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Tout était prêt pour le sacre : le manteau d’hermine, le sceptre, la main de la justice, l’anneau et la couronne. Le Roi et le Pape n’avaient pas encore fait leur entrée solennelle. Le Cardinal et les Inquisiteurs veillaient aux détails. Les Messagères jouaient, insouciantes et lumineuses au sein de cette agitation. Les Contrebassistes s’installèrent. Les Gardes Suisses tenaient la porte fermée. Les Ministrelles donnaient des ordres dans le plus grand tumulte. Le Pizzaiolo s’extasiait. Il était probablement le seul à ressentir la sacralité de toute chose, son regard s’attardait volontiers sur le moindre détail, il ne courait pas d’un objet à un autre et pouvait diriger tous ses sens vers la plus simple expression de la beauté.
« La pizza du Sacre sera la plus belle pizza de tous les temps, pizza historique, pizza gastronomique, pizza cardinale, papale, royale, impératrice. Dansant parmi les tomates cerise du Vesuvio, dans le lait mozzarelesque, le thym, l’huile vierge, danseront les homards dénudés, sur une crôute cosmicocroustillante, une pizza de sept mètres de long, portée par des anges couleur d’un profond sugo, épais et délicieux. La pizza des Dieux et des Déesses de l’antiquité, pizza grecque, pizza latine, pizza de Constantinople, pizza des îles Malaya, pizza du cosmos, pizza de Mars et de Vénus, pizza de l’amour, pizza du cœur flamboyant de notre nouvel Empereur. »
Emporté par le lyrisme du Pizzaiolo, l’agitation cessa un instant. Les regards gourmands convergèrent vers le Pizzaiolo qui jouissait de sa gloire momentanée.
Le Cardinal chanta la chanson de David Bowie, accompagné par le Chœur et les contrebassistes et une section rythmique improvisée sur les casseroles, les meubles, les portes et les fenêtres.
I, I will be king
And you, you will be queen
Though nothing, will drive them away
We can beat them, just for one day
We can be heroes, just for one day
Le Roi entra enfin, il tenait le Pape par la main. Immédiatement, tout le monde se tut. Le Roi et le Pape se dirigèrent vers les trônes dorés, les courtisans vêtus de couleurs vivres et sans leurs patins, s’inclinèrent profondément. Les Contrebassistes produisaient le son gris, les trompettes sonnèrent.
Le Pape vêtu de blanc, portant la tiare, avait retrouvé sa superbe. Le Roi montrait des signes de fébrilité comme un adolescent qui reçoit son premier train électrique. Il s’agenouilla devant le Pape après avoir vérifié que la camera le filmait bien.
« Sur ce trône de l’Empire que vous affermisse et que, dans son royaume éternel, vous fasse régner avec lui, Jésus-Christ, Rois des Rois, Seigneur des Seigneurs, qui vit et règne avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles » dit le Pape.
Le Pape et le Cardinal semblaient chercher quelque chose, ils scrutaient l’espace.
« Où est la colombe ? » murmura le Pape.
Le Cardinal, le regardait le ciel :
« Colombe ? Colombe ? Saint-Esprit ? Les huiles saintes pour l’onction ! »
Devant l’absence de colombe, le Pizzaiolo fut rapidement transformé en ange par les courtisans, costume blanc scintillant et ailes battantes. Le Cardinal lui confia les saintes huiles. Il volait gracieusement vers le pape et lui confia la Sainte Ampoule.
« Le monde entier vous regarde, Majesté ! »
Le Pape versa un peu d’huile sainte sur une patère que lui tendit le Cardinal. Il la flaira en fin connaisseur.
« Première pression à froid, Syracuse. Enfin le ciel ! »
Il commençait à oindre le Roi : le sommet de la tête, l’épaule droite, l’épaule gauche, le cœur, le bras droit, le bras gauche.
« Passons maintenant à la confession, Majesté. »
Le Roi semblait chercher quels méfaits véniels il pourrait bien confesser.
« Dans mon enfance, je me souviens d’avoir volé des cerises dans le jardin de ma voisine. J’ai aussi dégonflé les pneus de bicyclette d’un rival qui récitait fort bien les poèmes de Louise Labé et dont j’étais jaloux. Et le chocolat, j’en ai dérobé plusieurs plaques alors que la propriétaire de l’épicerie me coupait des tranches de mortadelle et de salami.
« Ah, mortadelle de Bologne et salami de Parme… Mais mon fils, pas de péchés de chair, en imagination ou en acte ? »
« Quelques branlettes, quelques pipes, comme tout un chacun. »
« Et la sodomie ? »
Le Roi se mit à rire :
« C’est venu après le chocolat. »
« Pas de crime plus grave ? »
« Non, j’ai toujours été un gentil garçon… J’ai bien tiré les nattes et les tresses des filles quelque fois… »
Mammona qui était resté discret intervint.
« Absolument, je souscris et je condamne fermement tous ceux qui veulent nous faire croire qu’il y a un complot. Un complot, par définition est ourdi dans le plus ténébreux secret alors que nous avons toujours dit très clairement que ne voulions que deux choses, le fric et le pouvoir, et nous les avons. »
« Et l’éternité ! » dit le Roi dans l’enthousiasme.
« Dès que nous aurons réglé son compte à la Reine des Diablesses ! » dit Mammona.
Le Pape et le Cardinal se signèrent.
« C’est presque un blasphème. »
« Le cadeau de la colombe, viens ici mon mignon ! »
Le Pizzaiolo s’approcha et se mit aux pieds du Roi qui caressait ses boucles noires, son front et ses paupières.
