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Billet de blog 13 octobre 2023

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"Terrorisme" : le sens des mots dits ou escamotés...

Selon Hannah Arendt, le mensonge serait consubstantiel à la politique. Comment ne pas y revenir, en lisant les propos indécents de certaines personnalités politiques sur les "crimes de guerre" perpétrés par le Hamas ? Comment ne pas redoubler cette interrogation, aujourd’hui-même, à la lecture de nouvelles déclarations politiques au sujet de l’assassinat terroriste d’un professeur de lycée ?

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Sur un mensonge par omission…

Selon la philosophe Hannah Arendt, le mensonge - y compris par omission - serait consubstantiel à la politique et facteur de violence.[1] Comment ne pas revenir sur cette réflexion en écoutant et en lisant les propos indécents de certaines personnalités politiques sur les « crimes de guerre » (peut-être requalifiés bientôt en « crimes contre l’humanité » pour une part) perpétrés par le Hamas dans le sud d’Israël, depuis le samedi 7 octobre dernier ? Comment ne pas redoubler cette interrogation, aujourd’hui-même, à la lecture de nouvelles déclarations politiques au sujet de l’assassinat terroriste d’un professeur de lycée ?

« Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? (…) Tous les concepts nécessaires seront exprimés par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. (…) Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint. »
George Orwell, 1984 (1949)

Illustration 1
© DR

Alors qu’un homme armé d’un couteau a poignardé plusieurs personnes dans l’enceinte du lycée Gambetta-Carnot d’Arras (Pas-de-Calais), ce vendredi 13 octobre, vers 11 heures du matin, tuant un professeur et faisant deux blessés graves, les chefs des quatre partis de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont immédiatement réagi, mais pas tout à fait avec les mêmes mots.

Certes, le coordinateur de La France insoumise (LFI) Manuel Bompard et le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure ont tous les deux fait part de leur « effroi ». Mais l’usage – ou non – d’un mot, « terrorisme », continue de les différencier radicalement.

« Effroi en apprenant l’attaque au couteau dans un lycée d’Arras. L’horreur s’abat une nouvelle fois sur la communauté éducative. Toutes mes pensées vont aux victimes, à leurs proches et à l’ensemble des élèves et des enseignants », écrivait ainsi le proche de Jean-Luc Mélenchon, député LFI des Bouches-du-Rhône.

« Effroi après le nouveau meurtre d’un enseignant à quelques jours de l’anniversaire de la mort de Samuel Paty. Toutes mes pensées à la famille des victimes, aux élèves et l’ensemble de la communauté éducative. Nous n’en avons pas fini avec le terrorisme », a déclaré, pour sa part, le premier secrétaire du PS.

« L’horreur » versus « le terrorisme »…

Ces derniers jours, nous avons constaté d’étranges manœuvres politiciennes pour éviter, à tout prix, la prononciation du mot « terrorisme » par certains. Nous avons entendu ou lu des justifications pseudo-informées arguant de l’impossible définition rigoureuse du terme et, surtout, de son inexistence en droit international. L’ensemble est d’une rare malhonnêteté intellectuelle et ne résiste pas à dix minutes de recherche documentaire sur le sujet. Il est à la fois symptôme et production de la post-vérité qui ruine la démocratie.[2]

Illustration 2
© DR

Dès 1964, Hannah Arendt, la philosophe célèbre des Origines du totalitarisme (New York, 1951), craignait « que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens mentaux de cette fin – se trouve détruit ». Mais elle se reprenait aussitôt, témoignant de sa confiance dans la résistance ontologique des faits (la « vérité de fait » qu’elle distingue de la « vérité de raison ») et faisant donc le pari de l’incapacité du mensonge politique à se substituer, in fine, à la réalité. « Les faits s’affirment eux-mêmes par leur obstination, et leur fragilité est étrangement combinée avec une grande résistance à la torsion. Dans leur opiniâtreté, les faits sont supérieurs au pouvoir », jugeait-elle alors.[3] Il en reste pas moins que la tendance au mensonge politique, souvent démagogique, est une menace constante de destruction de la démocratie.

