(Récitatif surgissant d’un sourd murmure, et de cris de voix enfantines)
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JE ME SOUVIENS…
Je me souviens… Oh oui !… Je me souviens de ces après-midi d’été si ensoleillées dans notre village, lorsque je venais te voir, te rendre visite (au cimetière), pour jouer, à côté de toi, maman. Je me souviens de ta taciturne, aveugle, muette demeure, une couche de plâtre (de ciment ?) barrant en toute sa largeur, en toute sa longueur, ta niche. Menaçante, en son Anonymat ! Un anonymat qui envahissait l‘Univers entier, car moi seule je connaissais l’emplacement qui t’abritait, tout en le redoutant !
Néanmoins (je me souviens), lorsque je me rendais auprès de toi, maman, d’une main anxieuse, je m’affairais à disposer harmonieusement mes coquelicots. (Les coquelicots que j’avais cueillis et apportés, pour t’honorer.) Il n’y avait pas de pots de fleurs, à l’époque, dans ce caveau. C’est pourquoi je m’entêtais à bien disposer mes fleurs, que j’avais cueillis dans la liberté des libres champs alentour – à bien les disposer donc sur le sol du caveau. À savoir, à les disposer de la façon la plus vivante possible, sur ce sol si luisant. (Un sol de faux marbre ?)
Un sol que ton frère, après avoir fait raser le caveau de famille (le plus ancien de cette Mortuaire Demeure, régurgitant – il est vrai – de fétides odeurs), après en avoir chassé à jamais toutes les cendres qui s’y abritaient (y compris les cendres de son propre père), le fit rebâtir selon les diktats en vogue dans ces tardives années 50. (Une petite Vierge – en plâtre azur et blanc – dressée sur l’autel, les yeux rivés aux cieux.)
Or, sur ce sol si froid, si lis, mes rouges coquelicots – assoiffés – perdaient hâtivement toute leur vie, toute leur vivacité, laissant tomber, de leurs têtes couronnées, leurs pétale : les uns après les autres.
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