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Billet de blog 8 juillet 2023

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L'Empirée. Épisode 2

« Le Royaume s’étendait entre Istanbul, Stockholm, Porto et Dublin. Le Roi conduit au pouvoir par l’orchestration de la peur y régnait en maître absolu, lançant sa redoutable police à la poursuite des dissidents et des esprits libres. C’est l’histoire de son ascension et de sa chute que je vais vous conter ». Je vous offre la lecture de ma novella « L'empirée » en douze chapitres, douze semaines.

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2

            Trois jours plus tard j’emménageais au palais Versatilia. Les couloirs rehaussés de dorures n’en finissaient pas, revêtu de ma tenue bleu nuit, je faisais l’admiration des courtisans non encore ennoblis. Le très beau velours gaufré était agréable à porter, j’avais la sensation d’être vêtu d’espace. Mes appartements, comme promis par le Roi, jouissaient d’une très belle vue sur les jardins et les fontaines et les lacs. Seuls les Ministrelles et leurs conseillers pouvaient conduire les petites voitures de golf qu’on empruntait et abandonnait à son gré.

 Chacun, en fonction de son grade et de la proximité du Roi portait des vêtements excentriques desquelles jaillissaient les couleurs orchestrées par Vincenzo. Partout des valets en livrée grise et en gants blancs se pressaient guettant nos moindres désirs. En tant que Grand Nocturne, chroniqueur du Roi, je pouvais assister au lever du Roi. Souvent très excité à ce moment-là, à peine quitté par ses mignons, il proposait lois et édits à sa première Ministrelle, toute de soumission et d’onction, dans une pause légèrement inclinée, elle attendait les ordres et ne discutait jamais.

Le Cardinal était lui aussi admis dans le cercle restreint des favoris. Proche du Pape, italien, un charmant accent, le regard acéré et d’une grande perversité, il scrutait les êtres pour sentir toute faille qu’il pourrait exploiter. Il était parfois accompagné de la Cheffe de la police vêtue de rose et des trois inquisiteurs portant la toge noire et le chapeau pointu qui les rendaient plus grands, plus menaçants. Après les premiers ordres donnés, les premières élucubrations, les Suisses munis leurs hallebardes, ouvraient la grande porte et les courtisans entraient les uns après les autres, chaussés de patins à roulettes, ils arrivaient le cul découvert, slalomant en retro patinage vers le Souverain qui n’autorisait pas qu’on présente son visage à moins d’être anobli.

Les Messagères, trois jeunes filles envoyées par la Reine de diablesses, se promenaient dans le palais, invisibles, rouges, transparentes, souriantes, malignes, nues comme des elfes joyeux. Elles entraient et sortaient à leur gré, caressaient parfois un personnage qui ne s’en rendait pas compte et levait les yeux au ciel comme si un papillon de nuit l’avait effleuré. J’étais le seul à pouvoir les contempler.

Au lever du Roi se jouait un ballet d’espoirs et d’ambitions parfaitement orchestrés par le souverain. Chacun espérait un mot, une remarque, un regard. Les visages des pleutres s’animaient se masquaient de cires comme dans le théâtre antique. La peur se lisait dans la raideur des corps, tous ne savaient pas exécuter les périlleux demi-citrons enchaînés dont les courbes permettaient d’acquérir de la vitesse. Tomber était l’assurance de la disgrâce. Le Roi s’extasiait : « Quelle merveille de voir ces culs s’approcher ! Venez à moi mes enfants ! Rien de plus aérodynamique qu’un cul, l’air glisse avec grâce sur les formes arrondies alors qu’il s’arrête sur un nez proéminant, une mâchoire carrée, une prétention. Le cul est la plus belle invention de Dieu, forme parfaite que les patineurs lancent vers moi avec vitesse et fulgurance. » Et le Cardinal enchaînait en aspergeant les culs d’eau bénite à l’aide de son goupillon : « Je vous bénis, culs brillants, au magnifique modelé ! »

Le Roi s’enquit de la progression de l’enquête et de la prochaine capture de la Reine des diablesses rouges. Le Cardinal et l’Inquisition progressaient mais il y avait un écueil : Les terroristes se coupaient la langue pour ne pas parler sous la torture. « Faites-les écrire, hurla le Roi ! »

La première Ministrelle dans sa fadeur empruntée et craintive ajouta qu’elle avait une taupe chez les terroristes mais que sa peau conservait très mal la couleur rouge, qu’elle palissait de jour en jour. La Reine l’avait sans doute retournée à son profit. Aujourd’hui grise, portant couleur, elle se fondait dans la masse des courtisans.