Un livre de plusieurs centaines de pages pourrait être produit pour recenser les textes juridiques et philosophiques essentiels qui démontrent que l’usage du mot « terrorisme » est parfaitement approprié à propos des « crimes de guerre » (peut-être requalifiés bientôt en « crimes contre l’humanité » pour une part) perpétrés par le Hamas dans le sud d’Israël, depuis le samedi 7 octobre dernier (opération « Déluge d'al-Aqsa »). Ainsi que dans le cas de l’assassinat du professeur d’Arras, ce vendredi 13 octobre.

Il faut, ici, pour des raisons évidentes, s’en tenir à quelques citations.

Ainsi, à propos du « terrorisme », le philosophe Jacques Derrida écrivait, il y a bientôt vingt ans déjà : « Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales du terrorisme, qu’y trouve-t-on ? La référence à un crime contre la vie humaine en violation des lois (nationales ou internationales) y impliquant à la fois la distinction entre civil et militaire (les victimes du terrorisme sont supposées être civiles) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant sa population). »[4]

De son côté, l'Assemblée générale des Nations unies considère le terrorisme comme suit : « Les actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier. »[5]

Les conventions de l'ONU « pour la répression du terrorisme » donnent un cadre précis pour réprimer certains actes communément considérés comme des actes de terrorisme, tels que les détournements d'avions, les prises d'otage ou les attentats à l'explosif…[6]

Illustration 3

Enfin, une abondante littérature juridique et philosophique permet d’éviter l’usage du cliché inqualifiable qu’« un terroriste pour l’un est un combattant de la liberté pour l’autre ».[7] À ce propos, un livre met à lui seul un point final à une telle argumentation : Gérard Rabinovitch, Terrorisme / Résistance. D'une confusion lexicale à l'époque des sociétés de masse, Le Bord de l’eau, 2014.[8]

De la « confusion lexicale » à la confusion tout court…

À l’époque, Gérad Rabinovitch, répondant à Libération, nous avertissait : « Ne pas distinguer entre terrorisme et résistance participe d’une anomie lexicale générale, destructrice des aptitudes à penser, conditions de l’autonomie et de la liberté. Une telle anomie est conséquence et vecteur d’une ’’carence éthique’’, comme on dit ‘’carence affective’’. Elle habille de surcroît de la légitimité déclarative de ’’résistance’’ une réalité terroriste. »

Ne pas nommer le « terrorisme » par son nom ne relève-t-il pas déjà d’une « carence éthique » ? Et d’une lourde faute politique ?

Antoine Peillon / Le Jacquemart

[1] Hannah Arendt, Crises of the Republic: Lying in Politics; Civil Disobedience; On Violence; Thoughts on Politics and Revolution, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 1972. Traduction française : Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, Calmann-Lévy, 1972.

[2] C'est, en 1992, dans un essai de l’écrivain américain Steve Tesich, publié par la revue The Nation, que le concept de « post-vérité » est apparu pour la première fois. Il y traitait de l’affaire de l’Irangate et de la guerre du Golfe. « Nous, en tant que peuples libres, avons librement choisi de vouloir vivre dans un monde de post-vérité », écrivait-il alors.

[3] Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, coll. Folio, 1972, pp. 327 à 330, dans le chapitre « Vérité et politique ».

[4] « Qu'est-ce que le terrorisme international ? », Le Monde diplomatique, février 2004.

[5] Déclaration de 1994 des Nations Unies sur les « Mesures visant à éliminer le terrorisme international », annexe à la résolution 49/60 de l’Assemblée générale des Nations Unies, « Mesures visant à éliminer le terrorisme international », 9 décembre 1994. Citée par le Conseil de l’Europe, « War and terrorism », sans date : https://www.coe.int/fr/web/compass/war-and-terrorism

[6] ONU, « Texte et état des conventions des Nations Unies sur le terrorisme » : https://treaties.un.org/Pages/DB.aspx?path=DB/studies/page2_fr.xml&clang=_fr

[7] Entre autres : Marsavelski, Aleksandar, « Le crime de terrorisme et le droit de la révolution en droit international » (1er janvier 2013), Connecticut Journal of International Law, vol. 28, n° 241, 2013, disponible sur SSRN: https://ssrn.com/abstract-2329401

[8] https://www.editionsbdl.com/produit/terrorisme-resistance/

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