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Billet de blog 10 juillet 2018

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Il restera de cette Coupe du monde 2018 trois noms

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D’ici quelques années ou quelques décennies, il restera de cette Coupe du monde 2018 trois noms. Oleg Sentsov, Yuri Dmitriev, Oyub Titiev. Un Ukrainien, un Russe, un Tchétchène. Un cinéaste, un historien du Goulag, un défenseur des droits de l’homme dans la république la plus fermée de Russie. Tous les trois derrière les barreaux, dont un en grève de la faim, sur le point de mourir. On oubliera les prouesses sportives, la joie éphémère de la foule moscovite et les chants magnifiques des supporters sud-américains. On oubliera le nom de la « déléguée aux droits de l'homme » auprès de Poutine qui a affirmé qu’Oleg Sentsov avait entamé sa grève de la faim pour perdre du poids. On dira, en revanche, que c’était en été 2018, en plein Mondial, qu’étaient emprisonnés en Russie pour « terrorisme », pour « violences à caractère sexuel » et pour « possession de drogue en grande quantité » trois hommes dont le seul délit était de ne pas avoir peur.

Yuri Dmitriev qui part seul dans les forêts du nord russe pour déterrer les os des fusillés à l’époque de la Grande Terreur pour leur donner des noms, pour les enterrer dignement. Oyub Titiev qui reste dans une Tchétchénie dont la seule cohésion aujourd’hui est la peur, qui travaille discrètement, avec acharnement, pour la même ONG que Dmitriev, le Mémorial, en cherchant les disparus de la guerre, en enquêtant sur les crimes des « fédéraux » russes. Et Oleg Sentsov, enfin, activiste et cinéaste, né à Simferopol, naturalisé russe malgré lui, condamné à 20 ans de prison en 2015 pour « terrorisme » car, selon l’accusation, il projetait de faire exploser une statue de Lénine sans que quiconque puisse voir les preuves de ce projet.

Anatoli Martchenko, dissident soviétique, dont le nom revient souvent ces derniers jours lorsqu’on parle du cas d’Oleg Sentsov, est mort de sa grève de la faim le 8 décembre 1986. Il a tenu 117 jours : ses gardiens le nourrissaient de force. Comme Sentsov qui demande de libérer les détenus politiques ukrainiens en Russie, Martchenko réclamait la libération de tous les prisonniers politiques en URSS. Une semaine après sa disparition dans une prison de Tchistopol, Gorbatchev a téléphoné à l’académicien Andreï Sakharov, alors assigné à résidence à Gorki, et lui a annoncé qu’il pouvait rentrer à Moscou. 1986 était aussi l’année de la Coupe du monde, mais c’était surtout un tournant historique pour la dissidence soviétique. Un tournant dont le prix était une vie. Serait-ce de nouveau le même prix en 2018 ? Que fait-on pour l’éviter ?

L’unique consolation, très faible, que j’ai c’est de me dire qu’entre un système pourri, une machine rouillée, une masse indifférente et un homme, seul, qui leur fait face, c’est toujours l’homme qui gagne à la fin. Même s’il meurt.

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