Le Roi se leva de son lit, il portait un pyjama argenté et s’approcha d’un cul cuivré aux formes délicieuse. Il demanda à l’élu du jour de se retourner, grâce rarement accordée. Le Roi avait la certitude qu’un cul ne saurait mentir. Le Pizzaiolo se retourna, exhibant sa peau ambrée, sa chevelure noire bouclée, ses yeux de lave aux mille éclats, sa musculature harmonieuse, une pépite napolitaine comme on en voit dans les films de Pasolini. Il assura le Roi de sa double vocation, faire les meilleures pizzas de Naples et offrir d’incomparables fellations. « Aux cuisines et dans mon lit ce soir ! Je vous ferai construire un four selon la tradition napolitaine. Retirez-vous ! » cria le Roi.

Les courtisans sortirent en une sinueuse procession, la grande porte se referma. Le Cardinal demanda timidement s’il pourrait en jouir également, le Roi posa une condition : Faire venir le Pape à Versatilia. Le Roi avait un grand projet en tête.

Pendant ce temps, je m’appliquais à rédiger mes chroniques à la gloire du souverain, en deux versions, l’une terriblement critique, l’autre mêlée d’onguents parfumés au cinabre, à l’encens et à la myrrhe que je lui livrais chaque matin et qui le faisait roucouler d’aise.

Le Roi apprit que le Pape détestait le patin à roulette mais qu’il prisait au contraire le patin à glace, il avait fait construire au Vatican une patinoire dans la cour du Bernin et seuls les cardinaux qui savaient patiner, jeunes et beaux, avaient grâce à ses yeux. Les vieux cardinaux stratèges, jaloux et diaboliques avaient été relégués dans les culs de basse fosse de forteresses oubliées sur des îles lointaines où ils pourrissaient en gémissant.

Jeunesse, intelligence et beauté. La nouvelle norme. Les ambitions du Pape se confondaient dangereusement avec celles du Roi. Vivait-on au dix-septième siècle ou dans un futur lointain ? Le Roi voyait le Pape comme le ciment de sa gloire infinie. Le Pape voulait neutraliser le Roi. Pour s’attirer les bonnes grâces du pontife, le Roi demanda au Cardinal d’organiser une grande célébration et promit une patinoire à l’entrée du palais ainsi que de rennes pour tirer le carrosse du Pape jusqu’à lui.

« Retirez-vous, sauf le Grand Nocturne ! » dit le Roi.

            Une fois les portes refermées par les Suisses, le Cardinal congédié d’un geste, je me retrouvai seul face au souverain. Un serviteur apporta du café et des croissants, nous nous installâmes à la table qui faisait face aux jardins. Le Roi adorait les croissants, il savait que le pâtissier français de l’Empereur les avait créés pour honorer le sultan d’Istanbul. Les croissants aériens à l’enveloppe croustillante fondaient dans la bouche. Nous restions silencieux, tout à la dégustation du café aux fins arômes de chocolat et de citrus, partageant la passion du croissant. Après un long silence, le Roi me raconta ses débuts et son ascension vers ce destin fabuleux :

« Il n’y a qu’un vrai Dieu, Mammona. C’est une créature étrange, androgyne, albinos, adipeux, au regard rosé, c’est lui qui tient tout en Amérique. Il viendra, vous le rencontrerez. Seul l’or l’excite et il possède tout l’or du monde. Très jeune, mon sang royal l’attira. Il voulait rétablir la monarchie et surtout qu’elle soit dans sa main potelée. Il me fit donc venir à New York à la fin de mes brillantes études à Vienne et me prit sous son aile. Il me trouvait racé et délicieux mais il ne m’encula jamais. J’étais pourtant prêt à tout. Je compris rapidement que l’or était la clé du pouvoir et pour l’obtenir, j’étais disposé à devenir son esclave. J’ai de petites tendances masochistes comme vous le découvrirez. J’aime me faire fouetter parfois, sentir le sang qui circule à grande vitesse, la peau qui s’enflamme ! Mammona est un grand stratège. Je vais vous résumer sa théorie du pouvoir absolu. Tel un Dieu antique, il dominait la planète de son obésité vibrante. Lorsqu’il faisait main basse sur une fortune, un état, sa chair se mettait à trembler dans une extase impressionnante. Des mots inventés sortaient de sa bouche dans le plus grand désordre, à l’humidité qui envahissait son pantalon, je comprenais qu’il jouissait. Il contrôlait tout. Les Rois, les Reines, les présidents. Il fut même anobli par la Reine d’Angleterre, ma marraine. Tel un marionnettiste génial, il tirait les ficelles et faisait danser les grands sur la scène du théâtre du monde. Il y avait une progression dans sa stratégie. D’abord, acheter tous ceux qui pouvaient l’être et leur nombre est infini. Tous azimut. Chercheurs, personnages d’influence, scientifiques, journalistes. Faire main basse sur la presse. Rien ne le satisfaisait plus que de voir un grand journal aller à contre-courant de ce qui avait fait sa réputation et publier ce qu’il ordonnait. Au début, disait-il, ils résistent un peu. Vous en expulsez quelques-uns et les autres se livrent rapidement à l’autocensure. Ce n’est même plus nécessaire de leur donner des ordres, ils devancent vos souhaits, c’est merveilleux. Les télévisions du monde entier délivrent ses messages. Créer ensuite une peur ultime qui permette d’enfermer la population et en passant en tue une petite partie. Trop de bouches à nourrir. Un bienfait écologique ! Le pouvoir de l’or et l’or au pouvoir, c’est ma devise !»

