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Billet de blog 3 novembre 2025

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ET LE TEMPS VENU

L'inédit de la séquence politique dans une recrudescence des nationalismes obligent à dépasser la simple opinion pour concentrer la prise de parole sur l'analyse et la recherche d'alternatives. Après avoir acté la rupture démocratique, en tirer les conséquences au niveau gouvernemental, citoyen, et environnemental. À partir de ce postulat s'articule un nouveau paradigme républicain.

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La France n'échappe pas à la fièvre des nationalismes; les barrages n'ont pas suffit. Partout se sont infiltrées par les moindres porosités les vagues successives. Soyons réalistes : ils tiennent encore; érodés. À leurs pieds s'amassent des monticules de débris, la fragmentation progressive du cordon républicain sous la mitraille d'assauts coordonnés. Voilà ce qu'il reste aujourd'hui. Des ruines. Du sable. En terrain conquis l'opposition doit être liquide et solifluer dans les interstices fragiles du rouleau-concasseur populiste; elle doit se mouler et se déformer, labile, ductile, pour à la première pluie se solidifier, devenir béton, devenir mortier, pâte étouffante, visqueuse; un serpent minéral qui une fois ses anneaux contractés sait attendre; attendre, et tenir. Tapis dans l'ombre il sait reconnaitre d'une certitude qui ne se trompe pas l'instant décisif, et le temps venu...

Certes les allégories font de belles fables; passons.

Le système démocratique français est à terre, qui pour le nier, le pacte est rompu. L'Assemblée tripartite déboute automatiquement les propositions éhontées du gouvernement. L'unité présidentielle n'est pas apte à englober des antagonismes si profonds qui eux-mêmes sont incapables de se concilier. Il n'y a que des intérêts convergents, principalement celui de nuire au pouvoir présidentiel, qui aigrement les allient. Au-dessus, le peuple, l'abstention, premier parti de France qui fausse largement la représentativité des élus au sein de l'appareil étatique. Le spectacle du scrutin présidentiel attire aux urnes – majoritairement au premier tour — une population non-politisée qui se détourne des autres élections. Cet écart manifeste – NONOBSTANT LES VOTES BLANCS ET NULS – qui avoisine les 30% et dépasse les 50 pour les scrutins locaux et européens, accentue le sentiment d'illégitimité vis-à-vis d'une population déjà engrenée dans un large mouvement de découplage avec les élus.

Sur ce terrain déliquescent l'économie capitaliste, qui ne cesse d'instiller toujours d'avantage sa compétition et sa prédation dans toutes les sphères de la vie, de l'intime jusqu'au géopolitique, parachève d'attiser la défiance, l'insécurité. Il y a une crainte, réelle et terrible qui court le peuple, de la fin du mois, du déclassement, supputé ou manifeste, qui lui a fait perdre confiance dans les institutions de l'État sensées le prémunir de la précarité et du dénuement, du malheur.

C'est une démagogie de parler de démocratie lorsque plus de 12 millions de citoyens s'en émargent sciemment. Ce n'est plus un parlement lorsqu'il n'y a plus de discussions. Que l'on ne s'y trompe pas : les extrêmes ne sont pas aux porte du pouvoir. Le régime actuel l'est déjà.

Extrême le surendettement, les 49.3 du gouvernement Borne, les gilets jaunes, le Covid et son confinement, l'accroissement des inégalités, les réformes des retraites, la dissolution de l'Assemblée en 2024 et depuis, l'instabilité du gouvernement dû au manque de légitimité d'un camp présidentiel qui unit dans le rejet. Ce crible est trop grossier pour extraire les subtilités d'une réalité politique; suffisant pour montrer que l'archi-présidence est révolue. Plus encore il est venu le temps d'en finir avec l'opposition dichotomique entre une majorité gouvernementale univoque et une opposition belliciste. Ce n'est que surenchère et polarisation. Le pouvoir doit être éclaté.

