"Le NFP est mort, vive la gauche rassemblée de demain". Voilà les mots prononcés par Nicolas Mayer-Rossignol, maire socialiste de Rouen, après la non-censure du budget de l'État par le Parti Socialiste. Même si ces mots ne surprennent pas de la part du rose, qui s'est toujours montré réticent face aux unions avec la FI, la rhétorique prête au questionnement. Comment peut-on espérer une union pérenne de la gauche quand tant de voix dissonantes s'élèvent en son sein ?
Le Nouveau Front Populaire est né d'une volonté : s'unir pour faire barrage à l'extrême droite. Après la dissolution de l'Assemblée Nationale par Emmanuel Macron et, par crainte de voir le Rassemblement National et ses alliés arriver au pouvoir, la gauche a réussi à faire en deux semaines ce que beaucoup espéraient créer depuis des années. Une gauche unie, plurielle, et unanime dans sa lutte contre le fascisme, prête à mettre de côté les désaccords pour éviter le pire. Le NFP a réussi à faire ce que la Nupes avait échoué à réaliser en 2022, en cristallisant un socle plus large et en s'accaparant une légitimité plus noble. Et c'est dans cette réussite qu'elle a peut-être aussi creusé sa propre tombe, car si le NFP est une composante plus que nécessaire dans le paysage politique actuel, il rassemble une gauche qui a toujours eu du mal à se mettre au diapason. Au-delà des volontés communes, c'est bien souvent la stratégie qui fait dérailler le train de l'union. Des visions différentes de l'action politique, et une infatigable guerre d'ego entre leaders et cadres des partis de la composante, menant inéluctablement la gauche à sa désunion.
Rejeter continuellement la faute sur Jean-Luc Mélenchon comme sur le Parti Socialiste serait contre-productif. Oui, la stratégie du leader insoumis et de son parti est fortement contestable. Oui, la décision du PS de ne pas voter les motions de censure du NFP est néfaste à la cohésion du groupe. Mais voyons plus large : le problème ne réside pas dans la stratégie d'un camp en particulier, mais dans la mentalité individualiste qui règne au sein du groupe dans son ensemble. Les egos s'entrechoquent, tout comme les visions, et les partis sont divisés en leur sein. Les guerres intestines au sein des composantes de l'union nuisent gravement non seulement à la crédibilité des partis, mais aussi à la concordance du groupe dans son ensemble. Olivier Faure contre Nicolas M. Rossignol, Mélenchon contre Ruffin : les dualités n'apportent que du chaos, et elles sont nourries par des ambitions individuelles qui n'ont pas leur place dans un modèle unitaire. Bien sûr, les divergences sont naturelles, on ne peut malheureusement pas s'entendre sur tout, mais les rancunes de quelques-uns ne doivent pas prévaloir sur la réussite de tous les autres. Cette mentalité s'applique aussi bien sur le plan national que sur le plan local. La stratégie de ne pas jouer le jeu de l'union, de se renvoyer la balle en permanence, est une stratégie perdante. Revenir sur le cas de Villeneuve-Saint-Georges paraît futile, mais illustre parfaitement le problème. Le stratagème du seul-contre-tous n'est pas viable. C'est une méthode profondément égoïste, qui impacte la cohésion au niveau national et qui décrédibilise non seulement le parti, mais le Front Populaire dans son intégralité. De même, la volonté de Yannick Jadot de se présenter à la mairie de Paris, sans s'atteler aux primaires de son parti, relève d'une volonté auto-centrée de gérer la question politique. Le jeu de l'union n'est pas arbitraire : il est ou il n'est pas. Sur tous les plans, à tous les étages. On ne peut prôner la démocratie juste et le progrès social en agissant comme un despote.
C'est par ce procédé que Jean-Luc Mélenchon mortifie aussi en grande partie la gauche. Le leader insoumis a su incarner l'alternance pendant les présidentielles de 2022, en s'imposant comme le véritable vote utile dans une gauche éclatée. Malgré sa courte défaite, il a représenté la volonté populaire de mettre la question écologique et sociale dans le débat public. Il a réussi le pari d'amener un second souffle à une gauche perçue par beaucoup comme trop complaisante et pas assez radicale. Il est, avec son parti, le moteur de toutes les unions, Nupes et NFP compris. Nier ça serait manquer de bon sens, et les composantes du Nouveau Front Populaire doivent garder ça en tête. Cependant, tout cela ne l'oblige en rien. La situation n'est plus la même qu'en 2022, et agir en leader incontesté, ce malgré la phase orageuse que nous vivons, reviendrait à jouer à la roulette russe. De même, faire tourner l'union sous l'égide unique de la France Insoumise relève de l'idiotie. Les ambitions présidentielles du chef de la FI ne doivent pas déborder sur la cohérence du groupe. La gauche au pouvoir doit être solide. Les paroles doivent être en accord avec les actes, et la dissonance cognitive doit cesser pour laisser le champ libre à la pérennité.
Bien sûr, nous ne pourrons jamais rattacher tout le monde à la cause. Il y aura toujours des brebis galeuses, des gens qui ne voudront pas jouer le jeu du collectif. Certains préféreront toujours la désunion des petits désaccords plutôt que l'union des grandes espérances. Nous ne pouvons pas changer les hommes. Certains diviseurs préféreront toujours jouer le jeu de la calomnie, à l'instar de Jérôme Guedj face à la position de la France Insoumise sur la question palestinienne. Ne nous en mêlons pas. Les injures sont provisoires, la réussite est permanente. Beaucoup rêvent d'une gauche plus libre, les mains déliées. Certains s'accrochent à la volonté de radicalité, de changement brusque, loin des logiques transpartisanes. L'heure n'y est pas encore. Nous avons encore tant de route à parcourir ; nous devons agir en tant que responsables. Mettons au placard cette mentalité puérile et profondément machiste de l'égotrip et de l'escalade. Fustiger contre le PS, éjecter la FI, tout ça ne nous mènera nulle part. N'attendons pas la mort du NFP pour espérer la "gauche plurielle", soyons suffisamment matures pour la mettre en place. Partir divisé, c'est donner un blanc-seing au gouvernement, c'est renforcer le bloc de plus en plus solide de la droite extrême et de l'extrême droite. L'avenir de la gauche, et plus globalement du pays, ne se jouera pas sur des stratégies de partis, mais sur une logique d'union. À bas l'égotisme, et vive l'Union !