Le Roi était très excité d’évoquer son mentor, il frémissait de la tête aux pieds. Il s’emportait, son débit devenait rapide. Il buvait quelques gorgées d’eau ou de café puis reprenait : « Mammona est répugnant, je vous avertis. Heureusement, il n’aime pas les garçons mais seulement les très jeunes filles, vous pourrez lui baiser les pieds sans crainte de vous faire sodomiser ! Mammona avait une bonne connaissance de l’histoire. Il admirait tous les dictateurs mais leur trouvait un manque d’intelligence, ils se laissaient, d’après lui, emporter par l’orgueil et commettaient des erreurs qui les conduisaient à leur perte. Il eut l’idée géniale de créer un goulag mental duquel personne ne s’échapperait. Beaucoup plus facile à organiser et pas d’évasion. Renforcer la stupidité du peuple par une série de stratégies. D’abord instaurer la peur, et aucune n’est plus profitable que la peur de mourir. Enfermer la population, pousser à la délation, rompre le tissu social en divisant. Obliger à se masquer, plus d’expression, plus d’échange. Imposer des prises de substances dont la composition est à jamais mystérieuse. Cacher les effets secondaires, faire une propagande incessante. River le peuple sur son canapé devant la télévision qui chaque jour dénombre les morts et fait engraisser les vivants. Sans compter les faillites, les dépressions et les suicides. Réduire l’activité, l’accès au sport, les fêtes surtout et les réunions. Ce que nous avons fait avec succès ! Mais il y a plus raffiné dans la création du goulag mental. Donner sans cesse des informations contradictoires, rompre la logique et le raisonnement par des injonctions toute plus absurdes les unes que les autres, jusqu’au moment où le peuple, las d’essayer de comprendre, s’en remet à l’autorité et ne prend plus aucune initiative. C’est exactement le programme que j’ai appliqué. Regardez-les, ils sont dans l’incertitude. Ils attendent les derniers ordres et obéissent. C’est une merveille. Parmi les conseils judicieux de Mammona, il y a celui qui me semble très astucieux : toujours s’entourer de Ministrelles au passé douteux, corruption, mensonge, violence, escroqueries, viols, pédophilie, abus en tous genre afin de les tenir par les couilles, si je puis dire, en les protégeant d’une justice largement achetée, elle aussi mais en la décriant pour l’affaiblir. Mammona est un génie, dommage qu’il soit si répugnant. Il avait fait inscrire en lettres d’or une maxime de Paul Valéry sur le sol de marbre de son gratte-ciel : « Le mensonge et la crédulité s’accouplent et engendrent l’opinion. »

Parfois je regrette de ne pas être français, trop de sang royal dans mes veines ! J’aimerais aussi être Aztèque, ah ! la beauté des sacrifices humains !  Ce n’est pas que nous ne sacrifions pas, mais la tuerie est terne. Il n’y a pas de théâtralité du sang, pas jusqu’au jour où la Reine des Diablesses sera entre les mains des Inquisiteurs et du bras séculier. Je ferai composer un opéra de sa torture. Elle parlera sous la question ! Mammona est sans âge et croit en l’éternité. Il finance toutes les recherches ayant pour but d’y accéder. Une vision pyramidale. Une civilisation fondée sur la peur mais secourue par l’idée que les Parfaits deviendront éternels avec un peuple d’esclaves renouvelable à l’infini, sans aucune velléité de révolte. Nous en sommes tout proches, Grand Nocturne. Les premières expériences sont très prometteuses. »

            J’objectais que le peuple dans son grand désarroi et sa tristesse était fasciné par la Reine des diablesses rouges et ses ambassadrices. Le Roi avait interdit qu’on en parle, qu’on montre les rares images qu’on avait d’elles. Pourtant, je les voyais évoluer avec charme fortes de leur invisibilité magique ! Le Roi se réjouissait de leur procès, il voulait le mettre en scène, La Reine et ses partisanes, dans un grand opéra sanglant que toutes les chaînes de télévision du monde diffuseraient en direct. Il imaginait que de Lhassa à Tombouctou la terre entière jouirait de son triomphe.

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