Auux deux étages : mode de gouvernance et expression citoyenne. L'instauration d'un autre régime politique aux modalités de scrutins différents est une nécessité. Il y aura une complexification inévitable du système de comptabilisation, du système de délibération, c'est le prix d'une expression plus fidèle de la pluri-valence d'une situation, de la dispersion des opinions, de la juste proportion des différentes composantes d'une solution face à un problème donné. Les ajustements administratifs ne seront que des broutilles face au véritable enjeu de cette rénovation, qui doit se comprendre comme une amélioration par l'implémentions de nouveaux outils démocratiques, et la suppression de ceux caduques. L'effort le plus couteux se situera dans la modification des habitudes démocratiques. L'Assemblée devra se faire au temps long de la négociation, la patience de la discussion. Les citoyens devront nuancer leurs opinions et approcher de manière plus fines et réfléchies les thèmes politiques. L'adhésion ou le refus, le oui ou le non, enferme le choix dans un tunnel sans solution.

Si ça ne tenait qu'à moi – qu'est-ce que vient faire ici mon opinion. En politique ce qui compte c'est le "je" à l'intérieur du "nous"; c'est l'implication personnelle des élus et des citoyens dans la politique qui est en cause. Les deux coude-à-coude sont liés par un pacte; ce qu'ils délimitent ensemble c'est la république, la chose commune, ce sur quoi ils tiennent, le socle basal qu'ils partagent, le territoire. Non au sens d'entité administrative garante des institutions sociales dans une localité, le territoire considéré dans son ensemble comme un biotope abritant un éco-système, faune-flore-fonge-humain et micro-organisme. La société humaine n'est qu'une infime part visible d'un organisme sous-terrain et sur-terrain bien plus grand comprenant l'ensemble des vivants autour; l'environnement.

La biodiversité n'est plus une opinion politique marginale; elle ne le fut jamais. Elle est l'ancrage indispensable, le cadre véritable de toute société. Sa limite. Là où les anciennes générations ne voient que du normal, les nouvelles sont atterrées par le scandale. Elle est ébranlée par autant d'affects négatifs que sont la solastalgie, la dynatalgie, une tristesse, de l'anxiété, de la panique. Le système politique actuel considère encore l'environnement comme une question à traiter entre autres; un point dans un programme, bien insuffisant au regard du sentiment d'urgence corroborée par les comités d'experts, GIEC en tête. Cela suffit à écarter cette jeune population du système politique. Pas à les dépolitiser.

Elle est des plus engagées en-dehors des canaux canoniques, à user de sa citoyenneté, de sa liberté d'expression et de manifestation dans des actions militantes. La coutume veut que l'action directe soit marginale à l'exercice de la citoyenneté quand elle est la manifestation incarnée d'un mouvement politique à travers un corps social. Elle est celle qui change le plus la vie tant des militants que du reste de la population qui devant l'action est obligée de modifier son attitude. Physiquement, en s'adaptant à des occupations géographiques; intellectuellement en répondant aux arguments scandés. L'habitude de l'assemblée citoyenne destituée, tout débat est perçu comme une atteinte à la probité, une forme radicale de la liberté d'opinion et d'expression. C'est que l'isoloir a eu comme conséquence d'individualiser, d'intimiser l'action politique. Or le politique est bien une manière de vivre en société et vivre n'est pas une opinion privée.

Être politisé c'est se sentir concerné par la société, c'est la source de l'engagement, de l'implication. Comme en 100 ans l'habitude syndicaliste s'est perdue, en 15 à peine les collectifs éco-citoyens, les réseaux solidaires, les circuits-courts, les coopératives, les monnaies alternatives, les jardins partagés les repair-cafés, les fab-labs, ont acquis un empan considérable, inouï jusqu'alors. Leur capacité à créer du social en un territoire donné en apportant des solutions et des réponses à des enjeux qui concernent les populations locales font de ces endroits le coeur même de la société, du politique. On n'est citoyen qu'en appartenant à quelque part, physiquement; on est individu lorsque l'on est intégré à un groupe. L'un et l'autre et l'autre – le lieu, le groupe, l'individu – interagissent et partagent une culture commune du comment la vie s'établit et se structure ici, c'est-à-dire qu'il y a cohabitation, co-domestication si ce n'est symbiotique, co-opérante et non-fongible. C'est en s'ancrant territorialement que ces entités tissent ensemble le filet de la société.

