Nuit entre Lundi et Mardi
le 27 et 28 décembre
Très cher Docteur Oury,
je me suis réveillée dans la Nuit noire, et j’ai décidé de vous écrire ce mot, pour vous « conter » la suite pour ainsi dire, que j ‘ai donnée dans mon cœur à notre rencontre de hier matin. Car il me paraît que vous m’avez tout à fait comprise. Intesa, comme on le dirait en un italien quelque peu suranné, ou littéraire, à savoir, le seul italien que j’aime, énormément. (Et je m’enfous éperdument, actuellement tout au moins, de savoir si ces mots–à–moi, ou les corrections que je leur y apporte au moyen de cet ordinateur, pourront être étudiés, ou analysés, car c’est ma PAROLE qui prime dans ces pages comme vous le diriez, Docteur Oury, et comme je l’ai dit moi aussi dans le passé.)
De quoi s’agit–il, donc ? Vous m’aviez dit que les voix–parlers que Torquato Tasso abritait en son sein, et qui s’adressaient à son Génie familier, depuis le tréfonds de sa geôle, étaient comme des (petits ? ) oiseaux qui se tiendraient dans une cage(... dorée, cette cage, quoique munie de véritables barreaux ?), et je vous en remercie vivement. Mais jen’aime pas les cages même dorées, lorsqu’elles sont fermées, à savoir à jamais closes à tout horizon. Et cela, même pour les voix-parlers-oiseaux. Qu’on les ouvre,donc, et en toute vitesse ! ces cages mortifères, et que ces oiseaux–dormeurs,si puissants en leurs bavardages, puissent en sortir, et librements’envoler dans la libre Nature, et par de cieux si hauts. (Si hardis.)
Dans l’espace pourtant fermé de l’Esquirol, dans son si beau jardin fermé, qui me rappelle de si doux souvenirs, les « acteurs agissants » m’ont (comme je vous l’ai dit) m’ont appris plein de choses,surtout sur une certaine réalité sociale d’aujourd’hui, car –auparavant –je ne la connaissais pas (tout au moins, ici, en France, à Paris), ne l’ayant jamais côtoyée de tout près. (À La Borde, en effet, à mes yeux, il n’y a plus de classes sociales.) Mais on a voulu même (tout au moins je le pense fermement), au cours de cette même hospitalisation (mais également après ma sortie), me faire la leçon, me fournissant une sorte d’éducation « sexuo-érotique », avec ses suites de fortes et subites craintes, et, parfois, de violences extrêmes. Une éducation que, pourtant, jamais je n’avais requise, de personne, tout au long de mon existence, car, moi, j’ai toujours rêvé de pouvoir la découvrir et la bâtir,cette connaissance, avec la seule aide de l’être aimé. Ce qui alla jusqu’à provoquer mon premier « délire », ma première désespérante « sortie » de celui qui est conçu comme notre « réel » existentiel.
Or, je fais le point de ma vie, et j’aperçois dans ce « paysage », le pas léger d’un être (de ceux que j’appelle, moi, les humains beings) en quête duquel je me suis rendue d'une manière jamais lasse et, pour ainsi dire, tellement répétitive, l’été passé, à l’aéroport Roissy–Charles–de–Gaulle, comme peut-êtrevous le savez déjà. Un être asiatique (Indonésien, peut-être, comme l’affirmait-il ?), et qui a depuis disparu de mon horizon, mais auquel j’aime beaucoup, parfois, songer, surtout en mes moments d’extrême détresse, et avec lequel, parfois, j’aime discourir, comme on le ferait avec son véritable Génie.
Mais voici que – à l’improviste – l’un de cesparlers irréductibles se réveille tacitement en moi, dans le silence de mon cœur, qui désespère de ne pouvoir jamais retrouver le SILENCE. Un silence vers lequel je tends de tous mes nerfs, dont je ressens fort l’acre nostalgie, et dont je nécessite, si je désire pouvoir un jour retrouver – intacte – ma propre écriture. Car, ce parler, ce redoutable ennemi, me dit que jusqu’à ce que je serais péniblement en train d’écrire oui ! au cours de cette longue si longue Nuit hivernale, en ces moments précis où j’effleure les touches de ce clavier, que même cette écriture donc m’appartiendrait pas (ne m’appartiendrait-elle plus ?), et qu’elle (mon écriture) apparaissant tacitement sous mes yeux, me serait de toute façon à jamais étrangère, étrangère au plis et replis les plus profonds de mon cœur, car elle me serait « dictée » par ce mêmeparler, dont elle (l’incessante voix de ce parler incessant, et qui vous irrite la cervelle) se mêle à ces paroles que je suis en train de tracer sur cevéridique écran. Or, comme vous pourrez aisément l’imaginer, Docteur Oury, je suis un peu égarée dans cette « forêt sombre ». Car cela ne fait, en effet, que m’empêcher en toute écriture, de mon âme jaillissant, à tout docile mouvement du cœur.
Merci de me le dire, lorsque (j’ose violemmentl’espérer !) on se rencontrera en cette fin de l’année 2010, qui a été pour moi si aventureuse, mais également si meurtrieuse,si l’on peut dire, car imbibée de l’eau sacrée du fleuve Léthé.
Bien respectueusement à vous.