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Les gardes annoncèrent l’arrivée de Don Berloni, l’un des mentors du Roi, avec lequel il entretenait un rapport privilégié. Le Roi se rendit immédiatement sur la grande terrasse qui dominait l’accès à Versatilia. Il vit une immense bite de verre illuminée comme un sapin de noël dans lequel dansaient de très jeunes filles nues suspendues dans l’espace par d’invisibles fils. Les anges de Berloni, gracieuses et impubères souriaient de l’extravagance d’un homme qui n’était plus un danger pour elles. Au niveau des testicules de verre, un imposant fauteuil rose en forme de vulve soutenait tant bien que mal le corps robotisé de Berloni. L’immense bite tirée par un attelage d’autruches progressait lentement vers le Palais. Le Roi, agitait la main, comme un enfant. Don Berloni lui avait tant appris. Son cynisme, son habileté, sa perversion avaient été un modèle pour le Roi dont on pouvait lire l’émotion.
Don Berloni était un héros d’opérette, adoré par la frange la plus stupide du peuple. Les bras levés, il saluait de gauche à droite, le sourire figé par ses maxillaires en titane et ses lèves gonflées à l’extrême par les injections de butox. Il avait fait tailler dans son pantalon une protubérance de tissu pour qu’on puisse remarquer qu’il bandait perpétuellement. Nul n’était plus fier de sa bite de silicone. L’ancienne, en décomposition avait été adroitement tranchée par son chirurgien fétiche. Don Berloni avait une capacité à survivre à toutes les avanies chirurgicales. Les courtisans entouraient le Roi, ils exultaient de l’extravagance de Don Berloni, forçaient un peu les louanges pour plaire au souverain. Le peuple grisailleux contemplait l’apparition, oscillant entre la colère et l’abattement. Don Berloni ne craignait pas d’être à la frange de la folie.
Le convoi s’immobilisa, les autruches battaient des ailes pour se rafraichir après l’effort. Don Berloni, aidé par de vigoureux jeunes hommes, descendit de sa bite de verre et se laissa tomber sur la chaise à porteur de bleu velours. Le Roi descendit l’accueillir. Il se pencha pour serrer Don Berloni dans ses bras : « Bienvenue Don Berloni ! »
« Pas mal ton Palais Versatilia. Tu as bien compris mes leçons. » Le Roi n’avait pas une once de charisme, il s’aplatissait devant les puissants, les extravagants, les assurés. Dans ces moment-là, il avait le visage d’un adolescent apeuré. Il fuyait devant le danger. Se cachait sous les jupes du temps.
« Une pizza à la truffe, cher ami ? »
« Pourquoi pas, le voyage en bite était long, mais une foule considérable sur tout le trajet. Je suis toujours leur héros, ils ne m’ont pas oublié malgré les guignols qui m’ont succédé. Je me suis fait faire des injections de lait de sirènes capturées dans la mer Égée, elles me tiennent en pleine forme. Je t’en ai rapporté quelques ampoules. »
« Qu’est-ce qui te ferait plaisir ce soir ? »
« Un bon dîner et quelques pucelles. »
« Toujours pas de cul ? »
« Le cul des pucelles oui mais pas les garçons. J’ai presque cent ans, entièrement automatisé, trop tard pour changer. »
« Pas de pucelles au Palais mais j’en ferai chercher par la Cheffe de la police. »
« J’en ai vu trois à peine passées les grilles du palais, jeunes, souriantes et jolies, rouges, presque transparentes. Il me les faut ! »
La Cheffe de la police s’approcha à la commande du Roi.
« Trois pucelles rouges ont franchi les grilles du Palais. Cherchez, ramenez ! »
« Je suis au courant de tes dernières réformes spectaculaires. Je ne suis pas étonné que toute l’Europe te suive. En fait, je suis venu pour t’encourager à faire un pas de plus, le pas ultime du pouvoir : L’Empire !
Le Roi rougit, tout son corps s’agita d’aise, une transe légère s’empara de lui, il commença à faire des mouvements involontaires qui le transformèrent en marionnette désarticulée et comme le pouvoir du Roi était absolu, les courtisans l’imitèrent. Une joyeuse danse de Saint-Guy s’empara des corps et des âmes. J’assistai au spectacle avec un regard amusé. Il y avait parfois dans l’hystérie royale des moments du plus haut comique. Le Roi se mit à crier :
« Magnifique, j’aime ta vision panoramique de l’histoire. L’Empire, oui ! »
Le chœur se mit à répéter en chantant les mots du Roi. Il les fit taire d’un geste. Don Berloni voulait parler.