La société ne peut plus reposer sur l'économie seule. L'économie ne supporte rien; elle déporte, transfère la charge des subsistances d'un territoire à d'autres éco-systèmes rien de plus, et c'est en multipliant les flux financiers avantageux qu'elle renforce la soutenabilité d'un État, d'une société. De l'extérieur toujours, creusant ses dépendances, sa faiblesse intérieure. Dès que les flux cessent il ne reste rien, l'État s'effondre, la société avec, il n'y a ni collectif ni cadre ni socle pour la retenir. Plus l'échelle du réseau est grande plus les chaines de corrélations sont vastes, inenvisageables et imprévisibles. Tout prendre en considération est insensé. Il faut restreindre. Conscrire l'économie à des circuits-courts c'est vasculariser abondamment les localités et renforcer leur autonomie en restreignant les soutiens extra-territoriaux et internationaux; c'est reterritorialiser les subsistances en démultipliant la reliance de proximité.

L'État ne vient plus autour de la société mais en médiateur entre les territoires et les échelles macro, méso, géo – régional, national, international – afin de fluidifier les trafics, les échanges, et a la mission de rendre l'ensemble le plus homéostatique possible, c'est-à-dire de corréler le maximum d'entités hétéronomes en ponctionnant, puis en répartissant une part des ressources y compris financière afin d'assurer l'unité de la nation, sa soutenabilité et sa souveraineté. La gouvernance politique et la législation échoient à l'autorité territoriale qui est la seule à même de déterminer ce qui ou non bon pour la collectivité endémique.

En renforçant l'autonomie territoriale c'est la responsabilité des populations, élus et citoyens, qui est réaffirmée. Revoir l'implication citoyenne c'est enlever au vote l'exclusivité de l'expression politique démocratique. Il ne devient qu'un médium parmi d'autres pour exprimer cette responsabilité commune, la res responsæ, autrement dit de ce que chacun à part égale est garant et bénéficiaire.

Ce qu'il faut dire c'est qu'avec ceci s'annonce la fin de la social-démocratie. Se définit comme social-démocratie un régime politique qui a comme dessein la production de social, autrement dit d'associations entre les individus et les entités qui encadrent l'ensemble des moments de la vie des populations présentes sur un territoire. Maintenant la république démocratique ne peut plus créer le seul social ou alors un social élargi. Elle doit intégrer le vivant non-humain et se charger de répartir les ressources, les savoirs, les pouvoirs entre les êtres-vivants quelle que soit leur nature sans hiérarchie pré-établie. Ce n'est pas une révolution de la présente déclaration et constitution, c'est un renversement. Plus qu'une VIeme république c'est une nouvelle déclaration qui est appelée; avec elle l'instauration d'une éco-cratie.

Le principe premier d'une éco-cratie est de partir de la base de ce qui fait la société : la terre. Ce n'est pas d'un peuple dont on hérite, c'est d'un territoire avec des gens dessus. Il n'y a pas les populations et l'environnement; la population et l'environnement ne font qu'un. Préserver l'environnement pour le bien-être des populations est une tautologie; mettre l'économie au service de l'écologie est une propagande capitaliste. L'environnement est le tissu véritable dans lequel est tissé la société. Ce n'est pas à la société d'en déterminer l'usage, l'occupation, l'aménagement, l'exploitation. C'est la société qui se structure par rapport à ce qui est, à ses limites propres, sa morphologie. Il est impératif de s'occuper de tous les écos, les oikos, l'ensemble de la maison comme d'un éco-cosmos où les chaines de causalités et de dépendances de la vie locale peuvent être appréhendées par la population de sa genèse à son renouveau, dans la pluralité des formes qu'elle emprunte au cours de ses multiples phases.

