J’ai essayé (et je persiste à tenter) de recomposer le puzzle bafoué de ma récente histoire, comme je le peux. Car, tout en ayant demandé de l’aide aux personnes que j’avais côtoyées au moment où « j’ai perdu mon équilibre », comme je le disais (et Jean Oury ne parlera–t –il de perte du « centre de gravité » ?), sauf mes amis les plus chers (qui m’ont été si proches), les « autres » n’ont pas jugé judicieux de répondre à mes mails, tout à fait « raisonnables », et qui, à cause de cette perte de mémoire sur les événements précédant mon placement, demandaient de l’aide, pour « revisiter » et « rebâtir » ensemble, ce désormais « glorieux », et même « fameux » passé.
J’avais donc, à ces moments–là, abandonné toute lecture, mais également toute écriture (sur Mediapart, ou ailleurs), et cela, d’autant plus, à la suite d’un HDT (Hospitalisation à la Demande d’un Tiers) dans un hôpital psychiatrique parisien.
Seule la musique ne s’était jamais éloignée de moi, avant mon hospitalisation. Elle était restée – fidèle – à mes côtés, bien que revêtue de fabuleux habits qui peut–être (je dis bien : peut–être, pour aller à la rencontre d’un regard « normalisé ») ne lui ressemblaient pas tout à fait. À savoir, l’estimant provenant de ceux ou de celles, appartenant à mon entourage amical, entendu au sens le plus vaste du terme, et qui incluait donc aussi mes créateurs favoris, dans les différents domaines de l’art et de la pensée.
Or, la musique, je l’avais retrouvée – intacte – également à la sortie de cet hôpital. Une musique que j’écoutais, dans les différents moments de la journée, très très fort et qui, assez probablement, gênait mes voisins, auxquels j’avais pourtant demandé si je ne devais pas en baisser le volume. On m’avait répondu que non, car il s’agissait toujours de très belles musiques. (Mon entourage avait été très compréhensif avec moi.)
Et, au cours de ce même retour chez moi, j’avais également été aidée par les DVD des films de Mizoguchi, dont la bibliothèque municipale, tout près, est très riche. J’aurais voulu, en effet, écrire un court essai sur l’œuvre de Mizoguchi, mais le plus grand « réalisme » de la prose, pour ainsi dire, était bien loin de moi. C’est pourquoi j’écrivis des poèmes sur l’un de ces films (Les contes de la lune vague après la pluie) que je travaillai longuement, la chose n’étant ni aussi simple, ni aussi évidente, comme l’on pourra facilement imaginer.
Or, dans ce retour dans mon propre terroir, j’étais paralysée par le fort dosage de médicaments qu’on m’avait prescrits à la sortie de l’hôpital, mais que (jusqu’à ce que je le pus) j’appris à « régler » moi–même, tout en mettant au courant – après coup –le médecin qui me suivait à ce moment, et que je voyais une fois par mois.
J’y tenais beaucoup à essayer de me soigner toute seule, tout comme à rechercher (bien que en n’y arrivant pas) à rechercher donc, et à saisir la raison véridique qui m’avait fait « chuter » de nouveau, après une si longue, paisible, et même heureuse existence. Cela, tout doucement et en poursuivant à creuser de mes propres ongles, la terre sur laquelle je me tenais, afin de retrouver mes véritables racines. Ca tout doucement, et en poursuivant inlassablement en moi-même, les épisodes étranges qui me revenaient en mémoire.
Mais seulement depuis peu j’ai réalisé que ce qui obscurcit à nouveau les yeux de mon cœur, ce fut très probablement un deuil que je ne sus pas réaliser dans ma solitude accompagnée de ma seule écriture, et surtout, et en y réfléchissant de près, à cause de la « manière » dont la mort de cet être cher me fut apprise. Sans égard aucun.
Avant tout cela, mon ancien psy (duquel je m’étais éloignée depuis des années), m’avait téléphoné, pour me proposer de se rencontrer. Et moi, je m’y étais rendue, dans son cabinet, car il ne s’agissait pas d’une « thérapie » dont je ne voulais pas (Et je le lui avais dit). Il ne me faisait pas payer, et – moi – bien qu’en m’interrogeant, je ne comprenais pas à quoi ça rimait, tout ça. Ces sortes de conversations quasi mondaines. Jusqu’au jour où il m’annonça la mort de ce philosophe, dont je lui parlais au présent, et à l’existence duquel, je tenais plus qu’à la vie de toute être au monde. Ce fut à ce moment–là que j’arrêtai de me rendre chez ce psy, et que je me mis fébrilement à écrire mon insoutenable souffrance.
Mais, cette fois–ci, l’écriture ne suffisait pas à apaiser mon cœur. Je me rendis au Cimetière où il était enterré. J’entamai une correspondance avec l’un de ses plus chers amis. Mais ma douleur était de plus en plus violente et profonde, et je la niais perpétuellement, au lieu d’en faire le deuil. Un deuil (il faut le reconnaître) que j’étais incapable de réaliser toute seule. Néanmoins, je ne cherchai pas de l’aide, jugeant que – dans l’existence – il faut aussi apprendre à se débrouiller de par soi–même, comme je l’avais fait au moment où j’avais laissé tomber analyste et thérapies.