« Je suis là pour faciliter ta relation avec le Saint-Père, nous sommes très proches. Il te sacre, tu deviens l’unique ! »
« Dieu lui-même ! »
« Il faut conserver l’abstraction de Dieu, mieux vaut être son porte-parole que Dieu lui-même. Le peuple a besoin de transcendance. »
« Antoni, Grand Nocturne, qu’en pensez-vous ? » demanda le Roi.
« Don Berloni n’a pas tort, il est toujours utile d’avoir un ultime refuge. »
« Je viens aussi par requête du Pape, il a entendu parler des Diablesses Rouges et pour redonner de la puissance à la Sainte Inquisition, il aimerait beaucoup qu’elles soient envoyées au Vatican après leur capture. En fait c’est l’une des conditions qu’il pose à ton sacre. »
« Quoi ? Je rêve ? Des conditions ! Des conditions ! A moi, le Souverain suprême ! »
« Mets-toi à sa place, l’Église parle du Diable depuis deux mille ans mais personne, à part quelques délirants, ne l’a jamais vu. Et sous forme féminine, quelle aubaine, j’espère moi-même leur faire subir quelques outrages. Nous rêvons tous les deux de les mettre à la question. Voir le Diable en face, s’il existe ! »
« Un mythe. »
« Reconnais qu’il t’obsède. »
« Des filles, non… Satan serait un beau mâle rouge que je serais porté à croire en lui, mais des filles... »
« Fille ou garçon, si tu le captures, tu voudras bien me le remettre que je l’enferme dans ma bite de verre et que je traverse toute l’Europe pour l’exposer aux foules ? »
« Ah, c’est donc ça, cette fabuleuse bite de verre par laquelle tu m’as surpris ?
« Grandeur et décadence, c’est tout notre monde. »
« Et si je conviais le Pape à l’Opéra Royal, pour un spectacle digne de ce nom, le Sacre de l’Empereur et le grand spectacle de l’Inquisition ? »
Don Berloni appela le Pape. Il était détendu, il parlait à un ami de longue date. Le pouvoir et l’argent, deux compères éternels.
Le langage corporel de Don Berloni dénotait une assurance absolue. Il riait aux réponses du Pape et peu à peu, il le fit glisser vers un accord. Il avait tout à gagner de s’unir à L’Empereur comme L’Empereur avait tout intérêt à ne pas faire du Pape son ennemi. Chacun le comprenait.
Le Roi écoutait Don Berloni, impressionné par ses qualités de négociateur.
Il fut entendu que le Pape viendrait mais il voulait repartir avec la Reine des Diablesses et ses servantes pour les exhiber à Rome. On avait beaucoup parlé du démon mais personne, hormis quelques délirants, ne l’avait jamais vu. L’effet de cette apparition renforcerait la foi. Le Pape ne voulait pas de mise à mort à l’Opéra. Don Berloni réussit à le convaincre d’exhiber les corps embaumés et placés dans des coffres de verre au Vatican. Toute la ville et les fidèles du monde entier pourraient ainsi défiler devant la momie rouge, voir le mal, espérer le bien et adhérer à la foi.
Don Berloni jubilait très fier d’avoir réussi à concilier ces deux ego monstrueux. Je lui reconnaissais une certaine habileté à négocier. La Cheffe de la police entra, triomphante. Trois gardes suisses poussèrent sans ménagement les jeunes filles devant le Souverain. Il s’agissait bien des messagères de La Reine des Diablesses, comme je le craignais. Le Roi prit une voix mielleuse et hypocrite.
« Bienvenue dans mon royaume mes chéries. Quel âge avez-vous ? D’où venez-vous ? Quelle est votre mission en pénétrant au palais sans autorisation et sans porter la combinaison réglementaire grise ? Je vois des roses sur l’imprimé de vos robes…
Don Berloni s’extasiait.
« Magnifique, mirifiques petites, innocentes et exhalant un doux parfum de rose. Ah ! Délices à venir ! »
Le Roi invita l’une des messagères à s’assoir sur ses genoux et caressa sa belle chevelure.
« Parlez, mon enfant… »
“Crapitez loc bar e pripitacée clam otraz fluidita en ki to ba rutru da piki tor del aliou felou!”
Le Cardinal blêmit. Il se signa trois fois et balbutia :
« Le langage de Belzebuth ! »