« Et les violences ? »
« J’ai lâché la bride au bras séculier mais depuis qu’ils portent le rose, ils sont à nouveau aimés de la population. »
« Vous avez été un Roi exemplaire, je vous absous de tous vos péchés.
Il fit le signe de la croix au-dessus de la tête du Roi.
« Ah… Je me sens virginal, pure comme la colombe, pure comme toi, mon pizzaiolo ! »
« Vous pouvez maintenant communier, Majesté. »
« Bénissez la pizza, ce sera plus goûteux. »
“Si ! Si ! La Santa pizza!”
“Combien de pays en direct, Ministrelle ? »
« La planète entière ! »
« Passons à la suite ! »
« Il faut que vous fassiez semblant de vous endormir, Majesté, et de vous éveiller à votre nouvelle vie. Je vous remettrai alors les insignes du pouvoir absolu. »
Le Roi fit mine de s’assoupir quelques instants puis il s’éveilla en toute innocence, le visage rayonnant et frais. Le Cardinal et les Inquisiteurs apportèrent l’épée de Charlemagne, l’anneau, le manteau d’hermine, la main de la justice, le sceptre et la couronne posés sur des coussins de velours rouge.
« Je te transmets l’anneau sacré… L’épée de Charlemagne qui portait le doux nom de « Joyeuse ».
Le Roi jouait avec l’épée comme s’il allait trancher la tête du Pape qui se baissa pour éviter la lame. Le Pape lui enfila le manteau d’hermine ce qui obligea le Roi à lâcher « Joyeuse ».
« Attention ! Je poursuis. Le manteau d’hermine. La main de la justice. Le sceptre surmonté de l’aigle du pouvoir sur les trois mondes. »
Le Roi brandit le sceptre et affola tout le monde.
« Vous êtes une sacrée bande de trouillards, seul mon ange n’a pas bronché !
« Et maintenant, la couronne ! Enlevez la verdure !
Le Roi enleva la couronne de lauriers. Le pape lui mit la lourde couronne qui s’enfonça un peu trop et glissa jusqu’à son nez. Le Pizzaiolo, la coinça avec un gant, le Roi, soulagé, lui adressa un regard langoureux.
“VIVAT IMPERATOR IN AETERNAM!” dit le Pape.
Le Chœur et les courtisans, tous ensemble.
« Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! »
« Et maintenant, le serment, Majesté… »
Le Roi, très solennel :
« Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de l’Empire, de respecter mes lois et la liberté d’obéir ; de respecter et de faire respecter l'inégalité des droits, la pseudo-liberté politique et civile, l'irrévocabilité de chacun de mes ordres et de mes désirs, je jure de protéger les plus riches et de soumettre les autres au travail continu ; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe puisque je prends le fric et nourris mon peuple ; de maintenir toutes les mesures délirantes que moi, mes Ministrelles et mes conseillers pourront prendre au gré de nos folies ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt de mes amis et de Mammona. Bonheur et gloire des plus friqués. Et comme c’est mon sacre, glace vanille fraise décolorée pour le peuple ! »
Le Pape pointa un détail :
« Promettez-moi qu’on pourra garder la bouffe italienne et pas vos trois cubes viande-poisson-légumes… »
« Je vous l’accorde. »
Toute l’assistance faisait la queue devant le souverain.
Et maintenant, venez me lécher le bonbon !
Le Cardinal reçut un messager.
« Imperatore, tout est prêt dans la grande salle de l’Opéra royal, la Reine est immobilisée, le brasero rougeoie, nous pouvons enfin vous offrir la primeur de ce spectacle. »
« Ah ! L’inquisition, quelle merveilleuse invention. Torturez est plaisant, surtout les femmes, plus courageuses, elles soutiennent la question plus longtemps. Nous avons brûlé quelques millions de sorcières, dès l’âge de quatre ans et surtout toutes les femmes nobles dont les époux étaient tombés aux Croisades afin de leur confisquer leurs biens, leurs terres, leurs châteaux. Notre fortune et nos possessions se sont accrues immensément pendant ces siècles d’or grâce à la reconquête du tombeau du Christ. Nous allons enfin éradiquer le démon de toutes les âmes féminines ! »
Le Roi coula dans une transe soudaine, il gesticulait comme une marionnette.
« Je pourrais interdire les femmes ! Quelle grande idée ! Première mesure de l’Empereur ! »
« Pas tout de suite, l’utérus artificiel n’est pas encore tout à fait au point. » dit Mammona.
« Je sursois à cette mesure pour l’instant mais quelle brillante idée ! »
« Ne perdons pas de vue l’éternité. Il suffirait de l’interdire aux femmes pour qu’elles s’éteignent progressivement. »
« Comment allons-nous procéder pour atteindre cette éternité ? »
« Tout est prêt pour l’expérience, nous avons les caissons étanches et transparents de l’hyper congélation dans lesquels ceux que le souverain aura choisi pourront entrer.
« Combien de temps devrons nous rester là-dedans ? »
« Le Professeur Curzio d’Amore présidera en personne la cérémonie. Seulement trois jours et la résurrection, la vie infinie ! »
« Faites disposer les caissons. Je nomme à la réincarnation mes plus fidèles compagnons d’arme : Le Pape, le Cardinal, le Maître de Chapelle, la Ministrelle de la manipulation, mon fidèle Pizzaiolo, Don Berloni, la Cheffe de la police, La première Ministrelle. Faut-il être nu ? J’aimerais garder mon Damart, je n’aime pas la glace. »
« Le mieux est que la peau soit en contact avec la glace autrement vous pourriez avoir des fissures quantiques. Il faudra aussi que tout le monde se retire, l’éternité a besoin de silence. » dit le Professeur Curzio d’Amore.
Le Roi respire vivement et crie :
« Silence ! Eternité ! »