Apivin

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 mars 2014

Apivin

Abonné·e de Mediapart

Abstention, investiture, et lutte sociale à Santiago du Chili

36.45%, record d'abstention battu ! Petits joueurs ! , réagiraient les Chiliens, s'ils portaient un quelconque intérêt à nos élections municipales. La présidente Michelle Bachelet, entrée en fonction le 11 mars dernier, avait remporté le deuxième tour des élections sur le score rondelet de 62.16%, à la tête d'une coalition allant du centre-gauche au parti communiste.

Apivin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

36.45%, record d'abstention battu ! Petits joueurs ! , réagiraient les Chiliens, s'ils portaient un quelconque intérêt à nos élections municipales. La présidente Michelle Bachelet, entrée en fonction le 11 mars dernier, avait remporté le deuxième tour des élections sur le score rondelet de 62.16%, à la tête d'une coalition allant du centre-gauche au parti communiste. Un score similaire à celui de l'abstention, véritable premier parti du Chili, qui avait atteint le chiffre affolant de 58.04%. Ou comment remporter une large victoire en ayant reçu la bénédiction d'à peine un quart des électeurs... Comme pour lui rappeler la relativité de son succès, une grande manifestation citoyenne était organisée dans Santiago le samedi 22 mars, « La marcha de todas la marchas ». 180000 participants selon les organisateurs, 25000 selon la police (j'apprends au passage que la France n'a pas le monopole des comptages prodigieusement divergents), ayant répondu à l'appel lancé par une quarantaine d'organisations, représentant autant de causes sociales en tous genres.

Les deux événements, l'arrivée de Michelle Bachelet au palais de la monnaie - ou plutôt son retour, puisqu'elle avait effectué un premier mandat il y a quatre ans - et la Manifestation dans le centre de Santiago, on semblé se répondre mutuellement. La présidente, étiquetée à gauche, est consciente de la méfiance du peuple chilien envers les politiques. L'abstention traduisait notamment un doute sur la capacité de l’exécutif à mener des réformes sociales, dans un pays encore largement ultralibéral depuis Pinochet et ses « Chicago Boys ». Son intervention, truffée de symboles et de jolies promesses, semble anticiper la manifestation du 22 mars, en faisant les yeux doux à la gauche désenchantée. Symétriquement, la Marcha de todas las marchas a posé ses attentes, en exhibant un catalogue de chantiers sociaux. Si il était un peu brouillon en raison de l'impressionnante diversité des revendications, il permettait de mesurer la soif de changement d'une partie de la population. 

Le Chili a un seul adversaire, et il s'appelle l'inégalité !a déclaré Michelle Bachelet lors du premier discours présidentiel de son second mandat. Le pays longiligne est en effet bon dernier d'un classement 2014 des pays de l'OCDE les plus inégalitaires. Avant son intervention, le speaker avait déjà posé le ton : « Pour un pays plus juste! », « Le Chili change, notre pays a beaucoup avancé en vingt ans [Depuis le départ de Pinochet] , mais il reste beaucoup à faire ! ». « Plus d'opportunités pour tous, sans distinctions ! ». Toute une symbolique est mise en place pour amplifier ce retour de la gauche chilienne. Côtoyant le drapeau national, des drapeaux du parti communiste chilien flottent dans la foule, modérément nombreuse, pour la première fois depuis 40 ans. On retrouve aussi çà-et-là des portraits de Salvador Allende, président socialiste-marxiste emblématique du pays, qui s'est suicidé à l'issu du coup d'état de Pinochet en 1973. Sa fille avait d'ailleurs été nommée présidente du sénat Chilien une semaine auparavant.

Consciente que les mots et les symboles ne suffiront pas, Michelle Bachelet a également réaffirmé son intention de mettre en place 50 mesures sociales dans les 100 premiers jours de son mandat, un des points phares de sa campagne. On les trouve en détail ici (en espagnol). Il s'agit essentiellement de lancer les grands chantiers de la transformation sociale, (« iniciar », « enviar », « definir », « anonciar » sont employés généreusement), qui devront être financé par « La grande réforme fiscale », qui comprend notamment une augmentation de 8 milliards de dollars des taxes sur les entreprises. Parmi ces cinquante propositions, une mesure imminente : le versement, chaque mois de mars et dès 2014, de 40000 pesos (environ 50 euros) à chacun des deux millions de foyers les plus pauvres du pays.

 Coté rue, les marcheurs demandaient plus qu'une redistribution des richesses. Un certain nombre d'organisations de travailleurs ont pris part au défilé, mais la manifestation était plus encore portée sur les questions de société. La liste des associations ayant lancé l'appel est ici, en espagnol). Parmi les plus visibles, le Movilh (Mouvement d'intégration et de libération des homosexuels ) militait en faveur du mariage pour tous, et plus généralement contre la discrimination des homosexuels et des transgenres. Toujours dans les couleurs vives, des manifestants réclamaient une « nouvelle politique de drogue », en particulier pour le cannabis. Celui-ci avait pris le statut de «drogue dure» au cours du précédent mandat présidentiel. Le droit à l'avortement, illégal au Chili, était aussi revendiqué, tout comme la procréation médicalement assistée pour les couples stériles.

La cause Indigène, pour l’autodétermination du peuple Mapuche, a quant à elle fait fleurir une multitude de drapeaux bleus, vert et rouge dans le cortège. L'écologie n'était pas en reste, et tandis que Greenpeace défendait les couleurs du pays nouvellement crée par l'association, la république glaciaire (23000 km² au sud du Chili, lire ici l'article des inrocks ), d'autres demandaient « un Chili sans OGM », ou militaient pour la protection des écosystèmes. Malgré l'absence de la CONFECH, l'organisation étudiante à l'origine des manifestations de 2011, on trouvait plusieurs militants pour l'éducation gratuite et de qualité , thème emblématique de la lutte sociale chilienne.

Dans leur impressionnantes diversité, les revendications convergeaient sur un point: la demande d'une nouvelle constitution, via une assemblée constituante. Celle qui est encore en vigueur aujourd'hui date de la dictature militaire, et rend difficile l'adoption de certaines mesures sociales, notamment dans le secteur de l'éducation.


Les manifestations à Santiago ont apparemment la réputation de systématiquement dégénérer... Quoi qu'il en soit, celle-ci s'est globalement déroulée dans un climat festif, familial, et pacifique. Les déguisements hétéroclites, les banderoles multicolores, et les groupes de percussionnistes disséminés dans le cortège donnaient au rassemblement des airs de carnaval. En guise de conclusion, un événement culturel et artistique était organisé dans un parc du centre de Santiago à l'issu de la marche. Les incidents recensés étaient majoritairement dus à des altercations entre supporter de deux équipes de football de la ligue chilienne, à quelques rues du rassemblement. Les sportifs du dimanche ont fini par trop se rapprocher du « Parque Forestal », ou était rassemblé le reste des manifestants, causant la fermeture anticipée du mini-festival... On était tout de même bien loin de l'orgie de gaz lacrymogène et de canon à eau qui avait, me dit-on, souvent accompagnée les grandes manifestations étudiantes de 2011.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.