Le repli nationaliste exprime cette incertitude face à l'inconnu. Il est le recroquevillement sur un modèle connu face à l'incapacité de pouvoir se figurer la société à venir; modèle si bien connu que les populations le savent délétère tout en refusant de l'admettre. C'est un dénis, un aveu d'impuissance; c'est une pétrification anxieuse. La perte de croyance en un État-providence évide substantiellement la nation, le sens du commun, et permet à ces discours de combler un vide, de rassurer une peur, une souffrance réelle. Le problème n'est pas le nationalisme : c'est l'absence de national en dehors. Les nationalistes fabulent ce qu'est la nation car il n'y a justement plus rien de concret qui tienne de contre-poids. 

Les combattre frontalement c'est frapper à côté. Ce n'est par des mots qu'ils se conquièrent, ce sont dans des actes, des concrétisations, de la politique réelle. L'augmentation virtuelle du confort par une dépendance accrue à la consommation n'y palliera; il s'agit de faire croitre substantiellement la qualité de vie. C'est en oeuvrant sur les environnements qu'ils reviendront à la citoyenneté sans n'en prendre conscience car la politique sera présente tout autour d'eux. En se focalisant sur l'humain l'essentiel est omis, ce qu'il y a dessous, ce qu'il y a entre, le lieu de vie, l'habitat. Renforcer le territoire et travailler au sentiment d'appartenance local, c'est comme cela que l'on combat les nationalismes; c'est par l'intégration des démissionnaires, des abstentionnistes, ces diasporas fantômes et marginalisées au sein du tissu social.

Ce n'est pas une crise de la représentativité, c'est une crise des représentations. Révolte contre la réforme des retraites, marches pour le climat, gilets jaunes, censures de l'Assemblée nationale, les 10 et 18 septembre 2025, tous exsudent une incapacité similaire, celle de représenter un ensemble informel. Des masses émergent spontanément de la convergence autour d'une cause commune, qu'elle soit origine d'un mal qui affecte chacun d'une manière particulière ou inversement qui mobilise des corps hétérogènes vers un bien commun qui profite à tous particulièrement. Elles impressionnent ces manifestations de part leurs intempestivités, leurs jaillissements brusques du silence, c'est leur puissance numérique qui est tue. La faute à un défaut de représentation.

Sans porte-parole, pas de paroles, ce qui ne veut pas dire absence de paroles, ou que le discours est abstrus et incohérent; cela ne suffit pas pour ignorer ou minorer les phénomènes. Ce mépris n'engendrera qu'une frustration, un dégoût s'en allant alimenter un ressentiment qui tendra à polariser radicalement dans l'attente d'être considéré. La représentation fidèle de groupe qui n'ont pas forcément la conscience d'en constituer un est un axe qui résoudra nombre de blocage actuel; de coaliser des cas isolés en groupe d'intérêts. Il faut instaurer des outils intellectuels, juridiques, et de gouvernances inédits pour rendre possible l'articulation d'une parole fidèle à l'esprit d'une foule, et apte à être reconnue, acceptée, et respectée par celles et ceux à qui elle s'adresse. Cela implique de comprendre à l'intérieur de ces groupes les situations individuelles, de réinstaurer l'espace de l'échange qui peut être non-verbal et informel, le temps de l'écoute et du partage bref, de retrouver les voix de la communication, ce dont nous avons perdu l'habitude.

Les enjeux de la politique n'ont jamais été autre que de savoir qui parle à qui au nom de qui, d'où et pour quoi. Alors s'articule un comment, autour d'un commun.

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