C’est ainsi que je me mis à cheminer par des sentiers abrupts, et que de vieux rêves vinrent me visiter dànouveau. Sans que je le sache. Sans que je m’en aperçoive. Le rêve, le songe, d’un nouveau (d’un troisième) voyage à Bali, qui surgit en moi, pendant que je feuilletais – éprise – un magnifique livre sur l’architecture balinaise, et où je crus faire face à la photo du Grand Sorcier.
Et voici que je l’achetai mon billet, et, comblée, je montai dans l’avion, pour un voyage que (à mon retour chez moi, après cette hospitalisation qui n’avait pas su faire taire mes voix « souterraines », par moi cachées au corps médical, de crainte qu’on me fasse avaler encore d’autres médicaments), pour un voyage donc que je conterai sur cet écran, l’imprimant dans mon blog. Tout comme j’y ferai paraître le récit de la rencontre que je fis avec le docteur Jean Oury, ne redoutant plus La Borde, où je retrouvai également l’un de mes plus chers amis : Maurice, avec lequel j’ai toujours eu un riche échange de paroles. (De paroles et non de mots.)
Mais, auparavant, voulant me rendre de nouveau à Bali (comme je le raconterai dans mon billet intitulé « RÊVE GENERAL »), je ne fis que me rendre avec de moins en moins de bagages, à l’aéroport, croyant y avoir rencontré le Prince des singes, l’un des étonnants personnages des danses balinaises. Ce fut une période très féerique, très fantastique – à mes yeux – celle que je vécus alors. Elle me sembla aussi une période riche d’aventures....
Or, en lisant plus particulièrement votre texte, Guy Baillon, où vous accusez de « barbarie » « l’imposition » de soins à des humains qui en méconnaissent la nécessité, je ne peux pas ne pas interroger : – A qui donc je faisais du mal ? À moi-même, peut–être, car je ne me nourrissais presque plus, ayant déplacé mes valeurs, et désirant partir, abandonner à jamais ces lieux, ou, tout au moins me révolter, me soustrayant à l’existence que j’y avais menée jusqu’alors. Puisque, tout à coup, par un trop grande douleur, je ne refusais pas seulement les soins, je refusais la vie. (Ici, tout au moins.)
Un psy que j’avais connu par le passé à La Borde, déplacera l’interprétation de ma révolte, n’en connaissant pas la véritable cause, mais croyant la connaître (la « découvrir » ?) par son seul savoir analytique. Sans me rencontrer, sans m’écouter. Il faut dire, tout de même, que je n’avais conté à personne que, à l’aéroport, une fois, j’avais cru voir, parmi une foule de gens, ce même philosophe (par moi halluciné), dont j’aurais dû faire le deuil, et que je crus pour sûr, vivant, dans le déroulement de ce que j’appelais alors, sarcastiquement, le « Grand Jeu ».
Ce sera, finalement, un médecin de l’Hôpital Saint–Antoine, que j’estimais beaucoup, qui réussira à me joindre par téléphone, et à me convaincre d’aller le voir à l’hôpital, où il me conduisit rencontrer deux psychiatres. Je ne saurais pas dire s’ils me parlèrent de la nécessité d’une hospitalisation. Moi, désormais confiante, je me laissais guider, et lorsque, l’on me fit remonter dans l’ambulance, estimant que – finalement – on me conduirait auprès du Prince des Singes, afin que nous puissions partir tous deux pour Bali, je le fis sans broncher.
Mais lorsque, après un assez long parcours, une fois arrivés sur place, je me découvrirai, au milieu de la nuit, dans un lieu tout à fait isolé, sombre, etlaid, le choc fut très très lourd à supporter. Sanglant, dirais-je, sans exagération aucune. Et cela fut – aux yeux de mon cœur mortellement blessé – la preuve quasi inentamable, que véritablement tout le monde m’en voulait, pourchassant fébrilement mes songes d’un libre imaginaire. Cela, même avant d’être enfermée, et de connaître l’une de ces chambres d’isolement, absolument vides, ne fussent leurs barreaux, un lit, et un seau. Là où l’on dit que se déroulent, et se dérouleront ces soins spécifiques que, en psychiatrie, assez joliment, et sans ironie aucune, l’on appelle des « soins intensifs ».....
* * *
(Voici donc, Guy Baillon, que moi aussi, une « usagère », comme l’on dirait, en vous lisant, je me suis ressaisie de la parole. D’une parole écrite, et en prose cette fois–ci, et qui se dit avant ce rassemblement auquel nous sommes tous conviés – incités ? – à participer, afin de nous rendre face au Senat, pour que nous puissions y faire entendre, encore et encore, notre voix. Une voix à jamais discordante d’avec ce malveillant, obscurcissant projet de loi, qui – une fois de plus – veut nous faire taire, en nous emprisonnant par des chaînes funestes.)