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Deux photographies qui se ressemblent au point qu’on les croirait presque interchangeables : des hommes se parlent près d’abris précaires accrochés dans le sable. Deux campements de fortune où se rassemblent des réfugiés qui pourraient venir des mêmes pays où ils se savent menacés : l’un, en Afrique du Sud, près du camp de Musina ; l’autre, en France, dans la jungle de Calais. Ayant récemment mené une recherche sur les politiques de l’asile et l’expérience des demandeurs dans la région de Johannesburg, je n’ai pu qu’être frappé par les similitudes entre les conditions d’accueil de ceux qui, là-bas comme ici, tentent d’échapper à la violence autant qu’à la misère – et pour eux la distinction entre réfugiés considérés légitimes parce que victimes de persécutions et réfugiés dénoncés comme illégitimes parce que souffrant de dénuement, une distinction qui fonde les politiques de l’asile, n’a guère de sens tant leur expérience mêle souvent les deux.
Le rapprochement de ces deux scènes éloignées de neuf mille kilomètres devrait nous faire prendre conscience de ce que la question des réfugiés est loin de n’affecter que notre continent. À elle seule, l’Afrique du Sud, nation qui compte le plus grand nombre de demandeurs d’asile, en a autant que l’ensemble de l’Union européenne et neuf fois plus que la France, selon les derniers chiffres disponibles du Haut Commissariat aux Réfugiés. S ‘agissant plus spécifiquement des réfugiés de Syrie, notre pays en a accueilli mille fois moins que le Liban en proportion de sa population. Dans une période où les images des médias et les propos des commentateurs conduisent à ne voir que la « crise des réfugiés en Europe », ce décentrement peut nous rendre un peu moins myopes sur ce qui passe aujourd’hui sur notre planète. Si, comme on peut malheureusement l’imaginer, ce décentrement ne rend pas nos sociétés plus solidaires, au moins leur permettra-t-il d’être plus lucides sur ce qui se joue dans le monde contemporain et sur la manière dont elles mettent en œuvre ces valeurs qu’elles célèbrent fièrement.
Post-scriptum : J’étais en train d’écrire ce texte lorsqu’un ami m’a informé d’attaques qui se déroulaient à Paris, seulement vingt-quatre heures après l’attentat de Beyrouth. J’ai interrompu ma rédaction et, comme bien d’autres, j’ai alors été emporté par le flot des événements, saisi par l’ampleur de la tragédie, abasourdi par la réaction des responsables politiques. Pourtant, alors que le discours sécuritaire, la proclamation de l’état d’urgence, l’annonce de la fermeture des frontières et la suspicion grandissante à l’encontre des réfugiés du Moyen Orient étouffent toute préoccupation à l’égard des hommes, des femmes et des enfants dont beaucoup fuient une guerre menée par ces mêmes djihadistes qui ont frappé la France, il n’est que plus urgent et nécessaire de défendre l’asile comme un droit et la dignité comme notre devoir. Celles et ceux qui ont imaginé ou qui simplement tolèrent la jungle de Calais semblent avoir oublié l’un et l’autre.
Didier Fassin (anthropologue, signataire de l’appel de Calais)
Vous pouvez lire l'Appel et le signer sur www.change.org/appeldecalais