon Capitale / lelanceur.fr, à la suite de La TNT, un scandale d’Etat (Lyon Capitale, 2015).

[5] Outre Juan Branco, Crépuscule, Au Diable Vauvert, mars 2019, avec une préface de Denis Robert (en Points Seuil, octobre 2019), cette lecture décisive : Romaric Godin, La guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, 2019.

[6] « Oui, les hommes qui ont confiance en l’homme (…) affirment, avec une certitude qui ne fléchit pas, qu’il vaut la peine de penser et d’agir, que l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. L’Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès, « Discours à la jeunesse », Albi, 1903. Et : « L’homme n’a pas deux âmes différentes, l’une pour chanter et pour chercher, l’autre pour agir ; l’une pour sentir la beauté et comprendre la vérité, l’autre pour sentir la fraternité et comprendre la justice. Quiconque envisage cette perspective se sent animé d’un invincible espoir. Que l’homme contemple le but, qu’il se fie à son destin, qu’il ne craigne pas d’user sa force. Quand l’homme se trouble et se décourage, il n’a qu’à penser à l’Humanité. » Léon Blum, dans À l’échelle humaine, prison du Fort du Portalet, décembre 1941, Gallimard, 1945.

***

Notice de l'éditeur

Passager clandestin

Didier Maïsto

"Le reporter en chef de Sud Radio dévoile une vérité qui dérangera au plus haut point les puissances et les pouvoirs, les “patrons” médiatiques et les politiciens comptables de l’effondrement démocratique actuel." – Antoine Peillon

Gamin des classes populaires devenu patron de media, Didier Maïsto n’a jamais ni oublié ni renié ses origines siciliennes pauvres… Il est ce passager clandestin dans les allées du pouvoir, ce journaliste à la recherche de la vérité qui enquête au cœur de la corruption. Ce témoignage est d’abord l’histoire d’une prise de conscience politique. C’est surtout un document brûlant, courageux et passionné, riche de révélations édifiantes sur des dossiers et scandales d’actualité.

Né en 1966 à Toulon, Didier Maïsto dirige un des rares groupes de presse indépendants français, composé de Sud Radio et Lyon Capitale.

Format : 130 X 198 mm

Parution : 19 mars 2020

Nombre de pages : 320

EAN-ISBN : 979-10-307-0333-7

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